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Un bref descriptif du fonctionnement de l’instance CC

A. Quels enjeux conceptuels ?

La conceptualisation wébérienne paraît inadéquate pour décrire le fait participatif ; dans un premier temps, un point terminologique s’impose pour utiliser le concept dans le cas des conseils citoyens indépendants ; dans un second temps, nous procéderons à une interrogation liminaire de l’aspect extra quotidien des caractéristiques de la personne charismatique et de l’évènement du conseil citoyen.

101 Op. cit., p. 326

102 Etienne Balibar, La « quotidianisation du charisme » selon Max Weber, exposé présenté par Etienne Balibar,

Groupes d’études « La philosophie au sens large », Animé par Pierre Macherey, (texte non publié), 3 novembre 2004

1.

Des considérations terminologiques

Alors que je demandais à Franck, du CCIP, ce qu’il pensait du fonctionnement collégial de l’instance, puisque je l’avais vu à maintes reprises exprimer son empressement en séance plénière devant la longueur des interventions de ses camarades, il me répondit :

Oui, il n'y a pas de chef, tout le monde prend la parole, expose ses idées, est le bienvenu, donc alors après effectivement quand il y a des ordres du jour dans… Il y a des gens qui ne comprennent pas toujours qu'il faut aller vite sur leur sujet, qu'il n'y a pas que leur sujet ; mais d'un autre côté, je comprends que quelqu'un qui s'est impliqué dans un truc… Je comprends qu'il hésite à... ait du mal à n’en parler pas plus d'une minute, c'est compréhensible aussi104.

Franck qui a terminé sa carrière au grade de colonel dans l’armée est habitué aux relations hiérarchiques, et ne les a aucunement remises en question lors de notre entretien, au contraire, il a pu affirmer à propos de son travail que « tu ne vois pas toujours la finalité de ton boulot et tu te dis que si on te le demande, c’est pas moi - jeune con à 25 ans - qui vais remettre en cause des principes sur lesquels les anciens de 50 ans me disent que c’est comme ça qu’il faut faire105. »

Franck exemplifie de manière nette une absence de remise en cause d’une éventuelle hiérarchisation statutaire, à laquelle il agrée, mais néanmoins, n’en décèle aucune au sein du CCI ; il ne constitue en rien un cas d’exception. Le cas d’exception a été celui de Mounira, qui elle, a bien reconnu un rôle particulier dans celui de Maryse tient au sein du conseil106, mais

qui elle-même occupe une position particulière au sein du conseil, puisqu’elle y prend part, mais n’en fait pas partie officiellement107. Dans l’autre conseil, il y avait unanimité sur le fait

qu’il n’y avait « pas de chef », tout juste un participant a bien voulu reconnaître alors que l’enregistrement de l’entretien était terminé que lorsqu’il était question d’architecture, « on sait qu’on en sait beaucoup moins qu’Adrien108 ».

Si aucun « chef » exerçant une forme de domination n’est reconnaissable, c’est peut-être que la terminologie issue de la traduction de l’allemand vers le français ne permet pas de

104 Entretien Franck 105 Ibidem 106 Entretien Mounira 107 Entretien Maryse 108 Entretien Séverine

retranscrire la situation, et le vécu des membres du conseil, non qu’aucune distinction de rôle entre membres n’existe.

Etienne Balibar, dans un exposé présenté en 2004, s’interroge sur la pertinence du vocable « domination » dans le cas du phénomène charismatique109. Le philosophe énonce que ce vocable est trompeur puisqu’en français actuel la domination « évoque des structures sociales invétérées et organisées110 », ce qui ne saurait être le cas du phénomène charismatique. Sur un plan théorique, Hannah Arendt dans sa conceptualisation du phénomène d’autorité, fournit sans doute la définition la plus apte à rendre compte du phénomène charismatique au sein du conseil :

« L’autorité […] peut s’appliquer à la personne – on peut parler d’autorité personnelle, par exemple dans les rapports entre parents et enfants, entre professeurs et élèves – ou encore elle peut constituer un attribut des institutions, comme, par exemple, dans le cas du Sénat romain (auctoritas in senatu) ou de la hiérarchie de l’Eglise (un prêtre en état d’ivresse peut valablement donner l’absolution). Sa caractéristique essentielle est que ceux dont l‘obéissance est requise la reconnaissent inconditionnellement ; il n’est en ce cas nul besoin de contrainte ou de persuasion. […]

L’autorité ne peut se maintenir qu’autant que l’institution ou la personne dont elle émane sont respectées. Le mépris est ainsi le plus grand ennemi de l’autorité, et le rire est pour elle la menace la plus redoutable111. »

Sa définition met en lumière un autre aspect du phénomène d’autorité qu’elle soit charismatique, ou non ; c’est la reconnaissance de l’autorité par les personnes dont l’obéissance est requise qui confère à l’autorité sa légitimité, mais celle-ci n’advient que lorsque « les hommes gardent leur liberté112 ». Puisque le chef incarnerait un renoncement à une partie de la liberté pour les membres de l’instance, il semble que le vocable « autorité » soit le plus adapté à décrire le vécu des participants, que le vocable « domination ».

Mais Hannah Arendt, à sa définition de l’autorité avait ajouté au préalable, dans le chapitre

Qu’est-ce que l’autorité de son essai La crise de la culture : « La relation autoritaire entre celui

qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune ni sur le pouvoir de

109 Etienne Balibar, La « quotidianisation du charisme » selon Max Weber, exposé présenté par Etienne Balibar,

Groupes d’études « La philosophie au sens large », Animé par Pierre Macherey, (texte non publié), 3 novembre 2004

110 Ibidem

111 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Essais de politique contemporaine, Sur la violence, Editions

Pocket, coll. « Agora », 1972, p. 145-146

celui qui commande ; ce qu’ils ont commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée113. » Bien que le vocable « autorité » permette sans doute de coller de plus près la réalité des conseils, si aucune hiérarchie n’est reconnue par les membres à l’exception de Mounira, ni énoncée par les participants, même dans le cadre intimiste de l’entretien qui se prêterait justement à cela, peut-on faire état d’une autorité, en l’absence d’une hiérarchie ressentie ? Il est également nécessaire de questionner le caractère extra-quotidien des qualités d’une personne incarnant l’autorité charismatique au sein du conseil : il semble évident que les qualités des personnalités charismatiques ici étudiées ne relèvent pas du domaine de l’extra- quotidien pour les autres membres ; il semble pertinent de s’interroger sur le caractère extra quotidien de la participation au conseil néanmoins.

2.

La quotidianisation de l’activité du conseil et le phénomène

charismatique

Alors que les membres les plus présents de l’instance participent a minima une fois par mois en séance plénière, et plus encore pour ceux participant à des actions ou des concertations publiques auxquelles ils participent de manière parfois bihebdomadaire, il semble évident que le conseil citoyen indépendant fait partie de la vie quotidienne de ses membres, du moins de ses membres les plus investis.

Sur un plan temporel, les réunions avaient lors de l’observation une place quasi hebdomadaire114, et pour les membres les plus investis qui participaient à d’autres réunions de concertation sur l’urbanisme notamment, nul doute qu’elles y tenaient une place quotidienne, mais la question n’est pas réellement là ; elle est de définir si l’éventuelle autorité charismatique pressentie peut se situer hors du quotidien des « adeptes ». Ce point interrogatif est donc liminaire, mais puisque d’aucun ou presque ne reconnait la préséance d’un membre par rapport à un autre, de manière consciente, ou seulement dicible, il se fera en sourdine ; il sera également à nuancer, selon les types de charisme qui pourraient qualifier les observations du comportement d’Aude et Maryse, mais se devra d’être gardé à l’esprit lorsque nous examinerons ces deux cas.

113 Ibidem, p. 123

114 Pour l’un des conseils, j’ai d’ailleurs joint, dans une démarche d’observation participante, un groupe dont

l’objet était l’organisation d’une conférence sur la participation citoyenne, sur le « pouvoir d’agir du citoyen ». Dans ce cadre, les réunions étaient dans un premier temps bimensuelles, pour ensuite devenir hebdomadaires, voire bihebdomadaires.

Enfin, l’interrogation réelle réside dans l’éventuelle « routinisation » ou « quotidianisation » du charisme, qui se muerait ainsi en une domination plus traditionnelle puisque la domination légale apparaît hors de propos dans les cas présents.

Il semble que la réalité des conseils sera sans doute plus à même d’être décrite en faisant usage, par commodité pour éviter la répétition, du terme « charismate » pour décrire le cas de la « personne charismatique », en ayant présent à l’esprit ces considérations terminologiques.