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2.2.2 Un déclin des institutions de socialisation ?

Dans le document Sociologie de l'éducation (Page 37-40)

Le sociologue François Dubet (2002, Le déclin de l’institution, Paris, Editions du Seuil, L’Epreuve des faits) pose l’hypothèse suivante : les institutions de socialisation sont au- jourd’hui en déclin. Leur programme éducatif des institutions de socialisation n’a plus au- jourd’hui la même force de persuasion.

1 Extrait de la brochure « Devenir enseignant. Le métier change, la formation aussi. Deux décrets, une forma- tion revalorisée pour une profession d’action et de création », éditée par le Ministère de la Communauté fran-

Précisons quelque peu la notion de « programme institutionnel ». Pour Dubet (op.cit. : 24), « il existe un programme institutionnel quand des valeurs ou des principes orientent direc- tement une activité professionnelle de socialisation conçue comme une vocation et quand cette activité professionnelle a pour but de produire un individu socialisé et un sujet auto- nome ». C’est dire qu’il faut ici s’interroger sur « le processus social qui transforme des va- leurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spéci- fique et organisé » (ibid.).

François Dubet montre que le modèle scolaire français est touché par l’affaiblissement de « la vocation de l’école républicaine dont on sait qu’elle avait pour objectif de construire un type de légitimité politique, un type de citoyenneté, un type d’identité nationale ». Au- jourd’hui, tous les enfants n’acceptent plus de se soumettre à la discipline forte, et parfois violente, qui régnait jadis à l’école.

Pourquoi ? Envisageons à présent plusieurs éléments de réponse.

Premièrement, en raison de la modification du public scolaire. Il n’y a plus cette connivence

qui existait « entre les maîtres et leur public, car les instituteurs étaient les fils du peuple qui enseignaient au peuple, et les professeurs – au collège et au lycée – les fils de la bourgeoisie qui enseignaient à la bourgeoisie » (Ruano-Borbalan,J.C., 2001, « Des sociétés sans autori- té ? », Sciences humaines, n°117, « Autorité : de la hiérarchie à la négociation », p.26). Les clivages sociaux des sociétés industrielles, séparant travailleurs manuels et travailleurs intel- lectuels, ont perdu de leur pertinence. Les frontières sont moins nettes entre ces deux groupes sociaux : le travail manuel en usine a cédé la place à des activités automatisées, ro- botisées. De nouveaux clivages sont apparus, sur base notamment de l’origine ethnique et/ou culturelle. De nouvelles catégories ont émergé dans le discours politique : c’est le cas, par exemple, des élèves ou des jeunes « d’origine étrangère ». L’intégration culturelle, la gestion de la diversité ethnique sont autant de défis sensibles contre lesquels l’école pu- blique vient bien souvent buter.

Deuxièmement, en raison de l’émergence d’une société de l’information et de la connais-

sance. Dans cette société de l’information, l’Ecole contrôle de moins en moins le processus de production des connaissances et elle n’a plus le monopole des contenus auxquels on peut croire. La parole du maître prend les allures d’un monologue peu convaincant dans un monde où « tout se discute », ou plus précisément, où tout est relatif puisque « ça » se dis- cute. Les jeunes sont-ils par ailleurs dépourvus de connaissances ? Il serait présomptueux de l’affirmer quand un simple « click » ouvre le regard sur l’étendue, la diversité et la relativité des connaissances humaines.

Troisièmement, en raison de l’affaiblissement de la place et du rôle de l’école publique dans

le processus de formation et d’acquisition des compétences : elle n’est plus à présent l’acteur essentiel mais un acteur parmi d’autres. Les politiques de formation préconisées par l’Union Européenne (déclaration stratégique de Lisbonne, 2000) sont empreintes de la réfé- rence au « long life learning » : plus que d’enseignement, il est question de formation tout au long de la vie. La constitution d’un espace européen de l’enseignement supérieur (pro- cessus de Bologne), la définition de profils de qualification professionnelle communs dans les différents pays membres (processus de Bruges-Copenhague), l’importance croissante de la formation en entreprise,… sont autant d’indices de l’ouverture d’un vaste marché de la for- mation.

Quatrièmement, le mode d’organisation du travail requiert de nouvelles compétences, fort

éloignées de la référence bureaucratique. « Le temps des notes de service détaillées et obli- gatoires, le temps des agents s’abritant derrière un règlement qui prévoit tout est, selon Jean De Munck (2000, « Les métamorphoses de l’autorité », Autrement, n°198, 21-42), en passe de finir. L’autonomie, la discussion et la démocratisation sont aujourd’hui encadrées de manière plus informelle. Le contrôle naguère visible et scrupuleusement codifié se fait distant, il peut même sembler s’effacer » (Ruano-Borbalan J.C., 2001, op.cit., p.27).

Pour Jean de Munck (2001, in Ruano-Borbalan, J.C., op.cit.), il est donc vain de continuer à penser l’autorité en termes uniquement institutionnels. Depuis les années soixante, et plus tard, avec l’écroulement du mur de Berlin, l’autorité institutionnelle a été fortement ébran- lée : avec le mur, les derniers états totalitaires disparaissaient d’Europe. C’était la fin d’un modèle paternaliste d’exercice du pouvoir. Ce fut aussi le début d’une crise des modèles fondés sur les grandes références morales : il n’est plus possible, comme l’imaginait le socio-

logue français Emile Durkheim (fin du 19e siècle – début du 20e siècle) de fonder l’autorité

sur le conformisme moral, sur l’adhésion à un même univers de valeurs : pour Durkheim, il s’agissait d’une morale laïque et républicaine. Les figures du père de famille, du professeur, du prêtre, du représentant de l’Etat, du dirigeant syndical ou politique ne vont plus de soi. Leur légitimité n’est plus acquise, mais elle doit à présent se construire.

L’Ecole est, comme d’autres institutions, traversée par des évolutions marquant la fin d’un modèle d’organisation sociale propre aux sociétés industrielles, et l’affirmation d’un nou- veau modèle : celui des sociétés post-modernes ou post-industrielles.

Cinquièmement, l’inflexion et la formalisation des missions éducatives dévolues à l’école. Le

législateur de la Communauté française de Belgique a ainsi adopté, en 1997, un décret défi- nissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secon- daire et organisant les structures propres à les atteindre. A côté d’une nouvelle orientation

pédagogique, articulée autour de la notion de « compétence », émergent trois autres mis- sions : le développement de la personne de chacun des élèves ; l’éducation citoyenne ; l’émancipation sociale. Le temps de la transmission de savoirs paraît non seulement révolu mais également trop restrictif : il faut à présent concevoir, gérer et évaluer des situations d’apprentissage contribuant ou visant à développer l’exercice de ces compétences, à pro- mouvoir la confiance en soi, à contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures, et à assurer à tous les élèves les mêmes chances d’émancipation.

Dans le document Sociologie de l'éducation (Page 37-40)