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2. Articulation entre les cours de DNL donnés en langue 2 et les cours de langue

2.2. Un tremplin pour l’articulation entre la langue 1 et la langue 2 ?

Je poursuis la réflexion lancée dans la section 2.1. à propos de l’articulation entre les didactiques des DNL et les didactiques des langues. Après avoir évoqué les points d’articulation entre la didactique de la L2 et celle des DNL, il me semble indispensable de m’arrêter sur la L1 et la L2. Les questions liées à l’articulation, voire à l’intégration entre la L1 et la L2 ne sont pas nouvelles puisque Roulet, en 1980, faisait déjà le constat suivant :

« Depuis une trentaine d’années, des sommes considérables sont investies par les autorités de nombreux pays de tous les continents dans la réforme des pédagogies des langues secondes et, plus récemment, de la langue maternelle. Nous n’avons pas les moyens ici d’évaluer systématiquement les résultats de ces tentatives, mais il suffit de lire les bilans établis à l’occasion d’une publication ou d’un congrès (Cf. Coste 1970, Roulet 1976) et d’observer la rapidité avec laquelle ces réformes se succèdent et se contredisent, pour conclure que ces résultats ne répondent pas à l’attente des intéressés : apprenants, enseignants et autorités. […] Tous ces projets, en dépit des moyens financiers et intellectuels considérables mis en œuvre, nous paraissent voués au même échec relatif que les tentatives précédentes et pour la même raison : les enseignements de langue maternelle et de langue seconde y sont traités comme des domaines séparés, rigoureusement cloisonnés, par des équipes différentes, sans collaboration réelle entre les unes et les autres. » (Roulet, 1980 : 7).

Je souhaiterais orienter la réflexion suivant un axe particulier : les recherches explorant des problématiques d’enseignement bilingue ne sont-elles pas susceptibles d’apporter un renouveau à la question de l’articulation didactique entre la L1 et la L2 ? C’est en effet une litote de dire que cette

137 Citons toutefois trois publications du Conseil de l’Europe, consacrées à des descriptions des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’apprentissage/enseignement de l’histoire, des sciences et de la littérature : Beacco (2010), Vollmer (2010), Pieper (2011). En dehors de ces trois publications et d’un document de cadrage général les accompagnant (Beacco et al.: 2010) les travaux prenant pour objet les caractéristiques de la langue de scolarisation en contexte CLIL/EMILE sont très rares.

109 question n’a pas avancé de manière très significative depuis les années 1980. Toutefois, par sa nature, l’enseignement bilingue n’ouvre-t-il pas de nouvelles voies d’approche ?

Il est clair que l’enseignement bilingue n’a pas apporté de réponses directes aux problématiques du cloisonnement entre la didactique de la L1 et celle de la L2, puisque les relations entre DNL et L2 sont justement marquées par un flou didactique important. Toutefois, différentes recherches ont montré les interactions qui peuvent se produire entre les compétences entre la L1 et la L2 dans des contextes d’enseignement bilingue. Les travaux de Gajo et al. déjà cités (Gajo & Serra, 2002 ; Gajo & Berthoud, 2010 ; etc.) ont montré le bénéfice pour la L1 comme pour la L2 d’activités bilingues de conceptualisation faites dans le cadre de cours de DNL. Trefault (1999) a, quant à lui, analysé dans des écoles primaires maliennes les compétences de lecture en L1 d’élèves commençant leur scolarisation en bambara puis passant au français à partir de la troisième année de scolarisation. Il a montré que les élèves des classes bilingues expérimentales voient leurs compétences de lecture en bambara continuer à progresser même lorsque l’enseignement est donné en français à partir de la troisième année.

De manière plus globale, au-delà de l’impact de l’enseignement bilingue en termes de compétences sur la L1 ou la L2, il me semble que le fait même que cet enseignement suscite des questionnements sur la place des différentes langues est de nature à faire avancer les réflexions. J’en prendrai pour exemple le cas concret auquel j’ai été confrontée dans le cadre de l’écosystème 1. L’analyse que j’ai présentée dans le document 16 des programmes malgaches, destinée à vérifier la prise en compte didactique des fonctions du malgache et du français dans le système scolaire, m’a amenée à mettre en évidence un décalage considérables entre la didactique de la L1 et celle de la L2, chacune insérée dans des cultures éducatives ayant assez peu de points d’intersection et s’appuyant par ailleurs sur des terminologies différentes (Cf. document 21). Inscrite dans une perspective de compréhension de l’enseignement bilingue, cette analyse a conduit à la mise en place par le ministère malgache de l’Education nationale d’un projet extrêmement innovant : la conception d’un précis méthodologique destiné aux enseignants de malgache et de français. La coordination de ce projet éditorial, qui a duré deux ans, m’a été confiée. J’ai travaillé avec une équipe composée de didacticiens du français et de didacticiens du malgache. Le résultat est un ouvrage bilingue de 270 pages dont je vais maintenant présenter les principales caractéristiques. J’ai intégré cet ouvrage dans la sélection de publications accompagnant cette synthèse (document 23) car, outre son caractère novateur, il me semble très représentatif des applications concrètes qui peuvent être faites à partir de la recherche sur l’enseignement bilingue. Je tiens cependant, avant toute chose, à préciser que ce précis n’a pas pour finalité de contribuer à une didactique des langues de scolarisation, qui aurait été en décalage total avec les programmes scolaires, mais plutôt d’apporter sa pierre à une articulation entre la didactique de la L1 et celle de la L2 dans les établissements scolaires malgaches. Les objectifs principaux de ce précis sont en effet, d’une part, de décloisonner les deux disciplines et, d’autre part, de faire faire un premier pas sur le sol malgache aux prémices d’une didactique intégrée de la L1 et de la L2.

Je passerai rapidement sur certains aspects de l’ouvrage auxquels nous avons tenu mais qui ne sont pas nécessairement en lien avec des problématiques liées au bilinguisme. Nous avons voulu faire un ouvrage accessible pour des enseignants n’ayant pas un fort bagage académique et ayant bénéficié de peu de formation pédagogique. Cette volonté d’accessibilité se voit aussi bien au niveau de la forme que des contenus : nous avons volontairement simplifié au maximum les apports théoriques, préférant mettre l’accent sur la clarté et la transparence des messages plutôt que sur leur portée scientifique.

L’ouvrage se présente sous une forme bilingue mais non comme un miroir. Si certaines sections sont proches de la traduction, d’autres se différencient fortement d’une langue à l’autre. La conception de l’ouvrage a en effet été accompagnée d’une longue réflexion sur la complémentarité entre les deux parties du précis. Notre objectif n’était en aucun cas de reproduire les erreurs faites lors de la publication des manières scolaires bilingues, traduits intégralement du français au malgache (Cf. document 15), mais bien d’optimiser au maximum les présentations en français et en malgache, comme l’indique le point 2 du mode d’emploi du précis méthodologique (document 23) :

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« Doit-on lire à la fois la partie en malgache et celle en français ?

Ce n’est pas parce qu’on est professeur de français qu’on doit lire uniquement la partie en français du précis. Il est utile de consulter les deux versions car elles se complètement. En effet, certaines notions théoriques sont expliquées de manière plus détaillée dans la partie en malgache. Ainsi, pour le chapitre 1, les éléments de la communication sont expliqués plus en détail dans le toko 1.

De même, ce n’est pas parce qu’on est professeur de malgache qu’on doit se limiter à la partie en malgache du précis. Les activités proposées ne sont souvent pas les mêmes pour les deux versions ; l’enseignant de malgache peut s’inspirer de celles proposées en français, et vice-versa. Les enseignants semi-spécialisés qui enseignent à la fois le français et le malgache pourront profiter de cette version bilingue pour mettre en place des activités parallèles entre le malgache et le français. Par exemple, s’ils traitent des situations de communication liées aux petites annonces ou aux affiches, rien ne les empêche de travailler à la fois sur des documents en malgache et en français. Cela permettra de mettre en avant les régularités ou les spécificités de ce type de situations de communication en fonction de la langue utilisée. Bien sûr, le niveau des élèves et les exigences des enseignants ne seront pas les mêmes en français et en malgache, mais on peut traiter une même compétence à différents niveaux. » (Babault, 2010 : français 7-8)

Nous avons fait le choix de mettre en avant les objectifs des actes de communication travaillés en classe et, le plus souvent possible, de distinguer explicitement les objectifs, les tâches cognitives entrant en jeu et leur traduction énonciative. Cela présentait à nos yeux l’avantage de faire prendre conscience aux enseignants à la fois des points de contact entre les didactiques des deux langues et des processus d’appropriation de compétences bilingues chez les élèves. Cette démarche nous semblait particulièrement intéressante pour le corps des enseignants semi-spécialisés qui venait d’être créé au moment de la conception du précis méthodologique, et qui avait pour fonction d’être spécialisé sur toutes les disciplines scientifiques ou toutes les disciplines littéraires (dont le français et le malgache). Pour l’acte de communication « décrire/manoritsoritra » (p. 20 en français, p. 24 en malgache), nous avons ainsi incité les enseignants à commencer par aider les élèves à développer en utilisant le malgache certains aspects cognitifs de la description, puis à mettre l’accent sur les aspects énonciatifs de cet acte de communication, en malgache comme en français :

« Pourquoi décrire ?

Dans la vie on a très souvent besoin de faire des descriptions. En effet, quand on veut faire connaître quelqu’un, quelque chose ou un endroit, on donne des indications précises et détaillées. Pour faire une bonne description il faut être assez précis pour que la personne à qui on parle ou à qui on écrit arrive à reconnaître ce qui est décrit. Pour cela, avant de travailler sur les outils linguistiques pour décrire en français, il faut développer chez les élèves le sens de l’observation et de la précision. Ce travail sur l’observation et la précision devra être fait d’abord en cours de malgache. Ensuite, on pourra faire travailler les élèves sur les descriptions en français. » (Babault, 2010 : français 20)

Le bilinguisme apparaît également dans le précis méthodologique au niveau des petits encadrés intitulés « mots utiles » dans la partie en français et « hateveniko ny fahalalako » (« j’approfondis mes connaissances ») dans la partie en malgache. Ce choix est à relier à notre volonté, d’une part, de produire un outil accessible aux enseignants et, d’autre part, d’intégrer les deux langues sur un maximum de

111 plans. Il nous a donc semblé judicieux, par des encadrés simples et neutres138, d’accompagner le développement des répertoires bilingues des enseignants dans le domaine de la didactique des langues. Avant de clôturer cette section, j’aimerais insister sur l’importance pour mes recherches des différentes ressources pédagogiques que j’ai été amenée à concevoir. Voici la liste de ces ressources, inscrites pour la plupart dans des problématiques d’éducation bilingue :

 2009 : participation à la conception d’une application pour la préparation linguistique des étudiants de mobilité (CAP-UNIV)139

 2010 : précis méthodologique pour les enseignants de malgache et de français

 2011-2014 : accompagnement d’équipes de conception de livrets de formation à Madagascar, au Bénin et en Côte d’Ivoire (projet IFADEM)

 2012 : conception, en partenariat avec Margaret Bento, Jean-Marc Defays, Annick Englebert, Lionel-Edouard Martin et Valérie Spaeth, d’un mémento de ressources théoriques en linguistique et didactique des langues pour les concepteurs de livrets de formation du programme IFADEM (mémento IFADEM)

 2012 : didacticiel destiné à la formation continue linguistique et méthodologique des enseignants de mathématiques de Madagascar (Didac’maths)140

 2015 : participation à la conception de modules de formation aux certifications en langues (certif’langues)

Il relève pour moi de l’évidence que ces différents travaux ont contribué, au même titre que mes lectures et mes recherches sur le terrain, à forger ma réflexion sur l’éducation bilingue. Le fait de travailler, notamment dans le cadre du projet IFADEM, avec des équipes de praticiens n’ayant pas le même parcours de recherche que moi a par ailleurs constitué un catalyseur de mes démarches intellectuelles, non seulement en me conduisant à remettre en question toutes mes certitudes lors des échanges mais également en me forçant à faire progresser les réflexions pour qu’elles soient accessibles à mes divers interlocuteurs.