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La tumorogenèse et la modulation de l’environnement tumoral 109

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1.

Introduction

La carcinogénèse nécessite de nombreuses altérations génétiques afin de conférer aux cellules tumorales des avantages sélectifs de croissance [192]. La plupart des cellules tumorales accumule ainsi plusieurs modifications au niveau nucléotidique, génique, voire chromosomique [193]. Certains cancers acquièrent aussi des changements épigénétiques pouvant entrainer d’important effets sur l’expression des gènes [194].

Hanahan et Weinberg ont suggéré que la transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse nécessitait l’acquisition d’au moins six propriétés par la cellule [142] :

• Indépendance vis à vis des signaux stimulant la prolifération, • Insensibilité aux signaux inhibiteurs,

• Abolition de l’apoptose,

• Capacité proliférative illimitée, • Capacité de susciter l’angiogenèse, • Acquisition d’un pouvoir invasif.

L’évolution tumorale nécessite également un changement dans l’interaction des cellules cancéreuses entre elles et avec leur environnement. Le développement d’une lésion tumorale implique donc le franchissement de barrières anatomiques : invasion du tissu normal adjacent, migration à travers le réseau vasculaire pour coloniser des organes à distance, mais aussi la néovascularisation pour se développer au delà d’un certain volume. L’invasion du tissu normal adjacent et les métastases dans d’autres organes à distance de la lésion primitive sont les facultés essentielles des lésions tumorales, susceptibles de mettre en péril le pronostic vital.

2.

Invasion et métastase

2.1. Remaniement de la matrice extracellulaire

La matrice extracellulaire (MEC) correspond à l'ensemble de macromolécules extracellulaires du tissu conjonctif. Elle est constituée en grande partie de glycoprotéines (collagène, fibronectine, laminine,…), de protéines pures (élastine) et de glycosaminoglycanes / protéoglycanes. Ces macromolécules sont synthétisées et sécrétées par les cellules et la MEC est probablement propre

à chaque type tissulaire. La MEC intervient dans le soutien structural, l'adhérence, le mouvement et la régulation de la cellule. La MEC est un environnement dynamique qui joue un rôle clé dans la régulation des fonctions cellulaires durant les procédés de remodelages normaux ou pathologiques tels que le développement embryonnaire, la réparation des tissus, l’inflammation et la métastase et l’invasion tumorales.

Le remaniement de la MEC durant la tumorogenèse nécessite l’intervention de plusieurs acteurs. Le premier mécanisme implique une dégradation de la MEC par l’activation de voies protéolytiques spécifiques. Le second repose sur une migration cellulaire sans apoptose.

2.1.1. Les cascades protéolytiques

Les cellules tumorales sont capables de sécréter des protéases digérant la MEC et favorisant l’invasion du tissu [195]. Parmi les 500 à 600 protéases contenues dans le « degradome » humain [196], seule une petite partie joue un rôle important dans la protéolyse de la MEC durant la progression du cancer [197].

Il existe plusieurs cascades protéolytiques associées à la dégradation de la MEC dans les cancers. • Le système urokinase plasminogen activator (uPA) et son récepteur (uPAR).

• Les métalloprotéases (MMP) et leurs inhibiteurs tissulaires (TIMP). • Les cathepsines.

2.1.1.1. Le système uPA-uPAR

L’uPA est une sérine protéase sécrétée sous forme de précurseur inactif (Figure 54) [195]. Ce dernier se fixe sur son récepteur spécifique (uPAR) le rendant ainsi plus susceptible à l’activation par protéolyse. C’est l’activité résiduelle de la plasmine qui est responsable de la conversion de pro-uPA en uPA. Par la suite, l’uPA stimulant la maturation du plasminogène en plasmine, il s’installe une boucle de rétro-action positive. L’uPA active aussi directement le pro-HGF (hepatocyte growth factor) et clive la fibronectine et son propre inhibiteur PAI1 (plasminogen activator inhibitor 1). Elle participe via la plasmine à l’activation des autres cascades protéolytiques dont celle des métalloprotéinases (MMPs). L’uPAR interagit également avec les intégrines soit en cis (sur la même cellule), soit plus probablement en trans (intégrines exprimées par une cellule adjacente) par la stimulation des voies de signalisation classiques impliquant RAS ou PI3K.

Figure 54 : La voie uPA-uPAR (d’après Rao [195]).

2.1.1.2. Les métalloprotéases (MMPs)

Les métalloprotéases (MMPs) font partie d’une vaste famille d’endopeptidases dirigées contre les différents constituants de la MEC (collagène, gélatine,...). La majorité des MMPs est sécrétée et se retrouve sous forme libre dans le tissu interstitiel. Quelques unes sont cependant des enzymes membranaires. L’activité des MMPs est régulée au niveau de l’expression génique, de l’activation de la forme pro-enzyme (pro-MMP) et par leurs inhibiteurs tissulaires spécifiques (TIMPs) [198]. Leur expression est induite par des facteurs de croissance, des cytokines, des promoteurs de tumeurs, des stress physiques, la transformation oncogénique et les interactions intercellulaires ou cellule-MEC.

Plusieurs études réalisées sur des modèles animaux ont montré l’importance des MMPs dans la pathogenèse des cancers [199, 200] (Figure 55). En règle générale, les animaux ayant un gène

MMP invalidé ou surexprimant un TIMP ont une diminution de la tumorogenèse. Des études ont

[201, 202]. Les MMPs régulent aussi l’angiogenèse tumorale et pourraient être impliquées dans le "switch" angiogénique observé lors de la néo-vascularisation des tumeurs [203]. Elles ont également une action croisée sur les autres voies (uPA ou cathépsines). Différentes approches thérapeutiques sont développées pour inhiber l’activité des MMPs. Les inhibiteurs naturels (TIMP1 et 2) ou synthétiques (batimastat, marimastat), la calphostine (inhibiteur de la PKC), ou encore des vecteurs antisens et des ribozymes se sont montrés efficaces dans des systèmes in

vitro ou dans des modèles animaux [204]. Des facteurs de transcription, tels que p53, régulent

aussi négativement l’expression des MMPs [205].

Enzymatic inhibitors (TIMP) Inhibitors of MAPK, ERK or PKC

Inhibitors transcription factors AP-1 or NF-κB Apoptosis

Figure 55 : Les MMPs favorisent le développement des cellules cancéreuses (d’après Rao [195]).

2.1.1.3. Les cathepsines

Les cathepsines sont des protéases à cystéine localisées dans le lysosome mais également sécrétées. La cathepsine B participe à la dissémination des cellules cancéreuses en dégradant les composés de la MEC [206] ou en activant d’autres protéases capables de le faire [207]. Les intégrines ont un rôle important dans l’activation de la cathepsine B [208]. Dans cette cascade

compliquée, la pro-cathepsine B peut être activée par la cathepsine D, l’elastase, la cathepsine G, l’uPA ou le tPA (Figure 56).

Figure 56 : La cascade protéolytique de la cathepsine B (d’après Rao [195]).

La cathepsine B a un rôle actif dans l’initiation de la cascade protéolytique impliquant uPA, le plasminogène et la plasmine, et il active le TGF-β latent [209]. Elle peut aussi activer directement les MMPs [210] ou détruire leurs inhibiteurs TIMP1 et 2 [211].

Les différentes cascades protéolytiques sont donc connectées entre elles. La plasmine participe à la conversion des pro-MMPs en MMPs. La cathepsine B sécrétée sous forme de précurseur activé par la cathepsine D ou le tPA, agit sur la conversion du pro-uPA en uPA mais aussi sur l’activation des pro-MMPs.

2.1.2. Les mécanismes d’invasion sans protéolyse

Même si les différentes cascades protéolytiques dégradant la MEC sont inactivées, les cellules tumorales conservent une capacité de migration. Celle-ci se fait par mouvements amiboïdes et implique une régulation très fine du cytosquelette (notamment des fibres d’actine) et l’attachement à des éléments extracellulaires. La voie de régulation la plus importante met en jeu

Cette kinase est activée par des intégrines, des facteurs de croissances et des hormones. Les cellules, dont le gène FAK est invalidé, ont une capacité de migration très fortement diminuée in

vitro [212].

2.2. La transition épithélio-mésenchymateuse

L’acquisition de propriétés invasives et migratoires par les cellules épithéliales transformées s’accompagne de changements morphologiques caractéristiques. Ce changement phénotypique est appelé transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) et reproduit un mécanisme physiologique qui a normalement lieu durant l’embryogénèse. La TEM se manifeste par un changement d’expression des molécules d’adhérence, incluant la perte de l’adhérence cellule-cellule due à l’E-cadhérine et l’expression de protéines mésothéliales telles que la vimentine ou la N-cadhérine [213]. La perte d’E-cadhérine favorise le détachement des cellules tumorales et la N-cadhérine facilite la mobilité et migration cellulaire (Figure 57). Les membres de la famille TGFβ sont impliqués dans la diminution d’expression de l’E-cadhérine, par l’activation de la voie Raf-Mek- Erk et PI3K (probablement via Ras), afin d’induire les répresseurs ou activateurs nécessaires à la TEM [214]. L’activation de NF-κB a un effet anti-apoptotique mais induit aussi l’expression de la vimentine et de la tenascine pour favoriser la TEM [215, 216].

NF-kB Tenascine p53 N-cadhérine TGF-β Ras Raf-Mek-Erk SNAIL PI3k Invasion Métastase Angiogénèse Vimentine Epithélium polarisé E-cadhérine TEM p53

Figure 57 : La transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) durant la tumorogenèse. Exemples de 2 voies impliquant les protéines TGFβ (bas, gauche) et NF-κB (bas, droite)

2.3. Les régulateurs de la métastase

Différents gènes peuvent augmenter le potentiel métastatique de la cellule.

L’ostéopontine, phosphoprotéine sécrétée, a un niveau d’expression systématiquement corrélé avec le caractère métastatique [217]. Elle se lie notamment aux CD44 et intégrines, deux classes de protéines impliquées dans le processus métastatique.

Les récepteurs aux chémokines (par exemple CXCR4 - CXCL12) sont exprimés par les cellules cancéreuses [218]. Ils sont normalement impliqués dans les processus chimiotactiques permettant aux leucocytes de cibler des organes précis. La forte expression de chémokines dans certains tissus (os, poumon), combinée à l’expression de leurs récepteurs à la surface des cellules cancéreuses, constitue un mécanisme d’attraction de cs cellules vers des organes cibles.

Les gènes suppresseurs de métastase sont peu nombreux. Nous pouvons notamment citer BRMS-1, E-cadhérine et KAI-1.

3.

La néo-angiogenèse et la progression tumorale

Les tumeurs peuvent rester pendant des années dans une phase dite de « dormance ». L’acquisition de la capacité à générer des néo-vaisseaux est une étape clé du développement tumoral appelée "switch" angiogénique. Le micro-environnement tumoral régule ce "switch" angiogénique de façon plus ou moins précoce selon les types de cancers [219, 220].

Le remaniement de la MEC est l’étape incontournable du processus angiogénique. Il implique la sécrétion d’effecteurs par les cellules tumorales et stromales telles que des protéases de dégradation de la MEC (MMPs) ou des facteurs de croissance de prolifération des cellules endothéliales (VEGF, bFGF, PDGF) (Figure 58). Certains facteurs de croissance sont liés à la MEC et donc libérés lors de sa dégradation pour accentuer l’angiogenèse. D’autres composés libérés lors de la dégradation de la MEC peuvent exercer une action stimulatrice ou inhibitrice. Ainsi des fragments de collagène XV (endostatine) ou de collagène IV (arrestine, tumstatine, canstatine) font partie des plus puissants inhibiteurs de prolifération et de migration des cellules endothéliales.

Figure 58 : Les acteurs de l’environnement tumoral impliqués dans la néo-angiogenèse (d’après Ferrara et al. [221]).

Des médiateurs directs et indirects de l’angiogenèse peuvent être distingués.

Les médiateurs directs incluent des facteurs de croissance plus ou moins spécifiques des cellules endothéliales : VEGF (Vascular endothelial growth factor A à E), bFGF (basic fibroblast growth factor), PDGF (platelet-derived growth factor), PlGF (placental growth factor), TGFα (transforming growth factor alpha) mais aussi des chimiokines, TNFα (tumour necrosis factor alpha), IL-8 et les angiopoïétines. Des inhibiteurs, tels que les thrombospondines (TSP1 et 2) ou les statines, s’opposent à l’action de ces effecteurs directs de l’angiogenèse.

Des médiateurs ayant un rôle indirect sur l’angiogenèse ont également été décrits. Quelques exemples, ainsi que leurs modes d’action sont présentés Tableau 7.

Protéines Modes d'actions

KRAS, HRAS Stimulation de VEGF, Inhibition de TSP1 ERBB2 Stimulation de VEGF

EGFR Stimulation de VEGF, bFGF, IL8 FOS Augmentation de l'expression de VEGF HPV-16 Stimulation de la sécrétion de VEGF et IFNa

BCL2 Stimulation de VEGF

TP53 Activation de la transcription de TSP1 Tableau 7 : Les effecteurs indirects de l’angiogenèse.

4.

La sénescence

Le terme « sénescence » caractérise l’arrêt irréversible des cellules dans leur cycle cellulaire [222]. Les cellules sénescentes s’arrêtent en phase G1/G0 et ne sont plus capables de rentrer en phase S en réponse à des mitogènes [223]. Les cellules sénescentes restent viables et métaboliquement actives pendant une longue période [224] et deviennent résistantes à l’apoptose [225]. Différentes voies sont capables d’induire la sénescence cellulaire.

4.1. La voie p53-p21

Le rôle joué par p53 dans la sénescence a été établi par plusieurs études [226, 227]. La protéine p21, une cible transcriptionnelle de p53, est responsable de l’arrêt du cycle cellulaire [228]. La surexpression de p21 est capable d’induire la sénescence chez de nombreuses cellules [229, 230], alors que la délétion de p21 l’empêche [231]. La protéine p53 peut aussi agir par une voie indépendante de p21 [222].

4.2. La communication SMS des cellules (Senescence-Messaging Secretome)

La sénescence cellulaire s’accompagne de changements significatifs au niveau des facteurs associés à la MEC [232]. Par exemple, l’expression des protéines sécrétées IGF1 (Insuline Growth factor 1) [233], IGFBP3 (IGF binding protein 3) [234], PAI1 (Plasminogen Activator Inhibitor 1) [235], plasmine, Wnt, TGFβ, ou des interleukines est modifiée durant la sénescence. Ces facteurs permettent aux cellules de communiquer entre elles et sont regroupés sous le nom « SMS » (Senescence-Messaging Secretome) par Kuiman et Peeper [236] (Figure 59).

Les IGFBPs jouent un rôle dans l’induction de la sénescence par la séquestration des IGFs et donc la suppression de leur signalisation [237]. IGFBP3, une cible transcriptionnelle de p53, est associée à la sénescence [234]. IGFBP7 peut déclencher la sénescence en affectant la voie des Erk (MAPK) [238].

PAI1, un régulateur de la MEC, est généralement surexprimé par les cellules sénescentes [235]. PAI1 est modulé par p53 et inhibe les deux activateurs du plasminogène tPA et uPA. Il empêche ainsi la dégradation de la MEC et la libération de facteurs de croissance nécessaires à la prolifération.

L’ensemble des processus impliqués dans la tumorogenèse (métastase, invasion, angiogenèse, TEM, sénescence,…) nécessite l’intervention d’un certain nombre de facteurs sécrétés. Mieux comprendre ces phénomènes est primordial et des approches de type secretome peuvent être très utiles.

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