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II. LA CULTURE EDUCATIVE

2. Glottophagie

Compte tenu de ce que nous venons de voir constitue selon L-J.Calvet la première phase de glottophagie. Autrement dit, en premier lieu, le stade vertical qui concerne des classes sociales mises en place et qui se différencient par une langue dominée en recul -ici la langue arabe- et une langue dominante mise en place par ceux qui sont proches du pouvoir colonial ou qui travaillent pour lui, tels que les domestiques, les commerçants, écrivains et poètes. En deuxième lieu, le stade horizontal, c’est celui qui a favorisé l’implantation du bilinguisme en Algérie. En d’autres termes, la différenciation sociale s’établit non sur l’échelle des classes sociales mais sur celle de campagne/ville, c’est-à-dire

que le changement de langue suit le changement structurel : on assiste au passage du monolinguisme (campagne) au bilinguisme (ville).1

L-J.Calvet estime que les classes sociales qui emploient la langue dominante

tendent peu à peu à l’abandonner, au détriment de la langue dominée (passage à un monolinguisme), et les classes inférieures des villes qui emploient la langue dominée

délaissent cette langue au profit d’une langue dominante (passage au bilinguisme).

En conséquence, une architecture linguistique se reconstruit ou ce que L-J.Calvet appelle

« superstructure » qu’il définit comme suit « un pouvoir bilingue et un peuple monolingue dans le premier stade et dans le second, une classe au pouvoir monolingue, un peuple citadin bilingue et un peuple campagnard monolingue ».2

De surcroît, L-J. Calvet affirme que le processus suivi par tous les cas de glottophagie a des fondements politiques et économiques et ceci contribue à l’évolution

dans le sens des forces contingentes telles que : l’administration, le tribunal, l’école, les médias et la presse qui favorisent la superstructure linguistique.

1 CALVET L-J. : Les voix de la ville, Introduction à la sociolinguistique urbaine, éditions Payot &

Rivages, Paris, France, 1994, p. 10 2 Ibid,

La langue dominante s’impose selon un schéma qui passe par les classes dirigeantes, puis par la population des villes et enfin par la campagne, ce processus s’accompagnant de bilinguismes successifs, là où la langue dominée résiste. Mais la disparition d’une langue (glottophagie réussie) ou son contraire dépendant de nombreux facteurs non linguistiques, en particulier des possibilités de résistance du peuple qui parle cette langue.1

Par ailleurs, L-J.Calvet associe la langue dominante aux formes les plus modernes d’économie, c’est-à-dire, les autres formes les plus efficaces de l’exploitation capitaliste de l’homme par l’homme. Et la langue dominée, il l’associe aux formes archaïques de production, c’est-à-dire aux formes de vie sociale les plus proches de la tradition locale.

Il propose ainsi les trois couples oppositifs suivants:2 - Industrie, commerce agriculture

- Ville campagne

- Langue dominante langue dominée

En résumé, selon L-J.Calvet, tout processus de glottophagie est nécessairement lié à des forces économiques. Autrement dit, dans tout développement économique, les forces de résistances constituées par la conscience nationale du peuple opprimé s’insurgent contre l’oppresseur. Donc, cette conscience nationale est la seule force de résistance contre la glottophagie et c’est la raison pour laquelle le colon français n’a jamais réussi à s’imposer en Algérie malgré 130 années de colonisation. D’ailleurs L-J.Calvet le signale

dans ce passage:

Il avait en lui une langue renforcée par son rôle religieux, l’arabe (et, de ce point

de vue, la langue est en quelque sorte le maquis du peuple : on s’y abrite de la langue dominante, on y lutte contre elle), et une langue retranchée dans les montagnes où vivait un peuple qui la parle, le berbère, bien sûr mais surtout un peuple refusant l’oppression et qui prendra les armes contre la présence politique et économique française.3

En somme, nous pouvons dire que le bilinguisme franco-arabe qui a pris naissance durant l’occupation coloniale française est en vérité aussi le produit d’une certaine politique économique planifiée par la France. Certes, l’objectif des Français était

1 Ibid, p. 112 2 Ibid, p. 112 3 Ibid, p. 113

d’imposer sa langue à des fins économiques mais, les Algériens, c’est grâce à leur foi et leur attachement culturel profond qu’ils ont pu contourner toutes les manœuvres du colon français qui n’a jamais cessé de se servir des besoins des Algériens (linguistiques, sociaux, économiques) pour arriver à l’assimilation linguistique. Donc, la politque linguistique entreprise par le colon français était une stratégie de guerre à visée autant économique que linguistique. Car, en tant de guerre, la langue demeure une arme redoutable afin d’assouvir les besoins économiques tout en effaçant les traces d’une culture véhiculée par la langue du Coran.

2.1. Les conséquences linguistiques

D’autant plus, tous les cas de glottophagie engagée engendre des répercussions sur le plan linguistique tel que la diglossie (même dans le cas d’une interruption du colonialisme). En d’autres termes, selon L-J. Calvet, le colonialisme laisse des traces

de type superstructurel :

Dans le cas d’une interruption du colonialisme, la diglossie demeure le plus souvent comme constituant de la superstructure linguistique : il y a alors plusieurs langues en jeu et nous nous trouvons dans une situation très proche du premier (colonialisme naissant) ou du second (colonialisme triomphant)…1

Par voie de conséquence, après l’indépendance, en Algérie, il y eut deux types de français, celui parlé par les Français et celui parlé par les Arabo-Berbères. Entre autres, la politique de francisation a également touché les populations immigrantes en Algérie telles que : les Espagnols, les Italiens et les Maltais, ce qui favorisa, en quelque sorte, l’installation du multilinguisme. Donc, il y avait deux communautés ethniques, de cultures différentes qui employaient un français métropolitain. Egalement, les contacts avec les idiomes ont donné naissance à des variations internes d’ordre phonétique, morphosyntaxique et lexical, d’où l’apparition de plusieurs variétés de français des Européens cités par A.Queffélec2 :

- la variété basilectale : essentiellement orale et spécifique aux immigrants provenant d’autres pays que la France. Selon Duclos3 (1985 :7), le « pataouète » (parler commun du petit peuple des Français ou néo-Français d’Algérie) était

1 Ibid, p. 120

2 QUEFFÉLEC A. : op. cit. p. 24 3 Ibid,

surtout pratiqué dans les centres urbains et même par une minorité de la population musulmane,

- la variété mésolectale : essentiellement employée par la communauté européenne et a également été utilisée par la communauté arabo-berbère. L’emprunt linguistique est un moyen pour désigner une certaine réalité coloniale,

- la variété acrolectale : conforme au français métropolitain donc soumise à la norme académique et surtout employée par les intellectuels.

En outre, les Arabo-berbères avaient une bonne connaissance de la langue française ce qui leur permettait d’être plus disposés au recutement dans divers services dans l’adiminitration coloniale. Ainsi, cette utilisation de la langue française par les arabo-berbères a induit une variation de l’arabe dialectal en devenant, selon A.Queffelec :

« le moyen de communication le plus usité dans les divers domaines de la vie quotidienne des autochtones»1.

Quoi qu’on en dise, la glottophagie a bel et bien été l’objectif du colonisateur.

Certes, c’est une politique qui a avorté mais qui a généré des séquelles linguistiques.

La langue française jouissait d’un statut privilégié après l’indépendance car la politique linguistique de la France visait à rendre cette langue comme étant le moyen de communication le plus répandu, comme le souligne A.Quéffelec et al .:

Dans l’immédiate après-indépendance-la première langue étrangère à jouir d’un statut de langue véhiculaire, d’idiome de grande communication et de médium de fonctionnement de l’Etat, plus particulièrement de l’école algérienne devenue le lieu de sa diffusion.2

Comme nous le savons, les locuteurs de l’Ouest-algérien tel que la ville : Oran, ont

souvent recours à des emprunts espagnols. Ceci est dû aux invasions espagnoles et également la forte immigration espagnole durant l’occupation française. En effet, les

emprunts espagnols sont assez fréquents dans les pratiques langagières des oranais jusqu’à ce jour comme le signale A.Queffelec dans ce passage : « Cette présence espagnole dans l’Oranie a laissé des traces linguistiques dans la variété oranaise d’arabe dialectal »3.

1 Ibid, p. 24

2 QUEFFÉLEC A. et al.: op. cit. p.36 3 Ibid, p. 38

Ainsi, la présence de la langue espagnole dans le parler quotidien des Oranais s’explique surtout par des facteurs sociaux et économiques : d’abord, l’Espagne, par sa proximité géographique avec l’Algérie et surtout Oran qui facilite l’accès aux jeunes.

Ensuite, pour des besoins commerciaux, les Oranais s’approvisionnent en Espagne.

C’est pourquoi les oranais emploient souvent l’espagnol en alternance avec l’arabe ou le français.

2.2. Les conséquences socio-culturelles

Toutefois, un autre visage manifeste le degré d’imprégnation des arabo-berbères par la langue française, ce sont des textes écrits par des musulmans qui voient le jour dans les années 1880. De plus, une littérature d’expression française voit le jour et se développe entre 1880 et 1890. C’est la preuve de l’émergence d’un niveau de français acrolectal maîtrisé par des Algériens musulmans attachés à leurs valeurs1.

Conséquemment, il y eut des classes sociales formées en fonction du degré de la maîtrise de la langue française en Algérie. D’abord l’élite appelée aussi classe des Francophones qui regroupaient les Algériens instruits, cultivés et qui jouissaient d’un prestige social et économique. Ensuite, c’étaient aussi des personnes algériennes identifiés par la communauté algérienne comme étant des Francophones et parfois un glissement de sens qui sous-entend francophiles (c’est-à-dire : sympathisants de la culture française). Enfin, la catégorie moyenne qui comprend, parle peu en Français

par besoin socio-professionnel.

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