Soi-même comme un autre. Il installe la narrativité et la temporalité au centre de la
problématique, et il étudie leurs contributions dans la constitution identitaire. Ricœur avance
que la narration de la vie du personnage équivaut à son identité : «C’est l’identité de l’histoire
qui fait l’identité du personnage»
95.
Les réflexions de Ricœur sur l’identité se façonnent autour de la question de la
temporalité. La question « Suis-je et serai-je toujours le même»conduit le philosophe à penser
94 Marie-Loup Eustache, «Mémoire etidentité dans la phénoménologie d'Edmund Husserl : liens avec les conceptions des neurosciences cognitives »,Revue de neuropsychologie, 2/2010, Volume 2, p. 160.
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la stabilité et l’instabilité de l’identité dans le temps. Selon lui, le sujet se soumet aux altérations
qui contestent la permanence de son identité dans le temps.
Pour répondre à cette problématique, Ricœur déduit deux significations majeures de
l’identité : la permanence à soi (Soi-idem) et le maintien du soi (Soi-ipse). En tenant compte
de cette confrontation entre deux pôles, il distingue deux types d’identité : l’identité comme
mêmeté (latin : idem), et l’identité comme ipséité (latin : ipse). Selon lui, l’indétermination sur
le noyau identique de la personne relève du fait que l’on s’est intéressé jusque-là à une identité
du type idemalors qu’on devrait aussi s’occuper d’une identité de type ipse.
«Le dilemme disparaît si, à l’identité comprise au sens d’un même (idem), on substitue
l’identité comprise au sens d’un soi-même (ipse); la différence entre idem et ipse n’est
autre que la différence entre une identité substantielle ou formelle et l’identité narrative.
[…] À la différence de l’identité abstraite du Même, l’identité narrative, constitutive de
l’ipséité, peutinclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie. Le sujet
apparaît alors constitué à la fois comme lecteur et comme scripteur de sa propre vie »
96.
L’idem, le modèle de l’identité par mêmeté, est la stabilité égoïque. Il est permanent et
invariable dans le temps. Il résiste au changement. Ricœur le considère comme le caractère
du sujet, autrement dit «l’ensemble des marques distinctives qui permettent de réidentifier un
individu comme étant le même»
97. A l’opposé, l’ipse, le modèle d’identité par le maintien du
soi-même ne renvoiepas à la permanence dans le temps. Il relève d’une dimension éthique
et signifie le Soi en instance, la fidélité maintenue dans la parole donnée. La visée éthique
peut amener au refus du même pour le maintien de soi. L’identité narrative du personnage se
tient alors entre ces deux pôles d’identité : le pôle du caractère où l’ipse est recouvert par
l’idemet le pôle du maintien de soi où l’ipséité se libère de la mêmeté.
Une dialectique de la mêmeté et l’ipséité résout ainsi le vieux dilemme de la
philosophie. L’opération narrative développe une représentation originale d’identité dynamique
qui concilie les catégories contraires : la mêmeté et la diversité. La production narrative de soi
privilégie une logique d’enchaînement au détriment de l’idée de fixité. «La cohérence
fondatrice n’est plus dans la mêmeté, mais dans le coulé et l’intelligence de la suite des
événements»
98.
96Paul Ricœur,Temps et Récits, Paris, Editions du Seuil, 1985, p. 355.
97 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op.cit., p.114.
98 Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi, Une théorie de l’identité, Paris, Armand Collin, 2004, p.152.
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L’identité est-elle une substance, un processus, un transcendantal, une conscience de
soi, un effet de perception, une illusion ou une narration de soi ? Bien des questions suscitées
par l’identité occupent pendant les siècles les philosophes dont les contributions donnent du
relief aux paradoxes liés à ce concept et le rendent certainement plus riche. Comment le sujet
se perçoit lui-même, comment il se distingue ou il s’inscrit dans le temps, c’est à travers
plusieurs paramètres que les approches philosophiques visent à éclairer ces questions dont
certaines restent aussi prégnantes dans les sciences sociales.
Contrairement aux débats philosophiques, le concept de l’identité est récent dans les
sciences sociales. Il se répand et se développe au XX
èmesiècle dans les divers champs de la
connaissance selon des perspectives différentes. Notamment la sociologie et la psychologie
s’emparent du concept pour étudier le lien entre l’individu et la société.
II.1.2. Regard psychologique sur la question de l’identité
La psychologie met avant tout l’accent sur l’individu et privilégie la subjectivité dans sa
conception de l’identité. C’est notamment la psychologie sociale qui a le plus abordé la
construction identitaire, et elle la considère comme une interaction du psychisme et du social
chez un individu. La problématique de l’identité s’est organisée autour d’une question centrale
qui consiste à décrire l’articulation entre le personnel et le collectif.
Sigmund Freud, même s’il ne parle pas strictement du concept d’identité, contribue au
développement du concept grâce à ses travaux concernant le processus de l’« identification ».
Ce dernier indique le processus psychologique par lequel le sujet se construit en assimilant
des modèles et des images de son entourage. Avec ce concept d’identification, Freud permet
de penser l’identité comme une interaction entre le moi du sujet et son environnement social
et ainsi ouvre la voie à d’autres réflexions sur l’identité dans les sciences humaines.
C’est surtout Eric Erikson qui joue un rôle important dans la popularisation du terme
d’identité dans les sciences sociales. Erikson conçoit l’identité essentiellement comme le
«sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle (sameness) et d'une continuité
temporelle (continuity) »
99. En développant l’idée de processus de l’identification de Freud, et
se nourrissant des études sociales et anthropologiques, il aborde la question identitaire en la
rapportant aux interactions sociales. Il insiste sur le développement de l’identité au long de la
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