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L’écriture de l’entrecroisement des cultures

2.4 La typologie des relations à autrui selon Todo ro

Nous proposons aussi ci-dessous un autre tableau d’analyse qui s’ap- puie sur la réflexion de Todorov autour des axes de l’altérité, nous ten- tons de retrouver dans Ce Que Le Jour Doit à La Nuit de Yasmina Kha- dra la typologie des relations à Autrui. Nous essayons de voir comment cela se manifeste sur le plan axiologique, praxéologique, et épistémique :

Les axes de l’altérité

Élucidation des différents axes de l’alté- rité dans le roman Ce Que le jour doit à la nuit Plan axiologique Jugement de valeur L’autre : « bon/mauvais »1

- Bon : « Tu es un garçon intelligent, Jo- nas, rétorqua-t-il, nullement impressionné. Tu as été élevé au bon endroit, restes-y. Les fella- gas ne sont pas bâtisseurs. On leur confierait le paradis qu’ils le réduiraient en ruines. Ils n’ap- porteront à ton peuple que malheurs et désillu- sions. »2

Il s’opère un jugement de valeurs à l’encontre de Jonas, valeurs estimées bonnes par le colon car elles sont inculquées par une mère française qui encourage son assimilation3 (mythe du bon sauvage) ;

1. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit., p. 156. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 385.

.... - Mauvais : « Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur. Cette terre ne vous appartient pas. Elle est le bien de ce berger d’autrefois dont le fantôme se tient juste à côté de vous et que vous refusez de voir. Puisque vous ne savez pas partager, prenez vos vergers et vos ponts, vos asphaltes et vos rails, vos villes et vos jar- dins, et restituez le reste à qui de droit. »1 Dans cet extrait, les valeurs des colons sont ju- gées mauvaises car ces derniers se sont empa- rés des terres et des biens des autochtones et se sont tout appropriés exclusivement.

Jonas est mauvais aux yeux de sa communauté d’origine car il s’est assimilé2 à eux.

1. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 385.

« Je l’aime/ je ne l’aime pas. »1

- Je l’aime : « ici, nous ne disons pas nostal- gie... nous disons nostalgérie. »2

L’amour que porte les pieds-noirs à l’Algérie est viscéral car ils croient à la chimère latine, cette nostalgie est aussi démontrée humaine ;

- Je ne l’aime pas : « Tu continues de te la couler douce pendant que l’on se casse les dents dans les maquis... Quand vas-tu choisir ton camp ? Faudrait bien te décider un jour... Je n’aime pas la guerre. »3

Le personnage-héros manifeste refuse l’idée de la guerre armée de libération de son pays, qui conduira certainement à la rupture des liens amicaux avec ses amis français ;

1. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit., p. 156. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 500.

Plan praxéolo- gique :

rapprochement/ éloignement1

- Rapprochement : « . . . je m’accroupis de- vant la tombe d’Émilie, joins les doigts à hau- teur de mes lèvres et récite un verset coranique. Ce n’est pas sunnite, mais je le fais quand même. Nous sommes les Uns et les Autres aux yeux des imams et des papes, mais nous sommes tous les mêmes devant le Seigneur. Je récite la fatiha, puis deux passages de Sourat Ya-Sin... »2 Le vivre en paix que proclame les nations est élucidé à travers cet extrait qui met en scène la jointure de deux religions (gestuelle du protagoniste) appartenant respectivement à deux communautés ennemies ;

- Éloignement : « J’avais besoin de quelqu’un, d’un confident ou d’une vieille connaissance auprès de laquelle puiser un semblant de com- plicité, établir un rapport de confiance puisque celle de mes amis de Rio s’étiolait... »3

La guerre occasionne l’éloignement et la rup- ture des relations, le conflit ethnique4 refait surface ;

1. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 488.

3. Ibid., p. 397.

4. Eric Hobsbawm. “Qu’est-ce qu’un conflit ethnique?” In : Actes de la recherche en sciences sociales 100.1 (1993), p. 51-57.

Soumission à l’autre/ soumis- sion de l’autre1

- Soumission à l’autre : « J’étais jaloux de voir les autres retrouver leurs marques tan- dis que mon monde se désarticulait autour de moi »2

Jonas décrit ses amis européens comme supé- rieurs3 et voudrait leur ressembler et aussi son monde s’écroulerait sans leur présence (atta- chement et soumission par amour à l’Autre) ; - Soumission de l’autre : « L’Algérie fran- çaise rendait l’âme dans de torrentielles sai- gnées ».4

Cet aspect se manifeste quand Jonas décrit le départ massif des pieds-noirs (« valise ou cer- cueil »), la soumission de l’autre est de quitter les lieux colonisés (triomphe du Même) ;

1. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 393.

3. YACINE Tassadit. “La fonction des mythes dans la société kabyle”. In : YACINE Tassa- dit, Les Voleurs de feu. Éléments d’une anthropologie sociale et culturelle de l’Algérie, Paris, La Découverte/Awal (1993), p. 129-158.

Plan épistémique : Connaissance/ ignorance de l’identité de l’autre.1

- Connaissance : « — J’irai droit au but, monsieur Jonas... Vous êtes musulman, un bon musulman d’après mes informations, et je suis catholique. Nous avons cédé, dans une vie anté- rieure, à un moment de faiblesse. J’ose espérer que le Seigneur ne nous en tienne pas rigueur. Il ne s’agissait que d’un dérapage sans lende- main... »2

Il est supposé que la connaissance de l’identité de l’autre est jugée sur son appartenance reli- gieuse ;

- Ignorance : « On ne nous appelle plus que les pieds-noirs, maintenant. Comme si nous avions marché toute notre vie dans du cam- bouis... »3 Une indifférence à l’égard des pieds- noirs de la part des deux communautés aux- quelles ils appartiennent ;

Dans l’extrait qui suit nous repérons l’entremêlement du Tu et du Je : « Tout me répugnait. Je refusais d’entendre raison, me fichais d’avoir tort ; je ne voulais rien d’autre que le coin obscur au fond duquel je m’interdisais de réfléchir à ce que je devais faire, de penser à ce que j’avais fait, de savoir si j’avais mal ou bien agi. J’étais amer comme une racine de laurier-rose, renfrogné et furieux contre quelque chose que je ne tenais pas

1. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 291.

à définir. »1

Il est à signaler qu’il se dégage dans l’extrait ci-dessus du roman, une colère intérieure du personnage-héros « Jonas », qui se traduit par un emportement du « Je »2 qu’il n’arrivait plus à « définir »,3 se confon- dant à un « Tu »4 dans son esprit, et pèse lourdement sur son état psychologique.

Par l’utilisation des dichotomies « raison/tort, mal/bien »5 il se ma- nifeste un dualisme interne qui rend le protagoniste perplexe, il s’at- tribut l’adjectif « amer » par l’utilisation de la métaphore « j’étais amer comme une racine de Laurier-rose »6 , l’amertume est employée pour désigner l’état dans lequel se trouve Younes face à ce « Tu » in- définissable, qui se confond à son « Je », nous nous demandons si cette indistinction est arbitraire vu qu’à la chute de l’extrait, il déclare ne pas vouloir définir cette chose qui lui cause du mal.

Or, nous supposons que ce dernier est contraint de rester indiffé- rent, car il évolue dans une société mixte dans laquelle il se trouve alors « oscillé (et) tiraillé par une double identification, par une double conscience ».7 Afin de mieux expliquer cet aspect, nous nous appuyons sur la citation suivante de Tassadit Yacine :

« Il appartient précisément au dominé de s’enfermer dans son propre carcan sans jamais connaître les véritables raisons qui fondent son rejet. L’ignorance dans laquelle il est tenu d’évo- luer concerne son histoire passée et présente (ascendance- des- cendance, langue, mythes, etc.). Tout ce qui lui appartient en

1. Ibid., p. 444.

2. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit., p. 158. 3. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 444.

4. Chalier-Visuvalingam, “Littérature et altérité. Penser l’autre”, op. cit., p. 158. 5. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 444.

6. Ibid.

7. Meynier, “L’Algérie et les Algériens sous le système colonial. Approche historico historio- graphique”, op. cit., p. 66.

propre doit être renié et honni. »1

Dans cette phase de ce chapitre, nous avons scruté de près la repré- sentation du Même et de l’Autre dans Ce Que Le Jour Doit à La Nuit de Yasmina Khadra, nous avons constaté la présence d’une remise en question du rapport à l’altérité durant la période coloniale française en Algérie ; Aussi, il s’effectue dans ce récit un entrecroisement des regards. Ce roman devient comme un lieu où il est décrit la rencontre de l’Occident et de l’Orient et cela est représenté par Le personnage-héros, Younes alias Jonas, nous essayerons de vérifier cet aspect dans la pro- chaine étape de ce chapitre.

2.5

Le personnage de Younes, une projection de la