• Aucun résultat trouvé

Un exemple de notice étymologique : IZBA

Les apports qui se dégagent de mon travail relèvent de quatre catégories : datations, étymologies, assimilation et mise en perspective.

Premièrement, le dépouillement d'un nombre considérable de sources de première et de seconde main m'a permis d'antédater bon nombre de russismes romans par rapport à l'information disponible dans les ouvrages de référence. Ainsi, à titre d'exemple, les cent premières des 437 notices étymologiques contiennent 48 antédatations, dont roum. cilen n.m. "membre (d'un collège, notamment d'un tribunal)" (1775 [Tiktin3 : 1825]), it. zar n.m. "tsar" (1550 [DELI2 : 1657]), fr. tchernoziom n.m. "sol caractérisé par sa couleur noire et par la présence, dans la partie la plus basse, de concrétions accumulées de carbonate de chaux, d'un type courant en Russie" (1847 [TLF : 1876]), cat. bolxevisme n.m. "bolchevisme" (1921 [DCVB 1978]), esp. balalaica n.f. "balalaïka" (1853 [DEA : 1965]) et port. apparatchik n.m. "appa-ratchik" (1995 [Houaiss 2001]). J'ai aussi pu apporter un certain nombre de rétrodatations, notamment pour le domaine roumain, par exemple chibitcă n.f. "véhicule en forme de chariot attelé" (dp. 1814 [Tiktin3 : dp. 1789]).

Le réexamen systématique des étymologies relevées dans les ouvrages de référence, conduit à la lumière de la comparaison intra-romane, mais aussi à celle des nouvelles datations citées ci-dessus, m'a amenée à faire un certain nombre de propositions étymologiques inédites. À titre d'exemple, les cent pre-mières notices étymologiques contiennent onze étymologies nouvelles, dont celles d'it. zar (< latRen. [DELI2 : < russ.]), fr. tsar (< latRen. [FEW : < russ.]), cat. tsar (< fr. [DECat : < russ.]) et esp. zar (< fr. [DRAE : < russ. ; Ø DCECH]). S'y ajoutent les nombreux cas où mes recherches m'ont permis d'arbitrer entre des étymologies concurrentes avancées par la littérature de référence, ainsi que les russismes — et ils sont légion ! — qui ne sont répertoriés par aucun dictionnaire à orientation étymologico-historique et qui, de ce fait, sont étymologisés ici pour la première fois.

En plus des datations et des étymologies, je pense avoir obtenu des résultats particulièrement tan-gibles dans le domaine de l'étude du degré d'assimilation des russismes. Mes conclusions dans ce domaine se nourrissent en particulier du traitement systématique et approfondi des formations secondai-res générées par les russismes (les «dérussismes»), qui jouent le rôle d'un indicateur de vitalité et d'inté-gration dans la langue d'arrivée. Mais mon apport le plus original à cet égard aura sans doute été la mise en évidence des russismes qui ont pris un sens secondaire détaché de la civilisation russe, comme roum.

raion n.n. "unité administrative en vigueur en Roumanie de 1950 à 1968" (s.v. RAJON), it. boiardi n.m.pl. "classe sociale des familles aisées de Sicile ; directeurs des grandes entreprises d'État italiennes" (s.v. BO

-JARIN), fr. samizdat n.m. "ouvrage publié clandestinement (Chine/Suisse/etc.) ; auteur publié de façon clandestine (ici : J. Prévert) ; ouvrage de peu d'envergure (France)" (s.v. SAMIZDAT), cat. troica n.f. "trois personnes partageant une responsabilité (ici : entourage d'un peintre)" (s.v. TROJKA), esp. checa n.f. "centre de détention et de torture (durant la guerre civile espagnole) ; local où œuvre une police secrète qui ne respecte pas les droits de l'homme" (s.v. ČEKA) ou encore port. samovar n.m. "espèce de théière brésilienne en métal disposée sur une monture" (s.v. SAMOVAR). Le graphique de la page suivante (→ illustration 5) illustrera cette approche.

Bien évidemment, l'intérêt de cette monographie dépasse celui du cumul des différentes rectifi-cations en matière de datations et d'étymologies ainsi que celui des informations qu'elle contient sur le degré d'intégration des différents russismes. En réalité, elle tire sa véritable valeur d'une mise en

per-spective à deux niveaux. Le premier niveau est constitué par la vision romane adoptée dans les 437

notices étymologiques, dont le commentaire assigne à chaque idiome considéré sa place à l'intérieur d'un ensemble cohérent. Si la perspective comparatiste est particulièrement sensible dans les notices traitant des emprunts panromans, elle est, bien sûr, toujours présente de manière sous-jacente, y compris dans les notices consacrées à une seule langue romane : le témoignage muet des langues sœurs qui n'ont pas emprunté tel lexème russe contribue aussi, à sa manière, à situer un emprunt réalisé dans un idiome don-né. À ce titre, les langues romanes fonctionnent donc comme une toile de fond devant laquelle les phéno-mènes individuels se détachent plus facilement. Le second niveau de mise en perspective consiste en une synthèse, d'abord pour l'ensemble des langues romanes, puis langue par langue, des résultats obtenus pour les 437 russismes réunis.

• "Bolşevic, colhoz, stahanovist : les «soviétismes» du roumain comparés à ceux

des autres langues romanes" (→ Buchi à paraître d)

Cet article, issu d'une communication présentée lors du XXIIIe Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes (Salamanque 2001), représente une première exploitation des résultats de la monographie sur les russismes romans (→ Buchi à paraître b) au service d'une étude spécifique. En l'oc-currence, je me suis posé la question de savoir si, du fait de l'appartenance de la Roumanie, entre 1947 et 1989, à la sphère d'influence de l'URSS, le roumain se distinguait des autres langues romanes au niveau du vocabulaire d'origine russe de la période soviétique (et post-soviétique).

Entre 1917 et nos jours, 85 lexèmes russes ont été empruntés par une ou par plusieurs langue(s) romane(s). Ils se répartissent comme suit : pour 37 emprunts (43 %), on observe une convergence com-plète entre le roumain et ses langues sœurs ; quatre ne sont pas représentés en roumain, deux seulement sous la forme de calques ; dans huit cas, la lexicalisation est soit nettement plus poussée en roumain que dans les autres langues romanes, soit notablement moins poussée ; six russismes s'appliquent en roumain à des réalités indigènes ; enfin 28 emprunts (33 %) ne sont connus que du roumain (→ illustration 6 de la page suivante, qui schématise ces chiffres).

Cette approche basée sur des dénombrements complets assigne au roumain une position assez parti-culière au sein de la famille néolatine, bien moins cependant que celle qu'il occupe par rapport aux emprunts à l'ancien slave méridional et au slavon. Presque la moitié des soviétismes sont communs au roumain et à ses langues sœurs, ainsi roum. bolşevic (dp. 1918), it. bolscevico (dp. 1906), fr. bolchevique (dp. 1917), cat. bolxevic (dp. 1917), esp. bolchevique (dp. 1917), port. bolchevique (dp. 1917) ; roum.

colhoz (dp. 1934), it. colcos (dp. 1929), fr. kolkhoz (dp. 1931), cat. id. (dp. 1937), esp. koljós (dp.

1924/1942), port. kolkoze (dp. 1929) ; roum. stahanovist (dp. 1945), it. stacanovista (dp. 1935), fr.

stakhanoviste (dp. 1935), cat. stakhanovista (dp. 1934/1938), esp. estajanovista (dp. 1958), port. stakhanovista (dp. 1940/1945). Mais le roumain est le seul à avoir emprunté un tiers des russismes de

cette période ; ces particularismes concernent notamment le vocabulaire de l'enseignement et de la culture (par exemple cursant n.m. "étudiant", dp. 1950), d'autre part celui de l'agriculture et de la technique (par exemple turbobur n.n. "turboforeuse", dp. 1961).