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Méthodologies pour la caractérisation biochimique de la matière organique dissoute dans l’eau

1 Un rapide aperçu des stratégies possibles

On peut distinguer grossièrement deux écoles assez distinctes : la caractérisation globale des échantillons aqueux (paramètres quantitatifs associés à des processus, comme la biodégradabilité) et la caractérisation physico-chimique plus ou moins poussée, voire l’identification de composés ou de groupements moléculaires à partir d’extraits concentrés et lyophilisés. Le socle de cette seconde approche est le fractionnement entre les substances humiques, fulviques et transphiliques par extraction séquencée sur résines, qui fait l’objet de protocoles bien définis dans le cadre de l’IHSS11. La première approche est plutôt due aux micro-biologistes, du milieu naturel comme des industries du traitement de l’eau, qui s’intéressent plus aux processus microbiens qu’aux structures chimiques (Henze (1992), Servais et al. (1995), Lehtola et al. (2001)). C’est avec ce type de caractérisation que l’on parvient actuellement à modéliser le devenir de la matière organique (Even et al. (1998), Henze (1992)). La seconde approche, préférée des chimistes, permet de préciser les propriétés chimiques des molécules, voire d’en identifier certaines (1-10% selon Leenheer et Croué (2003)), au prix d’un protocole assez sévère commençant par l’acidification à pH 2 de l’échantillon. D’après Hedges et al. (2000), la proportion de matière organique naturelle non identifiée augmenterait avec le degré de métabolisation de la matière organique, c’est à dire son « âge ». Le couplage de techniques de plus en plus sensibles comme la chromatographie en phase gazeuse associée à plusieurs spectromètres de masse permet cependant d’envisager des progrès rapides dans la caractérisation de la structure chimique de ces mélanges complexes. Certaines mesures chimiques globales, nécessitant peu de traitements préalables de l’échantillon, apportent une caractérisation plus grossière mais très utile. Par exemple, l’analyse spectrophotométrique de la matière organique dissoute des eaux naturelles, couplée à d’autres méthodes de caractérisation plus ou moins complexe (fluorescence, RMN 13C), a permis de montrer que l’absorbance spécifique à 254 nm était un bon indicateur de l’origine pédogénique ou aquagénique (Zumstein et Buffle (1989)) et de l’aromaticité (Leenheer et Croué (2003)). L’analyse élémentaire (C, H, N, O) apporte des indications sur la polarité et la saturation des chaînes de carbone (Ma et al. (2001)). L’objectif de ces travaux semble plus de parvenir à une identification des différentes provenances que reflète l’échantillon d’eau naturelle qu’à la compréhension de la transformation par métabolisation. Dans l’objectif d’une identification de la provenance des composés organiques, Imai et al. (2001) proposent, à partir d’un nombre important d’échantillons allant de la rivière forestière aux eaux usées en passant par les lacs eutrophes, un arbre de caractérisation permettant de qualifier les origines

11 International Humic Substances Society

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d’un échantillon naturel. C’est également la démarche de Marhaba et al. (2000), avec la technique de la signature spectrale en fluorescence.

On sait encore assez peu de choses sur l’évolution de la structure chimique de la matière organique au fur et à mesure de sa métabolisation microbienne, autrement dit, sur les liens entre le caractère biodégradable et la formule chimique des molécules organiques. Namour et Müller (1998) ont montré qu’au cours du traitement biologique, la fraction protéinique des eaux usées augmentait, suggérant un enrichissement par les produits microbiens solubles. Barker et al. (1999) se sont intéressés au poids moléculaire moyen des molécules constituant la matière organique réfractaire après traitement anaérobique. Récemment, Dignac et al. (2000a) ont montré que les traitements conventionnels, qui permettent de dégrader efficacement les composés aliphatiques, conduisent à l’enrichissement des eaux traitées en composés fortement oxydés et ramifiés, comprenant des groupements C=O et des fonctions amides. Quenea et al. (2005) ont appliqué des techniques chimiques récentes et complexes à la caractérisation de la matière organique réfractaire de sols, et y ont trouvé une faible contribution de produits d’origine bactérienne (dérivés protéiniques et lipidiques).

Les techniques classiques d’identification, reposant sur l’hydrolyse des molécules, ne parviennent pas bien à caractériser les eaux traitées, dont les composés sont justement réfractaires à l’hydrolyse (Dignac et al. (2000b)).

2 Les bilans de matière organique biodégradable.

2.1 Oxygène ou carbone ?

La fraction biodégradable de la matière organique contrôle l’activité bactérienne et la consommation d’oxygène qui lui est liée, dans les systèmes naturels comme dans les bassins biologiques des stations d’épuration. A ce titre, elle est étudiée de longue date, au moyen de bioessais pendant lesquels on mesure l’oxygène consommé : par exemple, la Demande Biochimique en Oxygène à cinq jours (DBO5). Comme on l’a mentionné plus haut, cette mesure, mise au point afin d’estimer grossièrement la consommation d’oxygène induite par le rejet, est moins précise qu’une mesure de carbone organique et ne permet pas de réaliser les mêmes bilans de masse (Tusseau-Vuillemin et Le Réveillé (2001)). L’essentiel des données concernant la matière organique dans les rejets étant cependant traditionnellement exprimées en équivalent oxygène (Demande Chimique en oxygène et DBO5), un groupe de chercheurs a développé, ces dernières années, dans le cadre de l’IWA12, un modèle des processus biogéochimiques en rivière, dont la variable principale est l’oxygène (Reichert (2001)). Ce modèle permet théoriquement de simuler le devenir des rejets dans le milieu naturel. Dans la pratique cependant, la limite de détection de la DBO5 et de la DCO rend ces mesures difficilement applicables au milieu naturel.

Le protocole optimisé par Servais et al. (1995) est dérivé de celui proposé en 1987 (Servais et

al. (1987)) et repose sur un bilan du carbone organique dans les phases particulaire et dissoute

après 45 jours d’incubation en conditions oxiques. Le formalisme utilisé généralement pour décrire la métabolisation de la matière organique (e.g. Servais et al. (1987), Henze et al. (1987)) suppose en effet qu’il est possible de définir de façon univoque les fractions biodégradable ou réfractaire de la matière organique. Nous discuterons plus en détail les distinctions de cinétique de biodégradation. En ce qui concerne l’établissement des fractions réfractaire et biodégradable de la matière organique, Percherancier et al. (1996) ont montré que le résultat des incubations à long terme était indépendant de la nature de l’innoculum bactérien éventuellement ajouté, qui n’influe que sur la cinétique du processus. C’est la raison pour laquelle le protocole de Servais et al. (1995) est aussi long, comparé à ceux proposés par

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Lucena et al. (1990), Kaplan et Newbold (1995), Dubreuil et al. (1997), ou Namour et Müller (1998) dans lesquels le processus de biodégradation est optimisé. Il est cependant intéressant, pour mesurer précisément les faibles niveaux de carbone organique biodégradable caractéristiques des milieux naturels (2-3 mgC/L) d’éviter un ajout de biomasse, comme le propose Servais et al. (1995).

2.2 Carbone organique biodégradable en conditions anoxiques

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.

Bien que ce protocole soit extrêmement simple, ainsi que les mesures à réaliser, il reste lourd à mettre en œuvre, du fait des précautions à prendre pour maintenir le milieu en conditions oxiques pendant quarante-cinq jours (généralement assurées par bullage) sans contamination organique. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la thèse de Jérôme Dispan et du programme PIREN Seine, un protocole similaire, en conditions anoxiques, a été mis au point (Tusseau-Vuillemin et al. (2003a)). Ce protocole repose sur le fait que les bactéries hétérotrophes sont généralement capables, en conditions anoxiques, d’utiliser les nitrates plutôt que l’oxygène comme accepteur d’électrons pour la métabolisation de la matière organique biodégradable. Au lieu de maintenir des conditions oxiques dans les incubateurs, on se place donc délibérément en conditions anoxiques (en faisant buller du diazote pendant quelques minutes et en scellant les flacons d’incubation) pendant quarante-cinq jours. Un niveau suffisant de nitrates (évalué à partir d’une mesure préliminaire de la DCO de l’échantillon, convertie en « demande chimique de nitrates ») est assuré dès le début d’incubation sous forme de nitrate de sodium concentré (100 gN/L). Afin de valider cette méthode, les deux types d’incubation, oxique (Servais et al. (1995)) et anoxique (ci-dessus) ont été appliqués à dix-huit échantillons d’eau de rivière, d’eau usée brute et traitée, dans laquelle la matière organique diffère à la fois par sa nature et par sa concentration. La comparaison des résultats obtenus en termes de carbone organique biodégradable dissous, particulaire et total est présentée en Figure 13. Des corrélations très significatives ont été obtenues, qui expriment une légère (néanmoins significative : pentes < 1, α < 0,5) sous-estimation de la matière organique biodégradable lorsqu’elle est déterminée en conditions anoxiques (17%, 7% et 7% pour les différentes fractions).

13 Tusseau-Vuillemin M-H, Dispan J, Mouchel J-M, Servais P. Biodegradable fraction of organic carbon

estimated under oxic and anoxic conditions. Wat Res 2003; 37: 2242-2247.

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y = 0,83x R2 = 0,99 0 25 50 75 0 25 50 75 BDOCO2 (mgC.L-1 ) BDO CNO 3 (mg C .L -1) a)

a) : carbone organique dissous b) : carbone organique particulaire c) : carbone organique total

Figure 13. Comparaison des concentrations en carbone organique biodegradable obtenues en conditions oxiques (indice O2) et anoxiques (indice NO3). Figure d’après

Tusseau-Vuillemin et al. (2003a)).

Au-delà de la conclusion opérationnelle selon laquelle il est possible de réaliser une mesure de carbone organique biodégradable en conditions anoxiques et de la comparer à d’autres valeurs obtenues en conditions oxiques, cette expérience pose la question de la signification de tels bilans. Observe-t-on réellement, en fin d’incubation, une partie des molécules présentes initialement et réfractaires à la métabolisation, ce qui pourrait être une propriété intrinsèque, ou bien un cocktail de molécules fabriquées par les bactéries au cours de la métabolisation, dépendant de fait des conditions dans lesquelles le processus s’est déroulé ? Le formalisme habituel de fractionnement de la matière organique en classes de biodégradabilité nous incite à raisonner selon la première hypothèse, mais pour comprendre cet exemple, on doit probablement prendre en compte également l’ensemble des processus de métabolisation. On considère depuis longtemps que la biodisponibilité de la matière organique pour les micro-organismes est similaire en conditions oxiques ou anoxiques (Van Haandel et al. (1981)) et cette hypothèse constitue le socle des modèles actuels de traitement des eaux usées (Henze et al. (1987)), même si les techniques de microbiologie habituellement utilisées pour la vérifier n’autorisent pas une précision à 10%. En revanche, il est possible que l’incubation en conditions anoxiques provoque des apports supplémentaires de matière organique réfractaire à la métabolisation, par exemple du fait de la mortalité d’une partie de la biomasse hétérotrophe qui ne parvient pas à s’adapter et de la quasi-totalité des protozoaires. La disparition de ces prédateurs bactériens est en outre de nature à diminuer l’efficacité de la métabolisation ultime de la biomasse bactérienne qui pourrait alors s’accumuler sous forme de débris organiques non dégradés. Ainsi, dans la partie hypoxique d’un réservoir d’eau douce, Bellanger et al. (2004) observent une composition isotopique de la matière organique en suspension compatible avec une origine bactérienne. Ces hypothèses sont évaluées et grossièrement quantifiées par Tusseau-Vuillemin et al. (2003a), qui montrent qu’elles pourraient rendre compte de la différence de 7 à 17% des fractions de carbone organique biodégradable total et dissous et relativisent la notion de matière organique réfractaire.

y = 0,93x R2 = 0,99 0 20 40 60 80 100 120 0 20 40 60 80 100 120 BPOCO2 (mgC.L-1 ) BP O C NO 3 (m g C .L -1) b) y = 0,93x R2 = 0,99 0 20 40 60 80 100 120 140 0 20 40 60 80 100 120 140 BTOCO2 (mgC.L-1) BT O CNO 3 ( m g C .L -1) c) CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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