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Chapitre 3. Biodisponibilité des micro-polluants en milieu aquatique

3 Facteurs de contrôle de la biodisponibilité des hydrocarbures aromatiques polycycliques

3.3 Impact de la matière organique particulaire

La faible solubilité et le caractère hydrophobe du B(a)P se traduisent, dans un environnement aquatique, par une forte affinité pour la phase particulaire (PIREN). Les matières en suspension susceptibles d’offrir de telles surfaces d’adsorption sont de nature très diverses. En guise de première approche, Gourlay et al. (2005a) ont étudié deux compartiments particulaires d’origine biologique : des algues unicellulaires (Selenastrum capricornutum) et les particules produites lors de la dégradation d’un substrat soluble (Viandox®). Ces deux types de matière organique particulaire peuvent être interprétés comme des modèles pour les particules d’origine algale et microbienne, impliquées au début et à la fin du cycle de la matière organique en rivière. La méthodologie est identique à celle exposée plus haut (voir chapitre 3.1) puisque l’on détermine des constantes de partition à partir de la différence de bioaccumulation du B(a)P par les daphnies en présence ou en absence de matière organique. Cependant, la biodégradation de substrat soluble produisant à la fois de la matière organique particulaire et soluble, un modèle de partition à trois compartiments (B(a)P libre, dissous et particulaire) a été utilisé pour reproduire les données expérimentales (Gourlay et al. (2005a)). La matière organique d’origine algale provoque une très forte diminution de la bioaccumulation du B(a)P par les daphnies (Figure 44), qui est d’autant plus visible que la durée d’exposition des daphnies est importante (4 à 24 heures)33.

Figure 44. Quantité de B(a)P (ng) accumulé dans dix daphnies (âgées de 5 à 7 jours), après 4, 8 ou 24 heures d’exposition dans une solution de B(a)P à 1 µg/L, en présence d’algues unicellulaires (Selenastrum capricornutum). D’après Gourlay et al. (2005a).

Bien que les algues soient ingérées par les daphnies au cours de l’exposition (40 à 70% des algues sont ingérées après une journée d’exposition), le B(a)P qui leur est associé n’est donc pas retenu dans les organismes. On voit sur cet exemple où l’on a fait varier le temps d’exposition que la notion de constante de partition demande à être précisément définie, surtout lorsqu’elle est obtenue par une mesure biologique. Les constantes de partition

33 Les solutions d’exposition sont préparées une heure avant l’immersion des daphnies, quelle que soit

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obtenues pour les produits de biodégradation du Viandox sont sensiblement du même ordre de grandeur que celles obtenues pour les algues, avec la même durée d’exposition.

Conditions expérimentales

KDOC x104 (L/kg) KPOCx104 (L/kg) r², n Algue Selenastrum capricornutum

4 heures d’exp. n.d. 49 (± 12) 0.92, 8

24 heures d’exp. n.d. 149 (± 38) 0.89, 16

Réacteur de biodégradation (4 heures d’exposition) 3ème jour : Filtrat

eau brute 14.3 (± 1.6)

46.3 (± 6.1)

0.96, 14 0.97, 14 7ème jour : Filtrat

eau brute 20.1 (± 2.9)

15.7 (± 3.7)

0.96, 11 0.96, 13 Tableau 8. Constantes de partition déterminées pour les algues monocellulaires et les produits de dégradation du Viandox ® en réacteurs. D’après Gourlay et al. (2005a).

A partir des valeurs du Tableau 7 et du Tableau 8, il est possible de simuler la répartition du B(a)P entre les compartiments « dissous libre», « dissous associé à la matière organique» et « associé à la matière organique particulaire» pour des milieux types. Cette vision est macroscopique et repose sur des estimations biologiques. On pourrait donc tout aussi bien employer les termes « biodisponible », « dissous non biodisponible » et « particulaire non biodisponible ». Pour établir le Tableau 9 et la Figure 45, on formule les hypothèses simplificatrices suivantes : les eaux usées sont représentées par le susbtrat Viandox®, les eaux traitées sont représentées par ce substrat lorsqu’il a subi une dégradation complète en réacteurs. La Seine à l’aval de Paris est représentée également comme de l’eau traitée, en adoptant les valeurs de carbone organique dissous et particulaire de Servais et al. (1999). Enfin, on décrit une rivière eutrophe, en début et en fin de floraison, comme une culture d’algues monocellulaires de concentration équivalente, fraîche ou bien fanée.

1) Eaux usées 2) Eaux traitées 3) La Seine en aval de Paris

DOC, pKDOC 43 mgC/L, pK = 4,8 10 mgC/L, pK =5,5 5,5 mgC/L, pK = 5,5

POC, pKPOC 187 mgC/L, pK = 5,7 20 mgC/L, pK = 5,2 5,2 mgC/L, pK = 5,2

4) rivière eutrophe (début de bloom)

5) rivière eutrophe (fin de bloom)

DOC, pKDOC 6 mgC/L, pK = 5,1 3 mgC/L, pK = 5,5

POC, pKPOC 6 mgC/L, pK = 6,0 3 mgC/L, pK = 6,0

Tableau 9. Description de quelques matrices aquatiques typiques en termes de matière organique, dissoute et particulaire, et de constantes de partition vis à vis du B(a)P (estimées par bioaccumulation pendant quatre heures).

Ces hypothèses posées (Tableau 9), on obtient les répartitions suivantes (Figure 45) pour le B(a)P dans ces différents milieux qui ont en commun d’être fortement soumis à l’influence anthropique. Selon l’Equation 1, cette répartition ne dépend pas de la concentration en B(a)P. On observe que la biodisponibilité du B(a)P (représentée par le quartier blanc) est très variable, d’un milieu à l’autre, le maximum étant atteint pour les eaux les plus « humifiées », c’est à dire la Seine à l’aval de Paris, ou la rivière eutrophe après dégradation du bloom. Au contraire, le B(a)P est très peu biodisponible dans les eaux usées brutes. L’évaluation du risque lié au B(a)P en milieu aquatique nécessite donc, non seulement de prendre en compte la présence de matière organique, dissoute et particulaire, mais également son origine et son devenir à court terme. L’inclusion d’une variable « B(a)P » dans le modèle Prose dans les

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mois qui viennent a pour objectif de quantifier l’importance relative et la variabilité spatio-temporelle des micro-polluants associés à ces différentes fractions de matière organique.

POC= 5.2 mg C/L DOC= 5.5 mg C/L

Seine downstream Paris WWTP (Servais et al, 1998) POC= 20 mg C/L

DOC= 10 mg C/L

Paris WWTP effluent

(Tusseau-Vuillemin and Le Réveillé, 2001)

5.5 5.2 5.2 5.5 POC= 187 mg C/L DOC= 43 mg C/L 5.7 4.8 Paris sewer (Servais et al, 1999) POC= 3 mg C/L DOC= 3 mg C/L

Eutrophic river, bloom ending POC= 6 mg C/L

DOC= 6 mg C/L

Eutrophic river, bloom start

5.5 6.0 6.0 5.1 (Garnier et al, 1998) BaP- DOM BaP- POM free BaP Eaux usées (Servais et al., 1999) Eaux traitées Tusseau-Vuillemin et Le Réveillé (2001)

La Seine à l’aval de Paris Servais et al. (1999)

Rivière eutrophe, début de bloom Garnier et al. (1998)

Rivière eutrophe, fin de bloom Garnier et al. (1998)

Figure 45. Répartition théorique du B(a)P entre les phases aqueuse, matière organique dissoute et particulaire, estimées à partir des caractéristiques du Tableau 9. D’après Gourlay (2004). En italique sont indiquées les constantes de partition pour ces différentes phases (en log).

Conclusions et perspectives.

Les métaux et les hydrocarbures aromatiques polycycliques représentent deux classes de contaminants typiques des eaux urbaines et figurent en bonne place dans les diverses listes de substances dangereuses de la nouvelle directive cadre européenne sur l’eau. La première étape nécessaire à l’évaluation du risque qu’ils constituent dans les eaux urbaines consiste à se doter d’outils chimiques et biologiques permettant d’établir leur biodisponibilité dans un milieu réputé complexe. Le travail de Rémy Buzier sur le Gradient de Diffusion en couche mince, celui des équipes du CEREVE et du Cemagref de Lyon sur les membranes semi-perméables ont démontré le potentiel que représente la nouvelle génération d’échantillonneurs passifs dans ce domaine. C’est probablement du côté des modèles biologiques que se situe désormais l’enjeu méthodologique, pour obtenir une meilleure sensibilité tout en conservant la robustesse nécessaire à l’utilisation dans des eaux usées.

L’originalité de notre approche tient à la prise en compte des spécificités de la matière organique qui accompagne les métaux et les hydrocarbures dans les rejets urbains. Sans chercher à en faire l’inventaire, nous caractérisons cet ensemble de molécules diverses par leur réactivité vis à vis de la biodégradation. Ces substances représentent en effet un ensemble beaucoup plus « jeune » et biodégradable que celles que l’on retrouve dans les cours d’eau de tête de bassin et que l’on assimile souvent aux substances humiques. Nos

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résultats montrent que la matière organique issue des rejets urbains possède une capacité de modulation de la biodisponibilité des micro-polluants sensiblement différente de celle des substances humiques, plus classiquement étudiées. Cette capacité est plutôt moins importante, et de plus susceptible d’évoluer avec la biodégradation.

L’évaluation du risque écotoxicologique lié aux rejets urbains devrait prendre en compte ce potentiel de modulation, non pas dans l’objectif à trop court terme de minimiser l’impact instantané des micro-polluants, mais au contraire pour souligner l’instabilité de cette « protection » de l’écosystème par une matière organique biodégradable. Alors que l’essentiel de la littérature consacrée à la question de la biodisponibilité des micro-polluants en milieu aquatique repose sur des études thermodynamiques d’équilibre, il apparaît maintenant que l’évaluation du risque in situ est probablement contrôlée par des processus à la dynamique transitoire (mélange, biodégradation, échange de ligands), malheureusement plus complexes à aborder.

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