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a) Aurélie : de la pratique ascétique à un repartage du sensible – sur les chemins de la vérité ?

Et avant, t'as toujours été dans beaucoup d'associations ?

Non, j'ai intégré vraiment le milieu associatif, ça fait 3 ans. Avant non, j'ai changé [exclamation]. C'est dû à un évènement particulier ?

La méditation. Oui ?

27 Marion Carrel, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, ENS

Editions, 2013, p. 110-111

28Julien Talpin, « Jouer les bons citoyens. Les effets contrastés de l'engagement au sein de dispositifs participatifs

Je pense, la rencontre avec un moine bouddhiste tibétain, méditer. Te rendre compte que c'est... qui tu es vraiment, quelles sont tes aspirations, ce qui te procure du bonheur et te détourner un peu… ; ne plus être nombriliste et se rendre compte qu'on est tous interconnectés, qu'on arrivera à avancer en étant dans le partage et en étant ensemble, tout en rencontrant des personnes qui sont totalement différentes de celles que tu peux rencontrer dans ton quotidien.

[…]

Et au fil du temps...

Je me suis ouverte, j'ai changé ma façon de penser et de voir les choses. Entretien Aurélie

Ce processus de reconfiguration du rapport à soi est protéiforme ; Aurélie, dans son expérience, situe l’élément déclencheur de cette reconfiguration à la rencontre avec un moine bouddhiste alors qu’elle suivait des leçons de méditation, et qu’elle s’était engagée dans cette démarche ascétique au préalable. En cela, cette transformation, ainsi que cette « conversion du regard29 » ont été le vecteur de son engagement associatif futur (elle est bénévole à la SPA, à la L214, membre très active d’une association de quartier visant à promouvoir la convivialité et mobiliser les habitants, membre d’Alternatiba – « mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale30 » – en plus de son engagement au sein du CCI, et de son travail en tant que chef de projet dans le secteur social). Son arrivée dans le CCI fait suite à cette soif d’engagement, après que se soit recodé, reconfiguré son rapport à soi.

Son engagement au sein de l’instance citoyenne fait suite à sa démission de la Table de quartier, comme trois autres membres du CCIP, et semblerait presque accidentelle, si elle n’était pas le prolongement de ce travail de transformation de soi. Mead insiste sur l’importance de « l’intégration des attentes normatives d’autrui envers soi dans les relations humaines31 », et ce travail de reconfiguration agit comme une première rupture normative avec ce soi dont résultera son engagement. L’engagement politique n’est d’ailleurs intervenu qu’après : sa conviction que « c'est vraiment du bas, des habitants que ça doit partir et non pas du haut » s’est formée il y a deux ans « en avançant sur [son] chemin, en travaillant sur [elle], avec des lectures, en rencontrant des nouvelles personnes, en [s]'intéressant vraiment

29 Michel Foucault, Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Gallimard, Seuil, 2001, p.

16-18

30 Site web de l’association Alternatiba, rubrique Qui sommes-nous ?

31 Marion Carrel, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, ENS

Editions, 2013, p. 110-111 ; George Herbet Mead, L’esprit, le Soi et la Société, traduit de l’anglais par Jean Cazeneuve, Eugène Kaelin et Georges Thibault. Préface de Georges Gurvitch, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, 332 p.

de plus près à la délinquance32. »

b) Aurore « parent d’enfant porteur de handicap » : du trouble politique à l’engagement participatif

Pour Aurore, le CCI fait partie de son « cheminement de pensée33 » « personnel » ; son premier engagement s’est fait au sein d’une association de parents d’enfants en situation de handicap :

Je pense que quand même, d'être parent d'un enfant porteur d'un handicap, je pense que ça te pousse à te... battre ; voilà pour l'inclusion des gens, pour le respect, etc. Je pense qu'il y a ça aussi dans mon

cheminement34.

Peut-on parler de reconfiguration du rapport à soi dans le cas d’Aurore ? Le fait qu’elle soit poussé à se « battre […] pour l’inclusion des gens, pour le respect » montre que l’évènement déclencheur que fût le fait « d’être parent d’un enfant porteur de handicap » - en tant que ce handicap est susceptible de conduire à la discrimination de son enfant – lui a fait reconfigurer sa relation à elle-même ; en tant que « parent d’un enfant porteur de handicap », elle souhaite se « battre » et sans doute s’émanciper des attentes normatives d’autrui envers cette identité particulière. Ainsi l’engagement au sein du CCI n’est au total qu’un prolongement du premier engagement associatif ; elle me confiera d’ailleurs s’être syndiquée depuis très peu de temps, alors qu’elle ne se sent « pas en danger » professionnellement.

Son engagement est récent au sein du CCI, il a un an, et fait suite au second tour des élections présidentielles ayant vu s’affronter les candidats Le Pen et Macron : « l'idée c'était de me dire que j'ai l'impression que je ne crois plus trop en la politique dans les hautes sphères et j'avais envie de, localement, discuter de ça, et puis d'arriver après à convaincre des gens, plus en tant que civil. » Le motif d’engagement est le même qu’Aurélie, il traduit une venue à la politique, une entrée sur la scène participative qui n’arrive pas comme une évidence.

Malgré la reconfiguration préalable pour Aurélie et Aurore de leur rapport à soi, elles ne vivent pas leur engagement au sein du CCI comme une évidence, mais elles y sont venues. Dans leur cas, le(s) trouble(s) a précédé à leur politisation.

Le fait que l’une et l’autre agissent au sein de collectifs associatif ou participatif fait suite à un trouble personnel dont résulte une reconfiguration de leur rapport à soi : c’est une autre « conscience de soi » - en tant qu’elle permet à l’individu « de se faire une image de lui-même

32 Entretien Aurélie 33 Entretien Aurore 34 Ibidem

et de le guider dans les relations avec autrui35 » - qui émerge de ce fait, « rehaussée36 », ou à

tout le moins transformée.

2.

Des raisons politiques ou idéologiques : le trouble participatif