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Paul Ricœur reprend pour sa part le problème de l’identité notamment dans son œuvre ,

Soi-même comme un autre. Il installe la narrativité et la temporalité au centre de la

problématique, et il étudie leurs contributions dans la constitution identitaire. Ricœur avance

que la narration de la vie du personnage équivaut à son identité : «C’est l’identité de l’histoire

qui fait l’identité du personnage»

95

.

Les réflexions de Ricœur sur l’identité se façonnent autour de la question de la

temporalité. La question « Suis-je et serai-je toujours le même»conduit le philosophe à penser

94 Marie-Loup Eustache, «Mémoire etidentité dans la phénoménologie d'Edmund Husserl : liens avec les conceptions des neurosciences cognitives »,Revue de neuropsychologie, 2/2010, Volume 2, p. 160.

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la stabilité et l’instabilité de l’identité dans le temps. Selon lui, le sujet se soumet aux altérations

qui contestent la permanence de son identité dans le temps.

Pour répondre à cette problématique, Ricœur déduit deux significations majeures de

l’identité : la permanence à soi (Soi-idem) et le maintien du soi (Soi-ipse). En tenant compte

de cette confrontation entre deux pôles, il distingue deux types d’identité : l’identité comme

mêmeté (latin : idem), et l’identité comme ipséité (latin : ipse). Selon lui, l’indétermination sur

le noyau identique de la personne relève du fait que l’on s’est intéressé jusque-là à une identité

du type idemalors qu’on devrait aussi s’occuper d’une identité de type ipse.

«Le dilemme disparaît si, à l’identité comprise au sens d’un même (idem), on substitue

l’identité comprise au sens d’un soi-même (ipse); la différence entre idem et ipse n’est

autre que la différence entre une identité substantielle ou formelle et l’identité narrative.

[…] À la différence de l’identité abstraite du Même, l’identité narrative, constitutive de

l’ipséité, peutinclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie. Le sujet

apparaît alors constitué à la fois comme lecteur et comme scripteur de sa propre vie »

96

.

L’idem, le modèle de l’identité par mêmeté, est la stabilité égoïque. Il est permanent et

invariable dans le temps. Il résiste au changement. Ricœur le considère comme le caractère

du sujet, autrement dit «l’ensemble des marques distinctives qui permettent de réidentifier un

individu comme étant le même»

97

. A l’opposé, l’ipse, le modèle d’identité par le maintien du

soi-même ne renvoiepas à la permanence dans le temps. Il relève d’une dimension éthique

et signifie le Soi en instance, la fidélité maintenue dans la parole donnée. La visée éthique

peut amener au refus du même pour le maintien de soi. L’identité narrative du personnage se

tient alors entre ces deux pôles d’identité : le pôle du caractère où l’ipse est recouvert par

l’idemet le pôle du maintien de soi où l’ipséité se libère de la mêmeté.

Une dialectique de la mêmeté et l’ipséité résout ainsi le vieux dilemme de la

philosophie. L’opération narrative développe une représentation originale d’identité dynamique

qui concilie les catégories contraires : la mêmeté et la diversité. La production narrative de soi

privilégie une logique d’enchaînement au détriment de l’idée de fixité. «La cohérence

fondatrice n’est plus dans la mêmeté, mais dans le coulé et l’intelligence de la suite des

événements»

98

.

96Paul Ricœur,Temps et Récits, Paris, Editions du Seuil, 1985, p. 355.

97 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op.cit., p.114.

98 Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi, Une théorie de l’identité, Paris, Armand Collin, 2004, p.152.

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L’identité est-elle une substance, un processus, un transcendantal, une conscience de

soi, un effet de perception, une illusion ou une narration de soi ? Bien des questions suscitées

par l’identité occupent pendant les siècles les philosophes dont les contributions donnent du

relief aux paradoxes liés à ce concept et le rendent certainement plus riche. Comment le sujet

se perçoit lui-même, comment il se distingue ou il s’inscrit dans le temps, c’est à travers

plusieurs paramètres que les approches philosophiques visent à éclairer ces questions dont

certaines restent aussi prégnantes dans les sciences sociales.

Contrairement aux débats philosophiques, le concept de l’identité est récent dans les

sciences sociales. Il se répand et se développe au XX

ème

siècle dans les divers champs de la

connaissance selon des perspectives différentes. Notamment la sociologie et la psychologie

s’emparent du concept pour étudier le lien entre l’individu et la société.

II.1.2. Regard psychologique sur la question de l’identité

La psychologie met avant tout l’accent sur l’individu et privilégie la subjectivité dans sa

conception de l’identité. C’est notamment la psychologie sociale qui a le plus abordé la

construction identitaire, et elle la considère comme une interaction du psychisme et du social

chez un individu. La problématique de l’identité s’est organisée autour d’une question centrale

qui consiste à décrire l’articulation entre le personnel et le collectif.

Sigmund Freud, même s’il ne parle pas strictement du concept d’identité, contribue au

développement du concept grâce à ses travaux concernant le processus de l’« identification ».

Ce dernier indique le processus psychologique par lequel le sujet se construit en assimilant

des modèles et des images de son entourage. Avec ce concept d’identification, Freud permet

de penser l’identité comme une interaction entre le moi du sujet et son environnement social

et ainsi ouvre la voie à d’autres réflexions sur l’identité dans les sciences humaines.

C’est surtout Eric Erikson qui joue un rôle important dans la popularisation du terme

d’identité dans les sciences sociales. Erikson conçoit l’identité essentiellement comme le

«sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle (sameness) et d'une continuité

temporelle (continuity) »

99

. En développant l’idée de processus de l’identification de Freud, et

se nourrissant des études sociales et anthropologiques, il aborde la question identitaire en la

rapportant aux interactions sociales. Il insiste sur le développement de l’identité au long de la

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vie humaine en soulignant les épisodes de crise durant l’enfance et l’adolescence pendant

lesquelles se construit effectivement l’identité.

George Herbert Mead considère de son côté l’identité comme une construction ouverte

et dynamique qui se développeautour d’un contexte historique. Au lieu du terme «identité»,

il utilise le « soi » qui est d’après lui «moins une substance qu’un processus»

100

. Mead conçoit

le soi comme un dialogue continu entre un Moi qui interprète les attitudes d’autrui et un Je qui

réagit à ces attitudes. La théorie de l’identité de Mead attribue notamment une place

importante à autrui et aux rapports interindividuels dans la construction identitaire. Considéré

comme l'un des pères fondateurs de la psychologie sociale moderne, Mead a aussi une

influence considérable sur le développement d’une théorie de l’identité en sociologie.

Les travaux de deux théoriciens, Alex Muchielli et Pierre Tap portent sur le rôle des

sentiments dans la construction de l’identité personnelle. Selon eux, l’identité se forme à partir

d’un ensemble de sentiments tels que le sentiment d’unicité, de cohérence, de continuité,

d’autonomie et de valeur.

Dans son œuvreIdentité

101

, Mucchielli indique que les sentiments d’unité et de