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CHAPITRE III : LES « DISTANCIÉS » : UN PARCOURS DE MOBILITÉ QUI « VA

C. UN RAPPORT DISTANCIÉ AU QUARTIER D’ORIGINE

Si l’idéologie spécifique des familles de ces enquêtés permet une mobilité sociale « qui va de soi » sans avoir à s’éloigner de la famille, la prise de distance avec les catégories populaires passe pas la prise de distance avec le quartier d’origine.

a. Une faible intégration aux réseaux de sociabilité locaux dès l’enfance

Les parents de ce groupe manifestent une distanciation à l’égard du quartier. Ils interdisent ou limitent fréquemment les sorties pour les enfants. Dès le plus jeune âge, des représentations du quartier se construisent et le rapport des parents au quartier est majeur dans la construction de ces représentations (Santelli 2007). L’attitude distante, voire méfiante, des parents envers le quartier semble être transmise aux enfants. La prise de distance des parents et l’évitement de la vie de quartier induit alors une faible intégration des enquêtés aux réseaux de sociabilité locaux. C’est le cas par exemple de Lisa dont les amis étaient généralement issus de quartiers pavillonnaires plutôt que de la cité dans laquelle elle vivait. Contrairement aux « attachés », les « distanciés » témoignent beaucoup moins fréquemment d’activités dans le quartier ou de liens de sociabilité locaux durant l’enfance et l’adolescence. Si les femmes du groupe des « attachés » étaient tout autant intégrées aux réseaux de sociabilité locaux que les hommes, les femmes du groupe des « distanciés » sont encore plus concernées par la faible intégration à la vie locale et aux groupes de pairs. La limitation des sorties dans le quartier est encore plus accentuée pour elles.

La forte mobilité résidentielle contribue également à la faible intégration aux réseaux locaux. César, qui a souvent déménagé, a ainsi peu gardé de contacts dans les différents quartiers où il a vécu. En l’absence d’ancrage résidentiel, il est difficile de développer des relations durables dans les lieux de résidence.

Les « distanciés » sont depuis le plus jeune âge peu impliqués dans leur quartier. Ils n’ont pas, contrairement aux « attachés », de participation politique ou associative dans la vie de quartier. Le rapport de distanciation s’illustre également par l’absence de retours dans le quartier lorsque la famille n’y réside plus. De la même manière, ils n’ont pas gardé de contacts avec des personnes vivant dans le quartier. Leur réseau amical est essentiellement composé de personnes rencontrées durant les études ou sur le lieu de travail :

« Tu as gardé contact avec des amis d’école ou des amis du quartier ou des quartiers où t’as vécu ?

Y: Très difficilement (…) la plupart c’est des personnes qui ont pas continué leurs études, donc forcément après nos chemins se séparent physiquement mais aussi intellectuellement donc on a plus vraiment de points communs, donc c’est plus par politesse… » (Yasmina, avocate à son compte, Nogent-sur-Oise, 28 ans)

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sont séparés du fait de son ascension sociale, contrairement aux « attachés » qui sont restés proches de leurs amis d’enfance issus du quartier d’origine.

b. Une perception négative du quartier

Les « distanciés » ne valorisent pas leur quartier d’origine dans leur discours. Au contraire, ils en soulignent les problèmes et notamment l’insécurité qu’ils y associent. De multiples anecdotes viennent dans les entretiens illustrer cette perception du quartier :

« Y’a quand même un peu de… tout ce qui va être trafic (…) maintenant c’est vrai que ça se voit un petit peu plus, on voit les gens en bas des immeubles (…) y’a eu toujours des voitures brulées ou des choses comme ça, on a toujours connu ça (…) ma petite sœur s’est fait vandaliser plusieurs fois sa voiture quand même… » (Lisa, avocate à son compte, Sevran, 27 ans)

La façon de décrire son quartier est ici très différente de celle utilisée par les « attachés ». Le quartier n’est ici pas valorisé mais ce sont ses côtés négatifs qui sont accentués. On ne retrouve pas du tout chez ces enquêtés l’idée de valeurs propres au quartier qui seraient mises en avant. Le cosmopolitisme des quartiers n’est pas non plus évoqué.

Le rapport distancié au quartier s’illustre également dans le refus de voir l’origine géographique comme un obstacle, présent dans certains entretiens et qui s’accompagne d’une dénonciation du pessimisme et du manque de motivation des autres jeunes issus des mêmes quartiers :

« Y’a certaines personnes qui sont dans le 93 qui vont voir ça comme une fatalité (…)

moi (…) mon parcours personnel, ne serait-ce que d’être passée du 59 au 93, rien qu’avec ce passage là je pense que mes parents ils m’ont offert une chance de faire des études (…) donc je suis pas dans un truc de fatalité de penser que d’avoir vécu dans le 93 ce soit exceptionnel d’avoir fait des études ou quoi parce qu’au final je trouve que c’est assez facile hein (…) y’a le RER et tout ça, c’est pas si compliqué que ça » (Lisa, avocate à son compte, Sevran, 27 ans)

Le recul de Lisa induit par son expérience résidentielle hors de l’Ile-de-France l’amène à minimiser le poids des origines sociales et résidentielles et au contraire à percevoir comme « facile » le fait de faire des études en venant de Seine-Saint-Denis. On ne retrouve pas, comme chez les « attachés » de mise en avant des obstacles, des stéréotypes et stigmates auxquels sont confrontés les jeunes des cités mais au contraire une attitude légitimiste qui considère que la réussite est accessible à tous.

Les « distanciés » sont, depuis l’enfance, peu intégrés à la vie locale et aux réseaux de sociabilité de leurs quartiers. Ils ne valorisent pas ce dernier dans leur discours et insistent au contraire sur ses aspects négatifs. Ils ne manifestent pas d’attachement au lieu où ils ont grandi

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et gardent peu de lien avec ce dernier, qu’ils fréquentent encore uniquement pour rendre visite à leur famille lorsqu’elle s’y trouve encore. Le rapport au quartier est donc essentiellement un rapport de distanciation.