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Le processus de l’écriture romancée de l’Histoire

1.2 Un transcodage de l’Histoire

Notre objectif est de montrer que le roman, Ce Que le Jour Doit à la Nuit de Yasmina Khadra transcode1 l’Histoire en relatant « l’impensé de la guerre ».2 Nous empruntons ce procédé littéraire à Paul Ricœur dont la réflexion tourne autour de la mise en graphie de la guerre dans un document littéraire, il lui donne l’appellation de « sociogramme de la guerre » défini comme suit :

« Le terme de sociogramme est un instrument conceptuel, qui aide à penser ensemble ce qui est de l’ordre du discours (des discours tenus sur tel ou tel élément de la réalité, discours te- nus dans le monde pour des différentes disciplines, différentes instances des paroles, discours de pouvoir, discours de droit, discours de politique, etc.) et ce qui se passe, s’effectue dans le texte littéraire même. »3

Ce qui importe dans ce travail, c’est de démontrer comment la pé- riode coloniale française en Algérie sert de cadre sans pour autant de- venir un acte de transcription de « mémoire obligée »4 dans ce roman contrairement à la littérature dite engagée (notamment celle des années 50).Nous nous intéressons donc à analyser comment notre corpus « pense

1. Jean-Roger Zyka. “Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli”. In : Autres Temps 70.1 (2001), p. 111-112.

2. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

3. Ibid.

la guerre »1 qui demeure impensable2 d’après Paul Ricœur.

Nous allons tout d’abord repérer les mécanismes de transcodage de l’Histoire dans ce texte romanesque qui pourtant semble en apparence dénoncer le fait d’avoir « trafiquer la mémoire »,3 ou avoir occulté une partie d’elle en la réduisant au « silence ».4

Nous étudierons ensuite les stratégies discursives du compte rendu5 de la guerre dans ce texte littéraire. Nous essayerons également d’exami- ner les caractéristiques de codifications des faits historiques dans cette fiction qui s’éloigne de l’ambition du « devoir de mémoire ».6

Dans l’extrait ci-dessous, le compte rendu de la guerre est est présenté sous forme de témoignage individuel qui s’écarte du texte historique sérieux de posture scientifique :

« Parfois, mon oncle recevait des gens dont certains venaient de très loin ; des Arabes et des Berbères, les uns vêtus à l’euro- péenne, les autres arborant des costumes traditionnels. C’étaient des gens importants, très distingués. Ils parlaient tous d’un pays qui s’appelait l’Algérie ; pas celui que l’on enseignait à l’école ni celui des quartiers huppés, mais d’un autre pays spo- lié, assujetti, muselé et qui ruminait ses colères comme un ali- ment avarié -l’Algérie des Jenane Jato, des fractures ouvertes et des terres brûlées, des souffre-douleur et des portefaix[...] un pays qu’il restait à redéfinir et où tous les paradoxes du monde semblaient avoir choisi de vivre en rentiers.»7

1. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

2. Ibid.

3. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit. 4. Ibid.

5. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

6. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit. 7. Yasmina Khadra. Ce que le jour doit à la nuit. Sedia (Alger), 2008, p. 114.

Dans la tradition arabe, l’Histoire est transmise dans « le cadre de filiation, le long du fil des générations : « Tu raconteras à ton fils... »1 où s’opère un transfert des faits historiques de bouche à oreille, cet héritage des pages du passé à travers cette pratique orale est clairement observable dans cet extrait que nous analysons.

Aussi, il est pertinent d’ajouter que le transcodage de « la guerre »2 et de l’Histoire est ici étroitement lié à l’oralité. Par conséquent, il serait plus approprié de parler dans ce cas du témoin.3 En effet, à ce propos, Émile Benveniste précise que le mot qui lui est attribué est le terme testis4 provenant de tertius.5

Dans ce passage ci-dessus, on nous parle de témoin oculaire comme pôle intermédiaire qui atteste et certifie certains évènements historiques « sans y avoir nécessairement pris part »,6 nous remarquons que la déclaration7 du narrateur-personnage semble se rapprocher d’une asser- tion8 définie par Larousse comme : « proposition, de forme affirmative ou négative, qu’on avance et qu’on donne comme vraie »9.

En fait, cette structuration textuelle qui s’apparente à l’assertion fait allusion au caractère crédule qu’on attribue souvent aux textes dits his- toriques. Une remise en question de ces sources de l’Histoire semble être ici un « pacte tacite »10 non exprimé et évoqué plutôt par une mimésis des rapports historiques écrits par l’institution interdisant toute possi-

1. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit., p. 737.

2. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

3. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. vol. 2, pouvoir, droit, reli- gion, op. cit.

4. Ibid. 5. Ibid.

6. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit. 7. Ibid.

8. Ibid.

9. https ://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/assertion/5806

bilité de doute qui pourrait engendrer « la controverse des historiens ».1 Le « paradigme indiciaire »2 du transcodage de l’Histoire dans Ce Que le Jour Doit à la Nuit de Yasmina Khadra s’assimile et s’allie à un témoignage.3 Nous proposons aussi l’extrait ci-dessus en guise d’illus- tration :

« La guerre éclata en Europe. Tel un abcès. La Pologne tomba sous les ruades nazies avec une facilité déconcertante. Les gens s’attendaient à une résistance farouche et n’eurent droit qu’à des escarmouches pathétiques, vite écrasées par les panzers frappés de croix gammées. Le succès fulgurant des troupes al- lemandes suscitait autant d’effroi que de fascination. [...] Il n’y avait pas un seul badaud attablé à une terrasse de café sans un journal ouvert sur ses inquiétudes. Les passants s’ar- rêtaient, s’interpellaient, essaimaient au comptoir des bars ou sur les bancs des jardins publics pour prendre le pouls d’un Oc- cident en perdition accélérée. À l’école, nos instituteurs nous délaissaient un peu. Ils rappliquaient le matin avec des tas de nouvelles et des tas de questions et repartaient le soir avec les mêmes interrogations et les mêmes anxiétés. [...] Mon oncle se mettant à nous fausser compagnie à son tour, la sacoche engrossée de tracts et des manifestes sous le manteau, je me rabattis sur Lucette. Nous nous oubliions dans nos jeux jus- qu’à ce qu’une voix nous signalât qu’il était l’heure de passer à table ou de se mettre au lit. »4

Le temps relaté dans cette fiction s’inscrit indéniablement dans une

1. Ibid.

2. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. vol. 2, pouvoir, droit, reli- gion, op. cit.

3. Bloch, “Apologie pour l’histoire, ou, Métier d’historien”, op. cit. 4. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 134-135.

rétrospection,1 nous serions donc en mesure d’induire que ce récit sert « d’entreprise de remémoration »2 d’un passé insaisissable. De même, nous remarquons que l’écriture fictionnelle de la guerre dans ce roman apparait comme un mode de pensée3 de l’Histoire qu’on tente de repré- senter.

En fait, il est important de signaler que dans le contexte algérien, le rapport4 au passé est épineux, « l’image-souvenir »5 des faits liés à la guerre d’indépendance est sacrée, cette relation qui relève de l’occulte et de la vénération se trouve ici comme démystifiée.

Nous observons aussi que le transcodage de l’Histoire dans le roman brise cette image de liturgie historique « exemplaire »6 et mystique de la guerre de libération nationale algérienne.

Nous notons d’emblée que d’autres contextes historiques liés à la com- munauté européenne interviennent pour voiler des évènements locaux de lutte contre la présence coloniale de la France en Algérie et de ce fait, cela entraine une abolition de ce simulacre de la résistance du maquis dans ce texte romanesque.

Dans cet extrait, nous relevons la description de l’impact de la deuxième guerre mondiale (Allemagne nazie) en Algérie, où il y a eu mobilisation des Algériens pour libérer la France, la guerre d’Indochine, etc.

Nous constatons que ces évènements historiques prennent une am- pleur importante dans ce récit pour dépeindre l’aspect humain de ceux qui furent nommés les traitres diabolisés (Harka) par l’Histoire, ils ne sont pas évoqués ouvertement en tant que tels dans ce récit, mais on fait

1. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit. 2. Ibid.

3. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

4. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit. 5. Ibid., p. 741.

6. Hayden White. The content of the form: Narrative discourse and historical representation. JHU Press, 1990.

allusion à eux.

En effet, nous préconisons que le transcodage de l’Histoire dans ce roman ait tendance à s’éloigner de la glorification des héros de la guerre et s’écarte de la condamnation de ce qui furent « les traitres » du pays. Dans cette perspective, nous évoquerons la réécriture, elle semble s’appa- renter à « la retraduction »,1 selon l’expression de Antoine Berman, en effet, une mise en graphie qui se rapproche certes des « textes originaux »2 mais s’en distingue, car elle relate ce qui fut réduit au silence :

« L’année 1945 s’amena avec ses vagues d’informations contra- dictoires et ses élucubrations. À Rio Salado, on adorait fabuler en dégustant son anisette. La moindre escarmouche était am- plifiée, brodée de faits d’armes rocambolesques et attribuée à des protagonistes qui souvent n’étaient pas de la partie. Sur la terrasse des cafés, les diagnostics allaient bon train. Les noms de Staline, de Roosevelt et de Churchill sonnaient comme le clairon des charges finales ; certains plaisantins, qui déplo- raient la silhouette filiforme de De Gaulle, promettaient de lui envoyer le meilleur couscous du pays afin qu’il ait l’embon- point sans lequel son charisme manquerait de crédibilité aux yeux des Algériens qui ne pouvaient dissocier l’autorité d’une bedaine imposante. On s’était remis à rire et à se soûler jus- qu’à prendre un âne pour une licorne. L’ambiance était à l’op- timisme. Les familles juives, parties se réfugier sous d’autres deux suite aux déportations massives qui avaient ciblé leur communauté en France, commençaient à rentrer au bercail. Le retour à la normale se mettait en place, progressivement,

1. Antoine Berman. L’épreuve de l’étranger: Culture et traduction dans l’Allemagne roman- tique. T. 226. Gallimard (Paris), 1984.

sûrement. »1

Nous pouvons relever dans cet extrait une fusion entre « la mémoire individuelle (et) [...] la mémoire collective ».2 Nous remarquons une retranscription des faits historiques dans une expression subjective qui se rapproche du témoignage.

Il est manifestement important de noter que dans le roman Ce Que Le Jour Doit à La Nuit de Yasmina Khadra, il se noue une relation étroite entre l’écriture de l’Histoire et le récit fictionnel, par conséquent le transcodage du passé colonial est un tissu discursif qui joint l’expression de l’intime et la tournure scientifique du rapport historique.

Nous constatons d’emblée que l’ancrage de l’Histoire dans ce texte ro- manesque devient une « inscription du social »3 ou « manière d’inscrire le social »,4 si l’on se réfère à la pensée de Claude Duchet concernant la pensée de la guerre qui se trouve transcrite dans un récit littéraire.

En effet, la stratégie discursive dans ce roman que nous analysons chancèle entre le rapport historique et la transcription5 d’une mémoire individuelle qui relate des faits (témoignage oculaire où le personnage- narrateur devient un rapporteur).

Dans cette analyse, nous abordons la mise en graphie de la réécriture6 de l’Histoire dans ce texte littéraire sans prétendre trouver quelconque vérité, nous tentons de retrouver « des éléments de fictionnalisation »7 qui « s’adjoignent au matériau »8 d’objectivité de la posture scientifique

1. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 227-228.

2. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit.

3. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

4. Ibid.

5. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit., p. 730.

6. Notice de présentation du Premier Homme In (Agnès Spiquel et Anne Prouteau. Lire les Carnets d’Albert Camus. Presses Univ. Septentrion, 2012)

7. Françoise Simonet-Tenant. “La guerre d’Algérie: les voix camusinnes d’un déchirement intime”. In : Francofonia 66 (2014), p. 147-162.

d’un rapport historique.

Dans cette même perspective, nous citons Paul Ricoeur qui évoque la pensée suivante :

« Entre le vœu de fidélité et la mémoire et le pacte de vérité en histoire, l’ordre de priorité est indécidable. Seul est habilité à trancher le débat le lecteur, et dans le lecteur le citoyen »1 Nous retrouvons ce même aspect de transcodage de l’Histoire dans le passage ci-dessous du roman Ce Que Le Jour Doit à La Nuit de Yasmina Khadra :

« Et arriva le 8 mai 1945. Alors que la planète fêtait la fin du Cauchemar, en Algérie un autre cauchemar se déclara, aussi foudroyant qu’une pandémie, aussi monstrueux que l’Apoca- lypse. Les liesses populaires virèrent à la tragédie. Tout près de Rio Salado, à Ain Témouchent, les marches pour l’indé- pendance de l’Algérie furent réprimées par la police. À Mosta- ganem, les émeutes s’étendirent aux douars limitrophes. Mais l’horreur atteignit son paroxysme dans les Aurès et dans le nord-Constantinois où des milliers de musulmans furent mas- sacrés par les services d’ordre renforcés par des colons recon- vertis en miliciens. »2

Paul Ricoeur parle de fusionnement entre « mémoire et conscience intime »3 dans un texte romanesque, en fait, cette représentation de l’Histoire dans un récit fictionnel demeure problématique si l’on se réfère à la réflexion de Claude Duchet. Cet aspect « conflictuel »4 qui unit

1. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit., p. 747. 2. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 229-230.

3. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit., p. 734.

4. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

la subjectivité (roman) et objectivité (rapport historique) est relevable dans l’extrait ci-dessus du roman.

Nous remarquons que la transcription du passé se veut ici comme une recherche de ce qui a été « envasé »1ou, enfoui dans cette narration, nous notons comme un fouillis et une quête pour tenter de retrouver la mémoire collective.

Il est à signaler que « l’espace polyphonique du roman »2 donne la possibilité de créer une sphère dans laquelle on peut reconstituer ce passé errant et d’y combler l’absence. Par le biais de fictionnalisation,3 nous constatons que les voix réduites au silence se font entendre4 par l’intermédiaire de la création romanesque dans ce corpus.

En fait, il serait probant d’ajouter que « l’impossible résolution »5 du conflit colonial franco-algérien à l’instar de l’absence de documents offi- ciels d’Histoire commune entre l’Algérie et la France, se trouve comme possible dans Ce Que Le Jour Doit à La Nuit qui nous propose « une Histoire à deux voix conciliées surmontant »6 ce différend. La recons- titution de cette « image-souvenir »7 du passé à travers la fiction est présente dans le passage ci-dessous :

« Mon oncle ne verra pas son pays prendre les armes. Le sort l’en a jugé indigne. Autrement, comment expliquer qu’il se soit éteint cinq mois avant le brasier tant attendu et tant reporté de la Libération ? Le jour de la Toussaint 1954 nous prit de court. Le cafetier pestait, son journal étalé sur le comptoir. La

1. Édouard Glissant. Traité du Tout-Monde, Poétique IV. Gallimard (Paris), 1997, p. 59. 2. Simonet-Tenant, “La guerre d’Algérie: les voix camusinnes d’un déchirement intime”, op. cit., p. 157.

3. Ibid. 4. Ibid. 5. Ibid.

6. Gilbert Meynier. “L’Algérie et les Algériens sous le système colonial. Approche historico historiographique”. In : Insaniyat. Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales 65-66 (2014), p. 13-70, p. 13.

guerre de l’indépendance avait commencé, mais pour le com- mun des mortels, hormis un bref accès d’indignation vite sup- planté par une cocasserie de la rue, ce n’étaient pas quelques fermes brûlées dans la Mitidja qui l’empêcheraient de dormir sur ses deux oreilles. Pourtant, il y eut mort d’hommes à Mos- taganem ; des gendarmes surpris par des agresseurs armés. Et alors ? rétorquait-on. La route en tue autant. Et les bas-fonds aussi... Ce qu’on ignorait, c’était que cette fois-ci, c’était parti pour de bon et aucune marche arrière n’était envisageable. Une poignée de révolutionnaires avait décidé de passer à l’action, de secouer un peuple groggy par plus d’un siècle de colonisa- tion, sévèrement éprouvé par les différentes insurrections dé- clenchées par des tribus esseulées à travers les générations et que l’armée coloniale, omnipotente et mythique, réduisait in- variablement au silence au bout de quelques batailles rangées, de quelques expéditions punitives, de quelques aimées d’usure. Même la fameuse OS (Organisation secrète), qui s’était illus- trée vers la fin des années 1940, n’avait diverti que de rares militants musulmans en mal de confrontations musclées. »1

Nous constatons au niveau du fil discursif la présence de la marque « de l’insituable et de l’incommunicable »2 relative à la mise en graphie de l’Histoire dans ce texte littéraire. En fait, il est important de rappeler que selon Claude Duchet « la guerre est objet de représentations mul- tiples »,3 en effet, dans ce discours romanesque, la description des faits liés à l’Histoire suit un cheminement inédit provenant de la perspective d’un témoin oculaire (dans cette fiction).

1. Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, op. cit., p. 366.

2. Ricoeur, “L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, op. cit., p. 734.

3. Duchet, “La Méthode sociocritique, exemple d’application: le sociogramme de la guerre”, op. cit.

Ainsi, il est manifestement clair que la part de subjectivité1 est os- tensiblement présente dans ce corpus. L’entreprise de transcodage de l’Histoire dans un roman pourrait faire allusion au fait de remettre en question les documents officiels rédigés par l’institution.

À propos de cette écriture univoque des faits historiques, Françoise Simonet Tenant pense que : « "les évènements d’Algérie" ne sont pré- sents dans les Cahiers que sous la forme de l’allusion indirecte ou de l’implicite ».2

Simonet qualifie donc l’opération de rédaction prescrite de l’Histoire de cahiers illusoires, ce qui exclut l’authenticité de ces textes, laissant ainsi une marge importante pour la transcription de la mémoire collec- tive dans un récit fictionnel.

Dans cette perspective, Bergson évoque l’expérience de « princeps dans Matière et mémoire »3 où il est possible de discuter la source officielle d’un texte historique. Dans Ce Que Le Jour Doit à La Nuit de Yasmina Khadra, nous relevons un discours discréditant qui va à l’encontre de ce qui a été affirmé par l’Histoire institutionnelle :

« Ce qui se déclara cette nuit-là, un peu partout dans le Nord algérien, à minuit pile, à la première minute du 1er novembre, ne serait-il qu’un feu de paille, une Ram-mèche fugace dans le souffle laminé des sempiternels ras-le-bol des populations autochtones disloquées, incapables de se mobiliser autour d’un projet commun ?... Pas cette fois-ci. Les « actes de vandalisme » se multipliaient à travers le pays, sporadiques, puis plus im- portants, avec parfois une témérité sidérante. Les journaux parlaient de « terroristes », de « rebelles », de « hors-la-loi

1. Simonet-Tenant, “La guerre d’Algérie: les voix camusinnes d’un déchirement intime”, op. cit., p. 157.

2. Ibid.

3. Henri Bergson. Matière et mémoire: essai sur la relation du corps à l’esprit. Flammarion