• Aucun résultat trouvé

OU LA FALSIFICATION IDENTITAIRE

B- HISTOIRE CLINIQUE

2) Eléments cliniques recueillis

Dans ce chapitre, nous allons présenter l'ébauche des problématiques développées durant sa deuxième hospitalisation au CHU.

a) Présentation

Se présentant à chaque fois d’une façon « entière », M. D. se montre réticent jusqu’au mutisme, sombre et épuisé le premier soir, faisant évoquer le diagnostic d’état mélancolique.

Puis le lendemain matin, il a l’air en forme, sûr de lui, affable, adoptant des allures de pédagogue, …

C’est dire si sa présentation peut varier selon les circonstances et les interlocuteurs et ce, d’une façon très rapide.

Il n’en reste pas moins que dans chacune de ses « apparitions », on peut relever des constantes : - le caractère tranché des émotions présentées (pas de demi-mesures),

- l’absence de variation des émotions durant un entretien (ou si une variation est présente, elle est importante et « en réaction à » l’entretien) - l’impression de maîtrise (maîtrise de sa voix, de son corps, de son discours), avec une grande syntonie entre ces différents éléments.

Après plusieurs entretiens, on peut dire que le style habituel de M. D. ressemble à celui d'un professeur certain de son enseignement ou à celui d'un chef d'entreprise assuré de son pouvoir sur ses salariés. Et ceci, même lorsque la situation supposerait une attitude plus humble.

Ainsi, après plusieurs de ces « apparitions flamboyantes», on ne peut que constater sa difficulté à se présenter d’une façon sincère, personnelle et déconnectée des enjeux (réels ou fantasmés) de l’entretien. Nous reviendrons plus tard sur la fragilité narcissique qu’indique déjà l’analyse de sa présentation.

b) Biographie

Du fait de la structuration du discours de M. D., il est difficile d’établir une biographie précise. Ainsi, nous avons préféré utiliser principalement les éléments qui ont pu être vérifiés auprès de proches.

M. D. a 48 ans. Il est issu d’une famille nombreuse, et a gardé peu de contacts avec elle suite à de nombreux conflits. Il est père de trois enfants (15, 11, et 4 ans) de deux unions : divorcé (nous a-t-il dit) d’avec sa première femme, il est séparé de sa seconde femme depuis deux ans.

Il vit à proximité d’une grande ville et dit bénéficier de la garde de ses enfants un week-end sur deux, et la moitié des vacances. Il est notamment gérant d’un magasin de prêt-à-porter, qu’il avait acquis avec sa seconde épouse. Il aurait eu en parallèle différentes occupations professionnelles (acheteur et revendeur d’entreprises, assureur, …), et aurait connu récemment d’importantes difficultés financières, selon sa seconde femme.

Durant le recueil de ces données, nous avons pu nous interroger sur l’intérêt d’une telle démarche pour M. D., puisqu’il semblait plus « se perdre » dans cette entreprise (entre autre en fournissant des détails grandioses) plutôt que d’y trouver une histoire structurante, sur laquelle il aurait pu fonder une réelle compréhension de ses difficultés psychiques.

c) Discours

L’analyse de son discours, au travers du vocabulaire employé et des thématiques développées, permettra de mettre en évidence l’ambiance des entretiens et les principales problématiques abordées.

Vocabulaire employé :

Les termes grandiloquents sont préférentiellement employés. Ils sont facilement accumulés dans la même phrase, provoquant régulièrement des tautologies. M. D. aurait plutôt rajouté une phrase à son intervention pour en infléchir le sens plutôt que de tenter d'atteindre une juste concision (ex : « j'ai une maladie neurologique dégénérative incurable, conduisant à une déchéance obligatoire. », ou : « je suis issu d’une grande famille, bourgeoise, catholique, aristocratique »). Ces grands mots accumulés peuvent impressionner, et ce d’autant plus que M. D. semble les choisir en fonction de ses interlocuteurs.

Thématiques développées:

Grandeur

La majorité des qualificatifs utilisés par M. D. pour se décrire (que ce soit au niveau intime, personnel, familial, ou professionnel) sont emphatiques, et ce, d’une façon étonnamment constante, alors même qu’il se présente dans un contexte suicidaire.

Sa position sociale est exposée comme enviable, comme étant une réussite non questionnable (chef de plusieurs entreprises, homme d’affaires, ancien assureur,…).

L’origine familiale est illustre, le grand-père maternel ayant été un « célèbre écrivain journaliste. » Ses parents possédaient une « immense maison familiale », et auraient fait bénéficié chacun de leurs huit enfants d’une « éducation particulièrement élitiste », avec l’aide de « beaucoup d’employés. »

Paternité

Son rôle de père est au premier plan de ses préoccupations. Ainsi, la « maladie neurologique incurable», qui serait héréditaire selon lui, le prive tout d’abord de ses obligations paternelles : « je m’occupais énormément de mes enfants, j’étais même représentant élu des parents d’élèves. »

Il justifie d’ailleurs sa volonté de mourir par rapport à son rôle de père protecteur : « c’est pour eux que j’ai fait ce geste, pour qu’ils ne me voient pas décliner petit à petit, comme j’ai vu mon père et mon frère mourir dans d’atroces souffrances. »

On relève notamment un questionnement important sur la place des enfants et celle des parents : « à l’époque, nous étions élevés de loin par nos parents, c’étaient plutôt les employés qui s’en chargeaient. Aujourd’hui, les enfants nous collent comme des sortes de prothèses ; ce qu’il faudrait, ce serait un juste milieu. »

Déclin

Les termes de « déchéance, déclin, échec, incurabilité » ont été plusieurs fois employés par M.

D. pour qualifier son état physique, alors qu’il dénie toute difficulté de nature psychologique ou financière.

Ainsi, il explique ne pas regretter son geste, mais ne « se sent plus la force d’essayer à nouveau de mourir. »

Voyage

M. D. serait né dans un pays du Moyen Orient, durant un voyage de ses parents. D’ailleurs, de

« nombreux voyages à l’étranger » avec une « vie privilégiée dans les ambassades » auraient émaillés son enfance. Plus tard, tant sa fratrie que lui-même auraient beaucoup voyagé, en France ou à l’étranger.

M. D. aurait ainsi fait ses études dans différentes grandes villes françaises. Depuis la naissance de ses enfants, il ne se déplacerait plus qu’entre Paris et la grande ville française où il habite, pour « ses affaires. »

A la fin de son hospitalisation pour tentative de suicide, M. D. imaginait une nouvelle possibilité de se sortir de sa situation difficile : « aller dans un autre pays, pour que [ses]

enfants ne le voient pas décliner. »

C’est après une semaine d’hospitalisation que M. D. demande à sortir. Il accepte le traitement antidépresseur proposé et reconnaît la nécessité d’un suivi ambulatoire.