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Des types de phrase majeurs aux types de phrase mineurs 95

Chapitre 6 Discussion 93

6.1 Approche dérivationnelle et critères distinctifs des actes illocutoires 94

6.1.1 Des types de phrase majeurs aux types de phrase mineurs 95

Nous commençons notre discussion des implications de notre analyse pour la théorie des types de phrase dans la perspective où elle permet d'établir une corrélation entre certains types de phrase majeurs (interrogative et déclarative) et les sous-types de constructions exclamatives que nous avons proposés.

À la section 3.1, nous avons mentionné que les exclamatives en -tu partagent avec les interrogatives totales en -tu une structure manifeste identique (150).

(150) a. Elle est-tu belle? b. Elle est-tu belle!

Fait remarquable, les interrogatives et les exclamatives en -tu partagent une même propriété sémantique: elles véhiculent toutes deux une implicature conventionnelle sur la position épistémique de l'interlocuteur. Dans le cas des exclamatives, cette propriété sémantique est saillante et distinctive puisqu'elle n'est pas partagée par toutes les exclamatives, alors que dans le cas des interrogatives, elle peut être considérée triviale. En effet, un locuteur, s'il énonce de bonne foi et avec sincérité une interrogative dont la force illocutoire est celle de la question, doit présumer de son interlocuteur que celui-ci est en mesure de lui répondre (Searle, 1979). Nécessairement, donc, un locuteur ne peut formuler une interrogative après avoir affirmé que son interlocuteur n'est pas dans la position épistémique requise pour lui répondre comme en témoigne l'incohérence de la phrase en (151).

(151) #Tu l'a jamais vue, mais elle est-tu belle?

De la même façon, les exclamatives en assez partagent avec les déclaratives dénotant des degrés, une structure manifeste identique (152).

(152) a. Je l'ai assez trouvée belle. b. Je l'ai assez trouvée belle!

Remarquablement, les exclamatives avec assez ne véhiculent pas de sens sur la position épistémique de l'interlocuteur, à l'instar des déclaratives qui servent les assertions. En effet, un locuteur, s'il énonce de bonne foi et avec sincérité une déclarative dont la force illocutoire est celle de l'assertion, doit présumer de son interlocuteur que celui-ci ignore le contenu de l'assertion puisque l'objectif d'une assertion est de donner de l'information nouvelle. Il n'y a

pas de déclaratives assertives23

qui signalent au moyen d'une stratégie grammaticale (prosodique, syntaxique ou morphologique) la position épistémique de l'interlocuteur24 (Gunlogson, 2003). Cette corrélation entre interrogatives en -tu/exclamatives en -tu et l'interlocuteur savant d'une part et déclaratives/exclamatives en assez et l'interlocuteur ignorant d'autre part n'est pas triviale et est également attestée en français standard et en allemand. Nous présentons les exemples pertinents ci-dessous.

Comme nous l'avons montré à la section 5.2, certaines exclamatives en français standard déclenchent, comme les exclamatives en -tu et donc, une implicature conventionnelle sur la position épistémique de l'interlocuteur. Ces exclamatives ont une structure manifeste identique à celles des interrogatives totales avec inversion sujet-verbe (153).

(153) a. Était-elle belle! b. Était-elle belle?

Il est impossible pour un locuteur d'énoncer la phrase en (153a) après avoir reconnu que son interlocuteur n'est pas dans une position épistémique adéquate pour corroborer le jugement exprimé par l'exclamative (154).

(154) #Vous ne la connaissiez pas à l'époque, mais était-elle belle!

À l'instar des exclamatives en assez, certaines exclamatives en français standard ne véhiculent pas d'implicature conventionnelle sur la position épistémique de l'interlocuteur. Ces

23 Gunlogson (2003) démontre que les déclaratives avec une intonation montante utilisées avec la force d'une question ont la

propriété d'engager l'interlocuteur envers leur contenu vériconditionnel, à l'instar des questions et des exclamatives en -tu et

donc.

24 La distinction entre l'implicature conventionnelle sur la position épistémique de l'interlocuteur et le caractère présupposé de

certains contenus est particulièrement pertinente ici puisqu'en dépit du fait que les déclaratives puissent véhiculer du contenu présupposé, si elles servent véritablement d'assertions, elles ne peuvent encoder un sens signalant que l'interlocuteur connaît

exclamatives partagent certaines similarités avec les complétives déclaratives (entre crochets en 155b) (155).

(155) a. Qu'elle était belle!

b. Je ne savais pas [qu'elle était belle].

Naturellement, il est possible pour un locuteur, d'énoncer la phrase en (155a) après avoir explicitement reconnu que son interlocuteur n'est pas dans une position épistémique adéquate pour corroborer le jugement exprimé par l'exclamative comme en témoigne l'adéquation de la phrase en (156).

(156) Vous ne la connaissiez pas à l'époque, mais qu'elle était belle!

Et finalement, Brandner (2010) a démontré que les exclamatives V1 en allemand, qui partagent leur structure manifeste avec les interrogatives totales (157) (cf. section 5.4) ont, à l'instar des interrogatives totales, la propriété d'encoder grammaticalement la position épistémique de l'interlocuteur.

(157) Ist Syntax einfach!/? V1E Is syntax easy!/?

(Comme la syntaxe est facile!)

Comme la corrélation entre interrogative totale/exclamative et l'interlocuteur savant d'une part et déclarative/exclamative et l'interlocuteur ignorant d'autre part est attestée en FQ, en FS et en allemand, nous croyons qu'elle n’est pas fortuite et signale une grammaticalisation de la connaissance de l’interlocuteur. En d'autres termes, les différentes structures qui servent les actes de langage exclamatifs peuvent être corrélées systématiquement aux structures des types de phrase majeurs correspondant par rapport à la grammaticalisation de la connaissance

de l'interlocuteur25

. Le tableau XVII ci-dessous résume les données que nous avons présentées dans cette section.

FQ FS Allemand

Majeur Mineur Majeur Mineur Majeur Mineur

Interlocuteur savant Interro -tu Excl -tu Interro Inv suj/v Excl Inv suj/v Interro V1 Excl V1 Interlocuteur ignorant Décl assez Excl assez Décl comp Décl comp ? ?

Tableau XVII : Distribution des types de phrase par rapport à la connaissance de l'interlocuteur

Légende : Interro = interrogative, Excl = exclamative, Décl = déclarative, comp = complétive, Inv suj/v = inversion sujet/verbe

Nous considérons que notre analyse constitue un argument en faveur de l'approche dérivationnelle telle que conçue par Sadock et Zwicky (1985), Reis (1999), Zanuttini et Portner (2003) et Portner (2004) en ce qui a trait aux fait qu'on puisse dériver les propriétés des types de phrase mineurs des propriétés des types de phrase majeur.