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4. Le Festival Des Frontières et des Hommes de Thionville

4.5. Les types de participation

Durant le festival, certains individus se sont rendus à plusieurs évènements, se définissant ainsi eux-mêmes comme des festivaliers. Une participation régulière permet ainsi de les croiser souvent. Ces spectateurs ont généralement intégré une « culture de sortie » qui facilite leur participation. Mais ils sont aussi mus par des raisons particulières.

— L’intéressement personnel

Dans le cas d’Isabelle et d’Emmanuel, par exemple, l’implication de leur conjoint ou de leur conjointe constitue un motif d’intéressement particulier à la manifestation.

Isabelle est relaxologue, elle est une habituée des sorties culturelles thionvilloises. Elle a 52 ans et vit à Thionville, elle participe au festival avec son compagnon qui est artiste plasticien et fait une intervention pendant le festival en tant que vidéaste pour le vidéomaton proposé en partenariat avec le Centre Social le Lierre. Isabelle raconte son festival : « J’essaye de voir le plus de chose possible, j’ai trouvé qu’il y avait des manifestations pour tout le monde…J’ai moins apprécié le premier soir, le repas, qui était très entre soi…Pour le reste, il y a des conférences très pointues, et il y a des rencontres plus sensibles comme celle avec Fatou Diome, et je trouve que les spectacles sont très accessibles… J’arrive à faire mon marché…»

Fanny et Emmanuel ont une trentaine d’années. Ils vivent en couple. Ils sont abonnés aux spectacles du NEST et participent aux activités qu’il propose. Ils sont thionvillois. Fanny est une des deux bénévoles du festival de Thionville, Emmanuel l’accompagne dans cette activité en tant que spectateur.

— l’engagement culturel

Membres du comité de jumelage Thionville/Gao, trois couples d’amis ont participé à la quasi- totalité des manifestations. Ils représentent ce qu’on peut appeler un public d’experts profanes. Leur présence a permis que les conférences suscitent des débats de qualité dans la salle. Les membres du comité sont très au point sur la géopolitique de l’Afrique. Certains se sont déjà rendus plusieurs fois en Afrique. Tous ont déjà été sensibilisés, à travers leur participation à l’association, aux problèmes administratifs que pose la construction de puits au Mali, les échanges monétaires en Afrique, ou l’accueil de Maliens à Thionville.

Mais au delà, il existe à Thionville un réseau de personnes particulièrement intéressées par les « forums hybrides », un public local sur lequel on peut compter lorsqu’on organise une conférence grand public.

Denis Damblé souligne cette spécificité culturelle locale : « Thionville est une ville à conférences. Quelle que soit la conférence programmée, et quel que soit les jours, il y a à Thionville un public entre trente et cent personnes qui se déplacent, c’est ancré dans les pratiques thionvilloise ». L’histoire politique locale, la tradition d’un fort militantisme ouvrier, chrétien et communiste, la participation de la ville au mouvement de décentralisation

dramatique à travers l’installation du Théâtre Populaire de Lorraine, la stabilisation d’un public de classes moyennes cultivées dont les membres sont issus de familles ouvrières de la région, la valorisation de la « critique artiste » à travers la transformation du Théâtre Populaire de Lorraine en Centre Dramatique National, la mise en place d’un cinéma d’art et d’essai, la création d’un espace d’art contemporain — autant d’institutions qui valorisent les débats avec les artistes et les intellectuels invités — expliquent cette particularité culturelle. L’observation du public des conférences et du public des expositions permet ainsi de relever la présence de spectateurs qui sont manifestement des habitués et des connaisseurs du type d’objets exposés ou discutés.

Fatiha qui a assisté au vernissage de l’exposition organisée à la galerie Argentik, à Luxembourg, en témoigne : « Nous avons eu du mal à trouver la galerie qui se situe dans un quartier résidentiel de Luxembourg. C’est en fait un appartement qui sert de galerie…J’y suis allée avec Mr Deluy, l’adjoint à la culture de Thionville. J’ai pu remarquer que les gens présents connaissaient bien les lieux, ils étaient habitués à venir…Moi, j’ai été très surprise par le lieu…mais c’était très sympa, très convivial…Mais c’était un public particulier, d’experts… » Le colonel Fourmond relève, quant à lui, que le public des conférences est un public d’amateurs de débats. Il est venu avec des élèves officiers concernés par le sujet et ils ont participé à l’ensemble des conférences :

« J’ai trouvé les conférences un peu trop généralistes, pas assez précises, et trop orientées à gauche ».

Magic Mirror. La Table ronde d’ouverture et la présence du 40ème RT

Il s’agissait cependant de conférences proposées par des enseignants universitaires, des chercheurs réputés, ou des représentants d’ONG bien informés tels Raymond Weber (ancien chef d’unité « Perspectives de développement à moyen et à long terme » à l’OCDE, ancien Directeur Général de Lux- Development et Président de l’ONG Culture et Développement. Mais la dimension de la critique politique, portée par exemple par Moussa Tchangari, journaliste, secrétaire général de l’association Alternatives-Espaces-Citoyens, l’une des figures de la société civile nigérienne ou Fatoumata Diallo, présidente de l’association Macina et la formulation de thèmes comme « repenser les frontières réelles ou imaginaires de

l’Afrique », ou « Peuples (dits) sans frontières, multiculturalisme et construction des états- nations » explique le jugement du colonel

Tente africaine. Spectacle de contes. Samedi à 16h

Certains spectacles, comme les contes africains, le spectacle de danse ou les spectacles déambulatoires ont particulièrement touché un public familial de parents saisissant l’occasion d’offrir à leurs jeunes enfants un spectacle de qualité adapté à leur âge. La tente africaine installée Place du Marché a été ainsi prise d’assaut lors du spectacle de contes africains qui y a été donné. Une grand-mère rencontrée à cette occasion avait découvert le matin même dans la presse locale — le Républicain Lorrain — l’annonce du spectacle et immédiatement décidé de « de faire une sortie familiale, avec mes petit enfants, c’est gratuit, ce sont des contes et c’est en plein air. »

Prémédité et organisé, ou spontané — on a pu voir des enfants prendre la piste de danse comme terrain de jeu avant le spectacle Rési’danse au Magic Mirror — l’intéressement des enfants par la programmation de manifestations gratuites proposées le week-end et en fin d’après-midi a donc permis au Festival de toucher une audience plus familiale, au delà de la participation d’adultes sensibilisés à des problèmes de défense des droits de l’homme, ou d’adolescents consommateurs de musique et de danse.

Le succès remporté par les dogmens, un spectacle de danse Hip-Hop, en témoigne. Il a fait salle comble, le premier samedi du festival, en drainant un public de parents et d’adolescents qui n’était ni le public habituel du théâtre en bois (où il était programmé) ni le public des autres manifestations du festival (à quelques exceptions près). La salle leur a réservé une

standing ovation, touchée à la fois par la qualité du spectacle et par le documentaire qui

servait d’entr’acte, retraçant la vie de cette compagnie de Bamako et explicitant leur travail d’atelier avec des orphelinats.

c) la participation médiate ou distante

Il s’agit de la participation de ceux qui sont des habitués d’un équipement qui participent au festival ou d’un certain type de sorties culturelles. Ils ne se reconnaissent pas, du même coup, comme des festivaliers et ne désirent pas le devenir.

Sylvie (36 ans, kinésithérapeute), par exemple, explique : « Je viens au NEST, parce que je viens toujours au NEST et que je fais partie du cercle de lecteur…J’avoue même que je viens de comprendre qu’il y a un autre festival…Et je ne vais venir qu’au NEST, ça me suffit. » Anne-Marie (63 ans, institutrice à la retraite) ne se sent concernée que par les concerts : « Je suis venu au concert sur les conseils d’un ami, et c’est plein…J’ai appris ce soir que c’est un festival, mais on dit que c’est très compliqué, que les conférences sont pointues…Mon ami a essayé, mais il n’a pas compris…Je vais essayer de voir le concert, c’est ce qui me plaît, le reste on verra si le cœur m’en dit… »

Il en va de même pour Pascal (52 ans, pompier) : « Je suis venu en ville — j’habite à Terville —, pour le concert et j’ai vu que dans l’après-midi, il y avait aussi une conférence… Je suis allé voir, mais je n’ai pas pu rester…Je ne me sentais pas à ma place…Je ne vais voir que les concerts, c’est mieux. »

Une abonnée du théâtre, Brigitte (45 ans) en reste, quant à elle, à la programmation théâtrale : « Je suis spectatrice du NEST, j’ai eu l’info pour ce spectacle — La bibliothèque vivante — par mail. J’étais en ville, alors je suis venue faire un tour et j’ai eu de la chance, je vais pouvoir voir le spectacle …Je n’irai pas ailleurs, non, ça ne m’intéresse pas. »

d) Les scolaires

Spectacle pour scolaires au Magic Mirror

Un partenariat avec les collèges et lycées thionvillois a été développé en amont du festival. Le

club Mali du collège de La milliaire a ainsi été sollicité pour participer à une rencontre à la

bibliothèque, les collèges et école primaires pour un spectacle de marionnettes sur le recyclage et aussi pour les expositions. Une préparation avec les professeurs a été mise en place avec des activités ciblées en fonction de l’âge des élèves. Le club Mali est très investie, comme le souligne son animatrice, la documentaliste du collège La milliaire :

« Je suis spectatrice avec mes élèves, ils viennent chaque fois qu’ils n’ont pas de classe : alors ils sont venu samedi, dimanche, mercredi et ils reviendront le samedi, ils vont représenter une petite pièce de théâtre samedi après midi au Magic Mirror. J’ai passé quasiment toute ma journée ici sous la tente africaine avec les enfants. Nous avons un club Mali au collège. Les élèves ont des relations avec une école au Mali, ils sont beaucoup informés sur les conditions de vie au Mali, sur la tradition et la culture. Il y des échanges de courriers avec des élèves de là-bas, et ils font aussi une petite collecte de matériel scolaire que j’emmène avec moi quand je vais au Mali. Je suis très contente de pouvoir valoriser le travail de l’engagement des élèves et très heureuse de pouvoir participer à ce festival. Je trouve ce festival fantastique, ce que j’apprécie ces rencontres et ça c’est agréable de sentir cette fraternité autour d’un même projet. »

Les scolaires sont des spectateurs importants, tant du point de vue de l’argument que constituent leur présence massive et leur satisfaction que du point de vue de leur capacité à intéresser les parents à la manifestation, et de les amener à assister à certaines activités.

Loïc, employé au service culturel de la mairie, se rappelle ainsi avec plaisir leur venue au

Magic Mirror : « le spectacle jeune publics a très bien marché ! Les enfants accrochaient

c’était vraiment une réussite, on avait 400 enfants c'est-à-dire quatre groupes de 100. »

Mais ils ont été aussi enrôlés dans certaines activités au nom du caractère formateur de leur implication dans l’action. Un bon exemple est la rencontre littéraire avec Valentine Goby un auteur de livres pour la jeunesse. On y retrouvait 15 élèves ayant redoublé leur 6ème ou leur 5ème des collèges La Milliaire et Charlemagne et qui avaient préparé, avec le soutien de leurs professeurs, membres du comité de jumelage Thionville/Gao, des questions sur le livre

Adama ou la vie en 3D. Du Mali à Saint-Denis, Editions Autrement jeunesse, 2008, de

Valentine Goby.

e) Le souci du “tous publics”

Cette deuxième édition du Festival intègre le souci de plus toucher le grand public que la première édition. C’est ce que concrétise d’un côté le contenu de la programmation musicale et, de l’autre, la programmation de spectacles de rue et d’une animation spécifique dite « jeunes publics ».

Á la différence de la première édition qui proposait des concerts de musique classique, la deuxième édition privilégie une programmation plus World Music (musiques du monde) et Dance Music susceptible de séduire un public d’adolescents et de jeunes adultes, de même que l’atelier de danse proposé par le NEST. L’organisation de spectacles et d’ateliers à destination des jeunes enfants vise à enrôler les mères de familles, en répondant à la demande des parents d’occasions d’initiation artistique précoce de leurs enfants. Les spectacles de rue, par ailleurs, organisés le samedi dans les artères commerçantes du centre-ville permettent de toucher la foule des passants et d’attester de la portée collective du festival. Si donc les rubriques « rencontres-débats », « livres » et « expositions », « cinéma » du programme concrétisent la continuité entre la 1ère et la seconde édition, les rubriques « concerts », « théâtre-danse », « jeunes publics » illustrent l’effort de populariser le Festival en répondant aux attentes d’un public élargi

4.6. L’économie du festival