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OU LA CROYANCE IDENTITAIRE

B- HYPOTHESES DIAGNOSTIQUES STRUCTURALES

1) Un trouble psychotique partiel ?

Différentes théorisations se retrouvent actuellement dans un diagnostic structural de psychose sans aucun délire manifeste, comme pour le diagnostic de « prépsychose. »

Pour certains, au premier rang desquels sont de nombreux lacaniens, le diagnostic de

« psychose compensée » pourrait tout à fait être retenu dans la situation d’Hélène. Nous apporterons quelques éléments théoriques à ce propos que nous mettrons en lien avec la démarche transsexuelle.

Le concept de « psychose blanche », avancé par J.-L. DONNET et A. GREEN, rend également compte de troubles psychotiques sans délire ; il nous semble que cette entité pourrait intéresser la situation clinique de M. C.

a) Une psychose compensée ?

Dans les théorisations lacaniennes211, la notion de psychose ne répond pas nécessairement à une critériologie symptomatique, mais bien plutôt à une absence de dialectique symbolique dans le discours du sujet.

La « forclusion du Nom-du-Père »212 constitue dans ce contexte le mécanisme psychique primordial de la psychose, au même titre que le refoulement pour la névrose, ou le déni pour la perversion.

Cette forclusion empêche l’avènement du refoulement originaire, ce qui ne permet pas au sujet d’accéder à la dialectique désirante caractéristique de la dynamique névrotique.

Dès lors, certains des signifiants employés par les sujets psychotiques ne sont pas soutenus par une architecture renvoyant au complexe de castration, comme chez les sujets névrosés.

211 MILLOT C. Horsexe. Essai sur le transsexualisme. Paris : Point hors ligne, 1983.

212 MELMAN C. « Forclusion. » In : Dictionnaire international de la psychanalyse. Paris : Calmann-Lévy, 2002.

Ceci permet de repérer à travers leur discours un « noyau d’inertie dialectique »213, qui serait équivalent à un « phénomène élémentaire »214 psychotique.

La notion de psychose compensée215 illustre le fait que certains sujets, bien qu’étant de structure psychotique, puissent ne pas délirer : l’absence de dialectique spontanée dans le discours pourrait être « compensée » par des dispositifs particuliers, qui viendraient en lieu et place d’une expérience délirante productive. Celle-ci est classiquement comprise, dans la théorie analytique, comme une reconstruction défensive à la suite d’un effondrement psychotique.

Parmi ces dispositifs particuliers, autrement nommés « suppléances », J. LACAN a proposé comme exemple paradigmatique l’expérience littéraire de J. Joyce216, dont le style se rapprocherait de certaines constructions délirantes.

Antérieurement, dans le séminaire sur les psychoses217, il avait déjà avancé d’autres possibilités de suppléance, notamment « une série d’identification purement conformistes », agissant comme une « compensation imaginaire de l’Œdipe absent. »

Dans cette optique, le transsexualisme peut être compris comme une psychose compensée : le vécu « d’être une femme dans un corps d’homme » serait un « phénomène délirant élémentaire », et le projet de transformation sexuel (la demande d’opération, l’apprentissage des comportements du genre opposé, …) serait une « suppléance. »

L’incapacité du sujet transsexuel à accéder à une mobilisation symbolique et imaginaire de sa croyance signerait la présence d’un « noyau d’inertie dialectique. »

Ainsi, dans les théorisations lacaniennes qui concernent le transsexualisme218, celui-ci est souvent pointé comme révélant à la fois une structure psychotique sous-jacente (qu’il y ait délire manifeste ou pas) et sa suppléance (qui permettrait au sujet de conserver un discours et un comportement adaptés en dehors de sa démarche transsexuelle).

213 LACAN J. Le séminaire. Livre 3, les psychoses. Paris : Le Seuil, 1981.

214 Id.

215 MALEVAL J.-C. « Eléments pour une appréhension clinique de la psychose ordinaire. » In : Séminaire de la découverte freudienne « psychose et lien social ». Toulouse, 2003.

216 LACAN J. Le séminaire. Livre 23, le sinthome. Paris : Le Seuil, 2005.

217 LACAN J. Le séminaire. Livre 3, les psychoses. Paris : Le Seuil, 1981.

218 MALEVAL J.-C. « Variétés cliniques du pousse-à-la-femme. » Cahier de l’association de la cause freudienne – Val de Loire et Bretagne 1996 ; 6.

b) Une psychose blanche ?

J.-L. DONNET et A. GREEN219 ont proposé en 1973 le concept de « psychose blanche » pour rendre compte d’un fonctionnement psychique atypique, dont l’élément central est la « tri-bi-angulation. »

A l’inverse du sujet névrosé, où le fonctionnement psychique est étroitement corrélé aux complexes d’Œdipe et de castration (permettant une triangulation véritable), un patient répondant au diagnostic de « psychose blanche » ne pourrait pas se référer inconsciemment à de telles structures.

En effet, il ne se fonderait pas sur la différence des sexes comme étant l’opérateur primordial permettant la discrimination entre son père et sa mère.

A la place, il ne les distinguerait que par leur caractère totalement bon ou totalement mauvais.

La reconnaissance de la différence des sexes resterait alors sous la dépendance du clivage dichotomique bon/mauvais.

Dès lors, on retrouve une « tri-bi-angulation » : « la tripartition sujet, objet bon, objet mauvais, aboutit en fait à une relation duelle, car l’objet tiers n’est jamais que le double de l’objet. Le sujet s’unit alors à un seul objet. Il croit pouvoir fuir le mauvais objet, prenant le large pour se rapprocher du bon objet, mais au contact de ce bon objet, il ne rencontre que le reflet du mauvais objet déguisé en bon objet. »220

Bien que J.-L. DONNET et A. GREEN n’aient pas proposé de considérer la « tri-bi-angulation » comme une conformation inconsciente spécifique du transsexualisme, il nous semble qu’elle peut être considérée comme une hypothèse valide dans la situation d’Hélène.

En effet, déjà avant sa demande de transformation sexuelle, M. C. se vivait comme « différent des autres hommes » qui étaient déjà perçus comme « mauvais ou dangereux. »

Cette perception négative s’est amplifiée secondairement, à tel point qu’il ne pouvait même plus se reconnaître comme un « homme différent » : devenir une femme semblait être la seule façon pour lui de « mériter » de vivre.

219 DONNET J. L., GREEN A. L’enfant de Ca. Psychanalyse d’un entretien : la psychose blanche. Paris : Minuit, 1973.

220 Id.

Cette conceptualisation ne semble pas foncièrement incompatible avec la notion d’état limite, telle qu’elle a été développée par O. KERNBERG ou J. BERGERET221.

Ainsi, nous allons développer les faits cliniques ainsi que les arguments psychopathologiques qui nous permettraient de retenir ce diagnostic dans la situation d’Hélène.