• Aucun résultat trouvé

Une typologie évolutive

Dans le document La notion de préjudice corporel (Page 114-164)

154 - « Outre les conditions dans lesquelles la vie est donnée à l’homme sur terre, et

en partie sur leur base, les hommes créent constamment des conditions fabriquées qui leur sont propres et qui, malgré leur origine humaine et leur viabilité, ont la même force de conditionnement que les objets naturels. Tout ce qui touche la vie humaine, tout ce qui se maintient en relation avec elle, assume immédiatement le caractère de condition de l’existence humaine. C’est pourquoi les hommes, quoiqu’ils fassent, sont toujours des êtres conditionnés. Tout ce qui pénètre dans le monde humain, ou tout ce que l’effort de l’homme y fait entrer, fait aussitôt partie de la condition humaine. »355

Hannah ARENDT dans son ouvrage, Condition de l’homme moderne, postule que la condition humaine est l’ouvrage de l’homme. Nous pensons au contraire que la condition humaine est ce sur quoi l’homme n’a pas de pouvoir, ce qui est irréductible. L’homme redouble d’imagination et la science donne vie à ses projections. Il ne se satisfait pas de sa condition de mortel. Déjà en 1803, les expériences de galvanisme du médecin italien ALDINI captivaient les foules alors qu’il électrocutait des cadavres pour faire croire à des résurrections356. Des mouvements transhumanistes, prônant

l’amélioration de l’homme par les transformations individuelles ont vu le jour, leur seul objectif étant de repousser l’issue fatale357. Des individus poussent l’espoir

jusqu’à se faire cryogéniser, en attendant certainement que l’immortalité humaine soit rendue possible358. Petit à petit, l’homme se transformerait en chimère, ses membres

355 Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 18.

356 Armand Gabriel BALLIN, Notice biographique sur GIOVANNI ALDINI, Harvard Library College,

1927. Il s’agit d’une notice lue à l’académie royale de Rouen le 13 juillet 1838.

357 Joël de ROSNAY, « Intelligence artificielle : le transhumanisme est narcissique. Visons

l’hyperhumanisme », 26 avril 2015, [http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1358339-intelligence- artificielle-le-transhumanisme-est-narcissique-visons-l-hyperhumanisme.html], (2018-07-14).

358 Anne-Blandine CAIRE, « La cryogénisation - Entre science-fiction et science juridique », R.R.J.,

2011-4, XXXVI, 139ème numéro, pp. 1953-1972. ; Anne-Blandine CAIRE, « Renaître d'un sommeil

gelé ? Variations juridiques autour d'un songe d'immortalité », in Pierre-Jérôme DELAGE (dir.),

Science-fiction et science juridique, Les voies du droit, IRJS éd., 2013, p. 229 ; Anne-Blandine

CAIRE, « L’Homme congelé. Eléments prospectifs d’un régime juridique de l’Homme congelé », in X. Labbée (dir.), L’Homme augmenté face au droit, Actes du colloque organisé à l’Université Lille 2 les 13 et 14 juin 2013, PU du Septentrion, 2015 ; Isabelle CORPART, « Feu la cryogénisation », D. 2006, n°27, pp. 1875-1880 ; Grégoire LOISEAU, « Les destinées réglementées de la dépouille mortelle »,

Droit et Patrimoine 2002, n°110, pp. 85-86 ; Jérôme MICHEL, « Hibernatus, le droit, les droits de

l'homme et la mort », D. 2005, n°26, pp. 1742-1747 ; Hélène POPU, « Le respect des dernières volontés », Répertoire du notariat Defrénois 2005, n°22, pp. 1770-1785.

deviendraient biomécaniques, ses organes seraient empruntés à des animaux et à des

cadavres ou imprimés en 3D359. Les yeux de l’homme seront de verre, ses gènes seront

modifiés ou croisés, ses bébés pousseront dans des serres biologiques360 et sa vie sera

cryogénisée, telle est la promesse que l’homme semble faire à l’humanité, à moins que ce ne soit une menace…

155 - La mythologie grecque abonde en créatures hybrides comme la chimère, dont le corps tient à la fois du lion, de la chèvre, et du serpent, ou le centaure, moitié homme, moitié cheval361. Aujourd’hui, l’homme est déjà un homme augmenté362 qui pose des

interrogations au droit positif alors que son statut doit être déterminé à la lumière du corps humain tel qu’il est connu. L’homme est désormais susceptible de vivre avec des prothèses organiques, biomécaniques, des greffons, des organes imprimés. Quel est le statut de ces éléments le plus souvent étrangers au corps humain ? Mais surtout, l’homme transformé par ces éléments étrangers au corps humain, a-t-il toujours un corps réparable ? Jusqu’où peut aller cette transformation avant de remettre en question l’humanité de l’Homme ? Nous verrons ainsi, dans une première section, que le corps biomécanique est déjà une réalité confrontée au droit positif (Section 1) avant d’imaginer et de penser la rencontre de l’homme augmenté et du droit (Section2).

359 Fabrice DEFFERRARD, « L’impression tridimensionnelle et le corps humain », D. 2014, pp. 1400-

1403 ; Alexandre MARTEL, « Présentation générale des pratiques de l'impression 3D dans le domaine de la santé », Journal du droit de la santé et de l’assurance maladie 2016, n°14, p. 5.

360 Henri ATLAN, L’utérus artificiel, op. cit., pp. 48-49. Dan son ouvrage l’auteur explique que pour

certains scientifiques, l’utérus artificiel sera rendu possible d’ici une dizaine d’années pour certains, d’ici une centaine pour d’autres.

361 Pierre-Jérôme DELAGE, « L'interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques »,

Médecine et Droit 2012, pp. 111-113 ; Chloé GIQUEL, Rodolphe BOURRET, François VIALLA, Éric

MARTINEZ, Aurélie THONAT-MARIN, « La création d'animaux chimères porteurs d'organes humains ## Creation of chimeric animals bearing human organs », Médecine et Droit 2016, pp. 37-47 ; Ninon MAILLARD, Xavier PERROT, « L'alliance de l'homme et de la bête-Permanence d'une angoisse de la tératogénèse », RSDA 2013, pp. 273-295 ; Jordane SEGURA-CARISSIMI, « Eléments de réflexion et d'analyse autour du statut juridique des "chimères réelles" et de l'animal, dans les xénogreffes et les biotechnologies », Gaz. Pal. 2008, pp. 62-65 ; Hélène CARVAIS-ROSENBLATT, « La brevetabilité du vivant », Gaz. Pal. 1995, pp. 3-10.

362 Anne-Blandine CAIRE, « L’Homme augmenté et le droit. L’éthique juridique entre Charis et

Hubris », in Revue de la recherche juridique et du droit prospectif (RRJ), 2014-2, XXXIX, n°152, pp.

655 sq ; Anne-Blandine CAIRE, « L'ouverture des conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation : vers l'avènement de l'anthropotechnie procréative ? », RDSS 2018, p. 298 ; Dossier « Le procès du transhumanisme », D. IP/IT 2017, p. 424 ; Simone BATEMAN et Jean GAYON, « De part et d'autre de l'Atlantique : enhancement, amélioration et augmentation de l'humain », in E. KLEINPETER (dir.), L'homme augmenté, CNRS éd., 2013, pp. 31-35 ; Simone BATEMAN et Jean GAYON, « L'amélioration humaine : trois usages, trois enjeux », Médecine/Sciences, vol. 28, n° 10, oct. 2012, pp. 887-891 ; Xavier LABBÉE, « L’homme augmenté », op. cit.; René SÈVE, « Le transhumanisme, une utopie utile », Archives de philosophie du droit 2017, pp. VII- XXVI.

Section 1- Le corps biomécanique face au droit positif

156 - Le corps est défini comme : « l’ensemble des parties matérielles constituant

l’organisme, siège des fonctions physiologiques »363 tandis que la biomécanique est

définie comme : « l’application des lois de la mécanique aux phénomènes vitaux »364.

Ainsi, le corps biomécanique peut être entendu comme l’intégration de la biomécanique au corps humain. De manière empirique, il s’agira d’étudier l’être humain doté d’une prothèse dont la fonction est de remplacer une partie du corps humain. La prothèse n’est pas un phénomène nouveau. Ainsi la jambe de bois de Long

John Silver, personnage de L’île au trésor de Robert STEVENSON365 ou celle d’ivoire

du capitaine Achab de Moby Dick d’Herman MELVILLE366, étaient déjà des

prothèses aux fonctions biomécaniques. Long John Silver et le capitaine Achab avaient donc un corps biomécanique. Aujourd’hui, les prothèses les plus sophistiquées sont sur le marché. Oscar PISTORIUS, athlète courant avec, en lieu et place de jambes, des

lames Cheetah, concoure auprès des valides367 et le mannequin Aimée MULLINS

défile avec ses prothèses dessinées par Alexander MCQUEEN368.

157 - Etudier le corps biomécanique permettra de dresser le portrait complet du corps réparable. Le corps biomécanique étant d’ores et déjà une réalité, il convient de le joindre à notre étude. Comme nous tentons de déterminer des critères constants de réparabilité du corps humain, nous ne pouvons ignorer cette nouvelle donne, ce nouveau corps, pour lequel nous vérifierons l’applicabilité de nos recherches. Dès lors, comprendre le statut de la prothèse (§1) permettra d’étudier le dommage qu’elle subit (§2) et donc la réparabilité de ce type de corps.

363 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/corps], (2018-07-14)

364 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/biomécanique], (2018-07-14) 365 Robert-Louis STEVENSON, L’île au trésor, Éditions Rencontre, 1968, p. 106. 366 Herman MELVILLE, Moby Dick, Ebooks libres et gratuits, 1851, p. 633.

367L’express.fr, Athlétisme: Oscar Pistorius aux mondiaux avec les valides, 20 juillet 2011,

[http://www.lexpress.fr/actualite/sport/athletisme-oscar-pistorius-aux-mondiaux-avec-les- valides_1013708.html], (2018-07-14).

368Marquard SMITH, « The vulnerable articulate », The Prosthetic Impulse- From a posthuman present

§1- Le statut de la prothèse

158 - Une prothèse est « une pièce, un appareil destiné à reproduire et à remplacer

aussi fidèlement que possible dans sa fonction, sa forme ou son aspect extérieur un membre, un fragment de membre ou un organe partiellement ou totalement altéré ou absent »369. Les prothèses peuvent être de différentes sortes : biologiques, elles

empruntent la vie du corps de rattachement (A), mécaniques, elles opèrent en soutien (B).

A- La prothèse biologique

159 - Biologique est un adjectif qui désigne ce « qui est caractéristique de la vie

organique ; qui est relatif à la vie organique »370. Une prothèse biologique est donc

issue de la vie organique. Or, cette dernière peut être soit humaine (1), soit animale (2).

1- La prothèse biologique humaine

160 - L’homme est d’abord au service de lui-même. Dès lors, la manière la plus évidente de pourvoir à l’absence d’un membre, d’un fragment de membre ou d’un organe du corps humain est certainement de le remplacer par un ersatz humain. La greffe autologue ou autogreffe ne sera pas étudiée ici, elle ne pose en effet pas de difficulté juridique particulière puisque « le greffon est prélevé sur le sujet lui-

même »371 et appartient alors au corps du greffé.

161 - Toutes sortes de prothèses biologiques humaines sont quotidiennement transplantées, la plus médiatisée et spectaculaire a certainement été celle d’une main. La greffe d’organes pose moins de difficultés d’acceptation que celles d’un élément participant à l’identité de l’individu comme une main. Déjà en 1922, Maurice RENARD, dans son roman, Les mains d’Orlac372, adaptait le mythe tragique de

369 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/prothèse], (2018-07-14) 370 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/biologique], (2018-07-14) 371 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/autogreffe], (2018-07-14) 372 Maurice RENARD, Les mains d’Orlac, Les moutons électriques, 2008.

Frankenstein373. Dans ce roman, un pianiste, greffé des mains d’un assassin guillotiné,

était en proie aux hallucinations les plus fantasmagoriques qui soient. Elles se sont avérées finalement être provoquées par un complot. Dans la réalité, le professeur DUBERNARD a réalisé cette greffe de la main sur un patient en 1998, greffe qui n’avait pas été psychologiquement acceptée par le greffé puisqu’il avait refusé de prendre ses immunosuppresseurs anti-rejets et avait demandé en 2001, l’amputation du greffon. Ce même médecin avait au préalable, procédé à la première greffe partielle de visage374, une autre prothèse biologique humaine.

162 - Quel est le statut de ces prothèses ? Jean-Michel BAUD s’interroge sur le statut d’une main coupée : « il est très difficile d’admettre l’existence de cette malheureuse

chose. Qu’est-ce ? Un petit cadavre effrayant ? Cela vit-il encore ? On voudrait pouvoir l’oublier, cette abominable incongruité. »375. Comme nous l’avons vu

précédemment, le professeur Xavier LABBÉE explique pour sa part que la prothèse amovible est une « personne par destination »376 puisque le corps est « une personne

par nature ». En effet, cet auteur applique à la prothèse, l’adage selon lequel

l’accessoire suit le principal et explique que « la chose suivra le régime juridique de la

personne à laquelle elle est affectée, en application de la règle accessorium sequitur principale »377. Jean-Michel BAUD trouve cette : « désignation fautive […] en ce

qu’elle se justifie par une assimilation du corps à la personne […] il serait préférable de dire que de tels objets inanimés deviennent corporels par destination »378. Le

professeur LABBÉE va plus loin et considère le visage, une prothèse biologique humaine en cas de greffe, comme une « personne par nature en raison du rapport

d’intégration »379. La prothèse biologique humaine est effectivement, en droit positif,

une personne par nature lorsqu’elle est rattachée au corps humain, alors que séparée du corps, elle ne peut être qu’une chose, un greffon et appartient selon notre proposition à la catégorie des reliques. Cette prothèse opérera un changement de statut selon qu’elle

373 Mary WOLLSTONECRAFT SHELLEY, Frankenstein, Le livre de Poche, 2009 ; Jean-Jacques

LECERCLE, Frankenstein : Mythe et Philosophie, PUF, 1997. Le mythe de Frankenstein est également appelé le mythe de Prométhée moderne.

374 Le Journal Du Dimanche, « Les rêves du Professeur Dubernard », 7 avril 2009,

[http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Les-reves-du-professeur-Dubernard-74898], (2018-07-14).

375 Jean-Pierre BAUD, L’affaire de la main volée - Une histoire juridique du corps, op. cit., p. 9. 376 Xivier LABBÉE, « Le corps humain connecté », Gaz. Pal. 2018, n°09, p. 15.

377 Xavier LABBÉE, « La gueule de l’autre », D. 2006, p. 801. 378 Jean-Pierre BAUD, op.cit., p. 230.

participe à l’intégrité du corps humain ou non. En revanche, pour reprendre les propositions du Professeur LABBÉE, la qualification plus particulière de « personne

par nature » pour les greffes biologiques humaines, n’est-elle pas une coquetterie

juridique ? Le visage greffé fait partie intégrante du corps du receveur au même titre qu’un cœur ou un autre organe ; de toute évidence, les effets de la qualification de personne par destination ne sont pas différents de ceux de la personne par nature.

163 - Quoi qu’il en soit, deux conceptions s’affrontent encore quant au statut de la prothèse, la thèse réaliste et celle personnaliste.

Les défenseurs de la thèse personnaliste fondent leur théorie sur la protection de la dignité de la personne humaine. Dans sa thèse consacrée à la subjectivisation des

choses en droit civil Geoffrey BARBIER explique : « La chose est humanisée car elle est juridiquement soumise à la réalisation d’une finalité : le respect de la dignité. »380

Le Professeur BORELLA pose la question de savoir « si la dignité, qui fait de l’être

humain une fin en soi, une valeur absolue, est une qualité attachée à celui-ci comme être biologique, indépendamment de son état mental, ou comme être raisonnable et libre et donc capable de devenir législateur de lui-même »381. Évidemment la dignité

de l’être humain n’est vraisemblablement pas attachée à l’être biologique mais bien à la personne juridique. Dans le cas contraire, le droit aurait déjà reconnu la dignité de l’animal en tant qu’être biologique. Au soutien de cette thèse on trouve l’article 16 du Code civil382 comme le souligne le professeur Judith Rochfeld383. Cette disposition

assure en effet la primauté de la personne humaine et se situe avant un ensemble d’articles consacrés au corps et classé dans le livre des personnes. Mais cette thèse va à l’encontre de la possibilité d’actes de disposition, actes indispensables à la survie du progrès scientifique et actuellement possibles au demeurant.

164 - Les défenseurs de la thèse dite « réaliste » assimilent le corps à un objet ce qui permet d’exercer sur lui des droits réels. Pour Jean-Pierre BAUD, « il en va de la

380 Geoffrey BARBIER, La subjectivisation des choses en droit civil, Thèse de l’Université de

Bordeaux, p. 388.

381 François BORELLA, « Le concept de dignité de la personne humaine », Éthique, droit et dignité de

la personne, Mélanges Christian BOLZE, Économica, 1999, p. 34.

382 Article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la

dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

dignité humaine de reconnaître au corps la qualité de chose »384. Cet auteur dans une

narration se pose la question du statut d’une main coupée, et rejette la théorie personnaliste car si la main coupée est personnifiée, le droit de propriété ne peut lui être appliqué, elle devient donc, une fois coupée, une chose sans propriétaire.

165 - . Il existe des nuances de ces deux thèses. Une première a été perçue dans les lois bioéthiques qui ont permis de considérer les éléments et produits du corps humain comme des choses sacrées tout en refusant toute possibilité de patrimonialiser le corps. Des actes de disposition sont autorisés comme en témoigne l’article 16-3 qui permet, sous certaines conditions, l’atteinte à l’intégrité corporelle de la personne en cas d’intérêt médical ou thérapeutique pour autrui. Il s’agit par exemple des dons d’éléments du corps humain. Une seconde nuance a été initiée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans son célèbre arrêt K.A. et A.D. contre Belgique, il s’agit de la liberté individuelle de disposer de son corps, « l’autonomie individuelle »385.

166 - Le droit positif semble donc opter pour une situation intermédiaire comme le souligne le Professeur Florence BELLIVIER et Christine NOIVILLE : « L'histoire a

incontestablement donné raison à la qualification du corps comme chose sacrée, et, partant, à la reconnaissance d'un droit de propriété limité sur ce dernier. »386. En

effet, le corps, en réalité, n’est plus indisponible. Le reconnaître permet d’en faire une chose sacrée. Il faut se rendre à l’évidence, le don de rein du vivant est l’exemple même de cette disponibilité.

167 - Ainsi, la prothèse biologique humaine, alors qu’elle est dissociée du corps humain, est une relique, une chose sacrée au titre de son ancien attachement au corps humain. Pour comprendre l’intérêt de notre proposition d’une nouvelle summa divisio en trois catégories, il faut préciser le statut de la relique. La relique emprunte au statut de chose sa disponibilité et à celui de personne, sa respectabilité. La relique, peut être dissociée du corps humain selon deux hypothèses, soit le corps d’origine est vivant, soit il est mort. En cas de survie du corps donneur, il s’agit d’un don. En cas de décès, la famille fait don de l’élément corporel au receveur, celui-ci était spécialement

384 Jean-Pierre BAUD, op.cit., p. 226.

385 CEDH 2005, K.A. et A.D. c. Belgique, op. cit.

386 Florence BELLIVIER et Christine NOIVILLE, « La circulation d'éléments et produits du corps

affectée « à l’intérêt familial » pour reprendre les propos de Marie CORNU387. Les

reliques par ailleurs sont hors-commerces tout comme la personne, et rejoignent le concept de corps gratuit388. La relique est nécessairement apatrimoniale389.

2- La prothèse biologique animale

168 - Une autre sorte de prothèse biologique concerne l’être humain, il s’agit de la prothèse animale. La greffe de prothèse animale sur l’homme est appelée xénogreffe ; elle est définie comme « la greffe effectuée sur un organisme appartenant à une espèce

animale différente de celle du donneur »390. Les quelques tentatives de xénogreffe ont

échoué, les gènes humains étant bien différents de ceux des autres espèces. Durant les années folles, le docteur Voronoff était réputé pour greffer des testicules de singes aux hommes âgés afin qu’ils retrouvent leur vigueur de jeunes hommes391. Plus tard, en

1984, le docteur BAILEY greffa un cœur de babouin à BABY FAE, un nourrisson né avec une malformation cardiaque. Le bébé succomba vingt et un jours après la greffe suite à un rejet massif de la prothèse animale392. Le greffon animal est pour le moment

à l’état d’étude en raison des risques de transmission de virus animaux à l’homme. L’espèce qui semble être susceptible de pouvoir un jour servir de réservoir d’organes est celle du porc car la taille des organes porcins est similaire à celle des organes humains. Pour le moment, la xénogreffe suppose une transformation génétique du porc par la transgénèse, c’est-à-dire l’insertion de gènes humains « susceptibles de produire

dans l’animal des organes humanisés »393 explique le Professeur Christian SAINT-

GERMAIN. En revanche, il reste pour l’instant des doutes inhérents aux maladies porcines et pour reprendre la pensée du Professeur POTHIER, « depuis près de dix

ans, les scientifiques jonglent avec le désir de sauver des vies et les risques

387 Marie CORNU, « Le corps humain au musée, de la personne à la chose ? », D. 2009, p. 1907. 388 Geneviève KOUBI, « Gratuité ? Sans prix certes, mais pas sans valeur ! », in La gratuité, une

question de droit ?, Geneviève KOUBI, Gilles J. GUGLIELMI (dir.) L’Harmattan, « Logiques

juridiques », 2003, p. 10.


Dans le document La notion de préjudice corporel (Page 114-164)

Documents relatifs