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Un biculturalisme et une acculturation

II. LA CULTURE EDUCATIVE

1. Cultures étrangères

1.2. Civilisation française

1.2.4. Un biculturalisme et une acculturation

Compte tenu de ce qui précède, l’enseignement primaire aux muslmans durant l’occupation française a favorisé de plus en plus la cohabitation des habitudes culturelles, europénnes et arabo-musulmanes. D’ailleurs, cet enseignement était destiné à des enfants, terrain favorable à une acquisition naturelle et solide d’une langue étrangère. Puis, nous pouvons dire que le colon français avait une vision à long terme parce que ces enfants, apprenants très jeunes étaient fragiles à la question identitaire donc culturelle. Dans ce but, l’enfant ayant acquis une langue étrangère en étant jeune est exposé à la perte de sa culture et développe un biculturalisme aufur et à mesure qu’il grandit..

Puis, le fait que les deux communautés, algérienne et française aient vécu ensemble, sur le même territoire, de toute évidence, des échanges d’habitudes comportementales relatifs au mode de vie, s’est automatiquement produit. Les Français apprenaient la manière de vivre des Algériens et les Algériens apprenaient la manière de vivre des Français. Certes, il y avait deux langues actives mais également deux cultures dynamiques, la culture algérienne, arabo-musulmane et la culture française, occidentale qui vivaient en symbiose. En conséquence, dans cet état de faits, durant la période française

en Algérie, des relations de tous types se sont développées entre les Algériens et les Européens (amicales, commerciales, professionnelles, etc) que nous ne pouvons

ignorer car sociologiquement parlant, le refrain de vie algéro-française malgré les tumultes

de guerre, a généré le nid à deux cultures jumelles qui se sont adoptées dans un biculturalisme discret.

De cette façon, le bilinguisme en Algérie est surtout le fruit d’une politique éducative française. Car aujourd’hui, il y a des Algériens qui emploient le français académique parfaitement bien, que ce soit à l’écrit ou à l’oral alors qu’ils n’ont pas été à l’université. Aussi, ces francisants, sont parfois identifiés par la communauté comme ressemblant aux Européens parce qu’ils ont un mode de pensée et de vie relatifs aux gens de l’Europe. Donc, nous ne pouvons négliger l’influence culturelle d’une langue sur le comportement d’un individu surtout, s’il est question, comme le cas de l’Algérie, d’un colonialisme qui a duré plus d’un siècle. D’ailleurs, l’auteur Rachid Boujedra,

répondant à une interview : Pour un Algérien de votre génération, être bilingue est une évidence. Sur ce point, il répond :

« C’est l’histoire qui nous a rendus bilingues, c’est l’histoire qui l’a décidé pour nous. Nous n’avons pas choisis le Français, nous l’avons subi (…) J’ai une langue naturelle, biologique presque, et l’autre que je ne connaissais pas si je n’avais pas été colonisé. J’aurais peut être appris le Français plus tard comme j’ai appris d’autres langues, mais je ne serais pas bilingue (…), mais il n y a que deux langues que je possède suffisamment pour écrire : le français et l’arabe. »1

Par le fait même du contact des deux langues, les Algériens ont eu un contact qui a duré un siècle et trente année avec la culture française et il s’est produit une assimilation ou ce qui est appelé l’acculturation. D’ailleurs C.Fitouri affirme que l’acculturation transforme la façon d’être des individus: « pour un pays sous-développé, […], ce processus

d’acculturation transforme dans un sens négatif la manière d’être de ceux qui le subissent »2

La population algérienne, arabo-musulmane soumise au processus d’acculturation se trouve alors confrontée non seulement à deux codes linguistiques mais également à deux systèmes culturels différents. Il en a résulté un parler bilingue, arabe (dialectal) et français, dans les communications quotidiennes et employé par toutes les catégories sociales, qu’elles soient instruites ou non et même aujourd’hui, nous pouvons voir qu’il se manifeste d’une façon officielle car les Ministres emploient ce parler bilingue franco-arabe souvent à la télévision. De manière que ce parler commun, bilingue à deux communautés vivant sur le même territoire ne fut, en réalité, que la preuve tangible d’une acculturation subie, comme le confirme C.Fitouri :

Ce langage intermédiaire entre l’arabe et le français qu’utilisent les catégories instruites de la population traduit bien l’ambigüité produite par l’acculturation et que d’aucuns considèrent comme l’annonce d’une « culture de transition », laquelle serait le résultat pathologique de l’acculturation subie pendant plus d’un siècle.3

1 DAUPHIN-MONIC LEONARD J. : Bilinguisme : enrichissement et conflits, Actes du Colloque organisé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Toulon et du Var les 26,27 et 28 mars 1999, Réunis par Fellici Isabelle, éditions HONORÉ CHAMPION, Paris, 2000, p.96

2 FITOURI C. : Biculturalisme, bilinguisme et éducation, DELACHAUX & NIESTLÉ, éd. NEUCHATEL-PARIS, 1983, p.134

3 Ibid,

En effet, l’impact du contact de langues peut avoir comme effet l’acculturation car, la langue arabe (l’arabe dialectal) est réduite à une langue de communication entre groupes ethniques de même origine, explique le phénomène d’acculturation. En revanche, la culture arabo-musulmane, pendant l’occupation coloniale, est restée intacte car les valeurs qui étaient en jeu étaient ancrées et inébranlables, relatives à des traditions ancestrales véhiculées par la société algérienne quelque soient les changements imposés par la société colonisatrice. D’alleurs, Fitouri soutient que :

Le trait le plus saillant de la culture arabo-musulmane et d’avoir reposé, dans toutes les contrées de l’Empire et à toutes les époques, sur le couple « Unité/Diversité » : unités de valeurs fondamentales qui constituent l’idéal islamique et diversité des accommodations faites à cet idéal. Ce sont, du reste, ces valeurs fondamentales qui forment le noyau irréductible de la culture arabo-musulmane et qui font qu’en dépit de toutes les vicissitudes de l’histoire et de toutes les acculturations (prises au sens de domination) cette culture n’a jamais atteint le point de désintégration.1

Ainsi, comme l’explique l’auteur cité ci-dessus, il ne suffit pas que deux cultures entrent en contact pour que l’une ou l’autre soit anéantie. Mais, lorsque les contacts sont volontairement choisis et imposés, il se produit une acculturation ferme car, lorsque deux catégories socioculturelles, l’une arabo-musulmane et l’autre franco-occidentale,

s’affrontent violemment sur le même espace, les interactions sociales produisent des parlers bilingues déséquilibrés. Autrement dit, il y aura alors la catégorie bilingue

équilibrée qui considèrera cette acculturation comme un enrichissement tandis que l’autre catégorie, plutôt conservatrice, l’envisagera comme une agression profonde, notamment à ses valeurs, avec, par exemple, l’éducation à l’école française (maure-française) qui invitait les jeunes algériens à l’apprentissage de leur langue dans le but de leur inculquer la culture française, la culture modernisatrice. Au point que dès que les Algériens musulmans se retrouvaient en famille, le conflit de valeurs surgissait. Cela dit, en désintégrant le système éducatif par l’enseignement d’une langue prestigieuse, c’était la désintégration de la cellule familiale algérienne et arabo-musulmane qui en résultait comme le soutient C. Fitouri par ce passage:

Avant l’indépendance- autrement dit pendant toute la période coloniale-, l’éducation dérivait d’un système d’acculturation de type conflictuel où la culture arabo-musulmane était non seulement réduite à sa plus simple expression, mais encore placée, vis-à-vis de la culture française, dans une position si désavantageuse qu’elle

1 Ibid, p.48

ne pouvait paraître aux yeux des jeunes écoliers que comme une excroissance périmée d’un passé révolu.1

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie prône d’abord l’enseignement des matières essentielles en français telles que les mathématiques, la physique, les sciences

naturelles. Ensuite, l’émergence d’une élite algérienne maîtrisant la langue française devient la fierté de l’Etat algérien. Puis, une littérature algérienne d’expression française

qui est en fait le produit d’un déchirement entre deux états totalement opposés, par la langue et la culture mais qui ont vécu une longue période ensemble, sur le même

territoire. Donc, deux états qui ont cohabité, partagé des valeurs durant plus d’un siècle.

Mais, dans cet entremêlement des races, les Algériens ont vécu des pressions de nature coloniales qui n’ont ménagé aucun moyen pour déraciner le peuple algérien de ses valeurs culturelles arabo-musulmanes. Donc, il est normal que le processus de réaffirmation de l’identité algérienne soit difficile et long parce que tel que l’atteste C.Fitouri : « […]

la restauration de la culture nationale est la récupération d’un élément constitutif de la souveraineté nationale »2.

C’est pourquoi, à l’aube de l’indépendance, la Charte d’Alger impose donc que l’Arabe devienne désormais la langue officielle comme seule prérogative afin de réinsérer l’Algérie au sein de la communauté religieuse et culturelle des pays arabes du Maghreb

et du Moyen-Orient. Mais, à l’inverse, la langue fortement demandée dès la fin de la conquête militaire française dans les secteurs de la production, de l’administratif et du système éducatif fut celle de la puissance coloniale, la langue française.

Car, d’une part, là où il y avait une implantation massive d’Européens, un contact se produisait entre les langues des autochtones, arabe dialectal ou berbère et, d’autre part,

la langue de la communauté européenne, la langue française. Ce contact a permis la formation et la genèse du bilinguisme francorabe en milieu indigène où les deux langues

pouvaient être maniées avec des degrés inégaux de compétence linguistique par des groupes d’importance inégale jouant le rôle d’intermédiaire entre les deux

communautés : la communauté indigène et la communauté européenne.

En somme le bilinguisme franco-arabe en Algérie est un bilinguisme qui s’est construit au fil d’un siècle et demi. Car, c’est le bilinguisme qui a servis aux deux

1 Ibid, pp. 65-66 2 Ibid, p. 137

communautés, algérienne et française, de moyen de communication adéquat. De ce fait, ce n’était pas seulement la langue française qui avait conquis le marché linguistique algérien mais c’était le parler bilingue franco-arabe. De ce fait, il n’y avait déjà plus

d’emploi de la langue arabe seule (recul de l’emploi de la langue arabe) parce que la communauté algérienne vivant sous la pression coloniale avait développé un type de parler facilitant la communication interpersonnelle.

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