IV. Les Treg en transplantation
3. Les Treg : une lignée stable ?
Si on envisage d’amplifier et/ou d’injecter des Treg aux patients, une question primordiale se pose : que vont-‐ils devenir une fois dans l’organisme ? En effet, il n’est pas acquis qu’ils persistent tels quels dans un environnement parfois inflammatoire (maladie autoimmune, rejet de greffe) ou lymphopénique (GvHD). On peut donc imaginer qu’une fois injectées, ces cellules puissent mourir ou perdre l’expression de Foxp3. Dans le premier cas, la mort des cellules ne pose comme problème que l’échec du traitement. Par contre, dans le deuxième cas, la conversion du Treg en CD4+Foxp3neg pourrait être délétère. En transplantation par
exemple, si les Treg allospécifiques injectés perdaient l’expression de Foxp3, ils pourraient acquérir des propriétés effectrices dirigées directement contre le greffon conduisant à un rejet aigu. On peut aussi imaginer que des Treg reconnaissant les antigènes du soi puissent, une fois convertis en CD4+Foxp3neg, être les acteurs de pathologies autoimmunes. Ces hypothèses découlent du fait que Foxp3 réprime les gènes codant pour l’IL-‐2, l’IFN-‐γ, l’IL-‐4 ou l’IL-‐17.103,252 Ainsi est né un grand débat sur la stabilité des Treg c’est à dire leur capacité à maintenir l’expression de Foxp3.
En 2005, Kasprowicz et al constatent que lorsqu’ils cultivent des Treg en présence de cytokine pro-‐Th1 ou pro-‐Th2, ceux-‐ci perdent l’expression de Foxp3 et acquièrent des capacités effectrices.253 De même, Osorio et al. trouvent que les DC activées grâce à dectin-‐1 sont capables de convertir in vitro les Treg en Th17.254 A ce sujet, une équipe américaine montre que cette conversion des Treg en Th17 implique l’axe IL-‐6/STAT3 pour bloquer l’expression de Foxp3.255,256
3.1. La stabilité différentielle des iTreg et des nTreg
Un résultat interpellant émane de l’étude précédemment citée au sujet de l’axe IL-‐6/STAT3. En effet, la conversion des Treg en Teff sous l’action de l’IL-‐6 semble beaucoup plus marquée lorsque les auteurs utilisent des iTreg préalablement différenciés in vitro (grâce au TGF-‐β).256 Après 4 jours de culture en présence d’IL-‐6, 95% des iTreg perdent Foxp3 et environ 15% se mettent à produire de l’IL-‐17F (une cytokine Th17). Par contre, lorsque l’IL-‐6 est ajoutée à la culture de Treg naturels, seulement 35% cessent d’exprimer Foxp3. Ceci suggère que les iTreg et nTreg n’ont pas la même stabilité face à l’IL-‐6, une cytokine quasi constante au cours de l’inflammation. On tire exactement les mêmes conclusions du papier de Stefan Floess et al. dans lequel les auteurs utilisent un protocole de culture prolongée sans IL-‐6 pour comparer iTreg et nTreg.257 Ainsi, plus de 90% de iTreg deviennent Foxp3neg et perdent leurs fonctions suppressives alors qu’environ 90% de nTreg restent Foxp3pos. Ici, l’absence d’IL-‐6 suggère que des éléments intrinsèques au locus Foxp3 régulent la stabilité de son expression. En effet, le degré de méthylation de foxp3 est responsable des différences de stabilité entre iTreg et nTreg : une séquence non codante de l’exon 1 critique pour activer la transcription est complétement déméthylée (c’est à dire activée) chez les nTreg alors qu’elle ne l’est que partiellement chez les iTreg rendant la transcription de Foxp3 plus difficile. Quian Chen et Shevacq ont observé ce phénomène in vivo après le transfert adoptif de iTreg
anti-‐OVA chez la souris injectée avec un peptide dérivé de l’ovalbumine associé à un adjuvant.258 Huit jours après le transfert, 60% des iTreg anti-‐OVA ont perdu l’expression de Foxp3. Par contre, cette perte d’expression est évitée en injectant le complexe IL-‐2/anti-‐IL-‐2 qui cible spécifiquement le CD25. L’IL-‐2 assure donc la transcription aisée de Foxp3 en conservant la séquence non codante de l’exon 1 sous forme déméthylée.
Dans une étude sur le transfert adoptif de nTreg chez la souris RAG2-‐/-‐ (sans lymphocytes T et B), les auteurs indiquent que tous les Treg Foxp3+ n’ont pas la même stabilité.259 D’une part, les Treg CD25fort qui prolifèrent peu et restent Foxp3+. D’autre part, les Treg
CD25faible/neg qui prolifèrent activement, perdent l’expression de Foxp3 et produisent des
cytokines Th1, Th2 et Th17. Ce point est important puisque, en clinique, la Treg-‐thérapie n’a été tentée que chez des patients ayant subi une greffe de cellules souches hématologiques dans le but de diminuer le risque de GvHD. Dans ce contexte, les Treg injectés évoluent justement dans un environnement lymphopénique où l’activation polyclonale des lymphocytes (notamment via l’IL-‐7) est susceptible de mettre à mal la stabilité des Treg.
3.2. La stabilité des Treg in vivo
Le paragraphe précédent concerne des études où les techniques d’isolement, de culture in vitro ou de transfert adoptif biaisent possiblement la stabilité des Treg. Néanmoins, ces études sont pertinentes puisqu’elles s’apparentent aux pratiques réalisées chez l’homme. Deux équipes américaines développent alors des outils biologiques sophistiqués permettant de suivre in vivo l’évolution et le devenir de chaque Treg (« in vivo lineage tracing »).260,261 Malheureusement, les deux études arrivent à des conclusions opposées…
• L’équipe de J. Bluestone utilise la souris (foxp3-‐GFP-‐Cre) x (Rosa26-‐loxP-‐STOP-‐loxP-‐ YFP).260 Dans ce cas, quand un lymphocyte exprime Foxp3, il devient GFP+ et synthétise l’enzyme Cre. Cette enzyme (qui reconnaît les sites lox) excise le codon stop et ramène le gène de la YFP (protéine jaune fluorescente) sous le promoteur Rosa26. Ainsi, l’expression de Foxp3 (même transitoire) induit définitivement la fluorescence jaune de la cellule ainsi que de sa descendance clonale. A l’âge adulte, 10 à 20% des cellules YFPpos sont GFPneg, ce qui correspond à des « ex-‐Treg » puisqu’ils n’expriment plus Foxp3 au moment de l’analyse. Dans la souche NOD qui développe un diabète 1, ils constatent que ces exTreg s’accumulent en périphérie des cellules β et ressemblent aux Teff pathogéniques car: 1) ils ont un phénotype mémoire activé, 2) ils produisent de l’IFN-‐γ et de l’IL-‐17, 3) ils induisent un
diabète lorsqu’ils sont transférés dans un hôte lymphopénique. Tout ceci suggère que l’instabilité de Foxp3, et donc des Treg, conduit à l’émergence de Teff autoréactifs responsables d’autoimmunité.
• En parallèle, l’équipe de A. Rudensky développe la même souris exception faite de la recombinase Cre qui est fusionnée au récepteur cytoplasmique aux œstrogènes (foxp3-‐GFP-‐ Cre ERT2) x (Rosa26-‐loxP-‐STOP-‐loxP-‐YFP).261 De ce fait, la fluorescence jaune des Treg est induite suite à l’injection de tamoxifène et peut être suivie au cours du temps. Dans ce modèle, il n’existe qu’une quantité minime d’exTreg (≈2% de cellules GFPneg YFPpos) et la majorité des cellules devenues YFPpos à un moment donné gardent l’expression de Foxp3. Ceci reste vrai dans un contexte inflammatoire Th1 ou de lymphopénie radio-‐induite. Cette étude conclut donc que les Treg constituent une lignée stable.
Mais comment réconcilier ces observations apparemment contradictoires ?
La solution est apportée par l’étude récente de Miyao et al. qui démontrent que les « exTreg » ne sont en fait que des lymphocytes CD4+ effecteurs qui ont transitoirement exprimé Foxp3 au cours de leur activation.225 L’expression de Foxp3 ne leur confère aucune propriété suppressive et l’exposition à l’IL-‐6 ou l’IL-‐4 induit rapidement leur sécrétion respective d’IL-‐ 17 et d’IL-‐4. Les « vrai » Treg sont en revanche une lignée stable in vivo qu’ils soient naturels, induits, en condition inflammatoire ou lymphopénique. Même la minorité de vrai Treg qui auraient perdu l’expression de Foxp3 sont capables de la réacquérir rapidement après stimulation de leur TCR. Cette stabilité durable et cette capacité à recouvrir l’expression de Foxp3 résultent du statut complétement déméthylé de son locus au sein des vrais Treg.