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Les troubles du passé relevant particulièrement des rapports familiaux suscitent une dispersion identitaire chez les héros. Tout au long de leur parcours, les personnages qui

s’interrogent sur eux-mêmes doivent faire face aux discordances agressives de leur passé.

Les épreuves traumatiques les dotent d’une hypersensibilité dès leur enfance et leur

adolescence, que nous pouvons considérer comme les périodes essentiellement dominées

par une passivité réceptive à l’égard du sujet. Les personnages se réduisent à des cibles sur

lesquelles s’impose un ensemble de sensations dysphoriques. Ce qu’ils ont vécu dans leur

passé se manifeste comme un facteur important qui amène une rupture entre les sujets et leur

présent et qui empêche tout projet de construction identitaire pour ces derniers.

III.1.1. Lien d’attachement parent-enfant

Dans notre corpus, le lien d’attachement parent-enfant est une figure qui affecte

fortement les parcours des sujets aux niveaux passionnel, cognitif et narratif. Le discours de

chaque roman accorde une part importante à cette figure de lien entre les acteurs qui jouent

les rôles de parents et enfants.

Seldag BANKIR | Thèse de doctorat | Université de Limoges - Université d’Istanbul | 21 décembre 2017 93

Dans Chanson des mal-aimants, l’héroïne, Laudes Marie Neigedaoût est abandonnée

à sa naissance à la porte d'un couventdans lequel elle a passé sa petite enfance. Durant cette

période la petite fille, inconsciente de l’abandon intentionnel de ses parents, vit dans son

monde imaginaire, et elle s’invente des scénarios pour apporter une explication à leur

absence.

« A ma naissance, c’était pour me sauver d’un terrible danger qu’elle [la mère] s’était

séparée de moi, […] car sûrement des assassins nous poursuivaient, elle et moi. »(CM,

p. 21).

Dans l’imaginaire de Laudes Marie, la mère possède un rôle héroïque. Si elle l’a

abandonnée, c’est juste pour sauver la vie de son enfant, et cela prouve sa « hauteur

maternelle » (CM, p. 21) aux yeux de sa fille.

Laudes Marie nourrit longtemps sa conviction de rejoindre ses parents. Après être

sortie du couvent à l’âge de 5 ans, elle s’installe chez la veuve d'un fusillé, Léontine, qui

s’occupe des enfants attendant le retour de leurs parents chassés par la guerre. Parmi les

autres orphelins, l’héroïne attend aussi l’arrivée de ses parents et elle éprouve un fort besoin

d’appartenance qu’elle n’avait jamais senti précédemment.

«A la différence de ces petits vigiles, les miens de parents étaient absents depuis ma

naissance et je ne les avais jamais connus…. Mais j’étais bien trop jeune pour pouvoir

en tirer les conséquences idoineset j’ai pris gaillardement ma place à la tour de guet.

[…] Bientôt, me répétais-je inlassablement, les miens viendront, éclatants de blancheur

tels les anges… Et moi j’étais follement excitée.»(CM, pp. 27-28).

Dans le passage que nous avons cité, à travers les expressions «me répétais-je

inlassablement », «follement excitée» et « gaillardement », nous observons la croyance forte

et le vouloir intense de l’actant dans son attente de retrouver ses parents. Comme elle est très

petite, sa croyance optimiste dirige tout son dispositif cognitif et affectif. Dotée d’une image

bienveillante de ses parents («éclatants de blancheur tels les anges») et sûre de son union

prochaine avec eux, la petite fille se trouve dans un état d’attente d’ordre excitant. Bien qu’il

ne soit qu’au niveau virtuel, le lien d’attachement qu’elle a construit dans son imaginaire est

très fort.

Dans Magnus, les relations parentales entre les personnages sont également

significatives. Franz-Georg en tant qu’unique garçon de la famille admire son père bien qu’il

soit distant avec lui. C’est un «magicien de la santé» (MA, p.21) à ses yeux et il adore

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l’écouter chanter. Il est aussi très attaché à sa mère, « la bonne reine veillant sur lui » (MA,

p.15), lui racontant toujours des histoires. Franz-Georg se voit vivre dans un feuilleton dont il

est le personnage principal.

«Dans ce feuilleton en forme de conte qui l’enchante… chaque membre de la famille a

une stature de héros: … sa mère en tant que fée bienfaisante, son père en tant que

grand médecin[…] Ses parents, il les aime de tout son cœur, mais eux aussi…» (MA,

pp. 16-20).

L’extrait ci-dessus nous permet de mieux observer le lien affectif de l’enfant avec ses

parents. Le narrateur décrit les rôles qu’ils tiennent dans l’esprit de Franz-Georg. Ces rôles

représentés par les figures enchantées telles que «magicien de la santé», « la bonne reine

veillant sur lui », «fée bienfaisante», «grand médecin» dénotent la force magique de la

famille dans l’imaginaire de l’enfant. Pour Franz-Georg, ses parents ont une grande valeur et

exercent une puissance dans sa conscience ; cela construit un lien d’attachement stable et

sécurisant pour lui.

Dans le dernier roman de notre corpus, L’inaperçu, les relations du personnage principal

Pierre avec ses parents se montrent plus dures que celles des autres. Il ne vit pas dans un

univers imaginaire comme Laudes Marie ou Franz-Georg ; tout petit, il est confronté aux vérités

malheureuses concernant sa famille. Il a un père homosexuel, contraint par ses parents à se

marier avec sa mère. Le couple a eu un enfant pour justifier la légitimité de leur union envers

leurs parents. La mère en face de non-amour de son mari considère Pierre «comme un bâtard

qui se serait glissé subrepticement en elle.» (IN, p. 246) et ne lui montre aucune affection. Le

petit garçon trouve la tendresse auprès de son père. Malgré tout, il apparaît quand même

attaché à ses parents et veut établir un lien entre les deux qui s’évitent l’un l’autre. Il veut

compenser l’absence d’affection entre les deux.

«L’enfant était doux et l’aimait sans réserve, ni condition, lui.[…] il voulait plaire à

chacun de ses parents et s’évertuait à devenir leur trait d’union.»(IN, pp. 246-247).

Dans l’extrait, l’expression «sans réserve, ni condition» est significative dans le sens

où elle dénote l’intensité de l’amour que Pierre éprouve pour sa mère. Malgré les conflits entre

ses parents, il cherche à établir lui-même le lien d’attachement entre eux trois.

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Au début des parcours des personnages principaux, l’amour filial apparaît alors comme

un lien d’attachement fort qui détermine leurs rapports avec leurs parents. Leur innocence

infantile les pousse à les aimer inconditionnellement. Avec le temps, ils accéderont à d’autres

réalités blessantes qui changeront leurs rapports avec eux.

III.1.2. Lien fiduciaire entre les actants

Dans le discours des romans, nous observons que lorsqu’ils sont petits, les