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2. Approche historique du transsexualisme

2.1. Histoire du transsexualisme

2.1.1. Le transsexualisme avant la clinique transsexuelle

2.1.1.3. A travers les cultures

Mise à part la revendication transgenre concernant l’effacement des frontières du genre et le rejet de la bipartition homme/femme, celle-ci est nettement revendiquée par les sujets transsexuels. Ils se sentent homme ou femme et entendent bien que leur corps soit mis en adéquation avec leur conviction.

L’étude de l’anthropologie sociale nous apprend que cette bipartition est d’une certaine manière rejetée dans d’autres cultures que la nôtre et que des statuts sociaux existent en dehors d’elle. Dans certaines sociétés, la question du genre se pose différemment de chez nous. Il existe même des cultures qui reconnaissent l’existence d’un troisième genre, lequel est parfois rapproché du transsexualisme.

Société indienne et communauté Hijra

La communauté Hijra est déjà mentionnée dans la littérature hindoue sacrée, notamment dans le

Kama Sutra ainsi que dans le Mahabharata et le Ramayana.

Il n’existe pas de chiffres officiels mais selon les sources, les Hijras seraient actuellement entre 200 000 et deux millions dans le sous-continent indien. Refusant l’appellation d’homme ou de femme et se revendiquant d’un « troisième sexe », les Hijras ont un statut particulier et ambivalent dans la société indienne. Considérés par les hindous comme ayant un pouvoir de fertilité, ils sont conviés aux mariages contre rémunération et peuvent bénir les nouveau-nés de sexe masculin. Ils suscitent tout à la fois respect et méfiance et on les dit aussi bien capables de porter chance comme

11 Chiland (2002), Le transsexualisme : les théories et les personnes, Neuropsy news vol 5, p206 « Il y a toujours

eu des hommes et des femmes vivant en tant que membre de l’autre sexe ; c’est seulement à notre époque que la transformation du corps est apparue. »

35 le mauvais œil. Au temps des Maharadjas, les Hijras étaient des hommes castrés chargés de surveiller les harems. Ils étaient considérés comme dignes de confiance. Dans la société indienne actuelle, les Hijras sont assimilés à l’homosexualité, tabou ultime pour beaucoup d’Indiens, et se retrouvent souvent condamnés à la mendicité et à la prostitution.

Pourtant, en 2008, l’Etat du Tamil Nadu où vivent de nombreux transsexuels, a reconnu l’existence d’un troisième sexe : il est désormais possible pour ses papiers d’identité de choisir entre male,

female ou transsexual.

En 2009, les Hijras ont obtenu une carte d’électeurs comportant la case eunuque.

Plus récemment, en avril 2014, la Cour suprême de l’Inde a déclaré que le transgénérisme était un « troisième genre » dans la loi indienne.12

Figure 3 : Hijras

Photographie extraite de l’article « Qui sont les eunuques indiens ? » consulté sur https://www.francetvinfo.fr.

LAKSHMAN / AP / SIPA

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Société polynésienne (Stip, 2015)

Parmi la population en Polynésie française, on trouve les RaeRae et les Mahu qui forment un groupe de transgenres mâles qui occupe une place à part, celle d’un troisième genre.

Le RaeRae est un homme biologique qui se sent femme et qui se vêt et se maquille en conséquence. Il aspire à être en couple avec un homme hétérosexuel et s’occupe des tâches domestiques et de l’élevage des enfants. Certains RaeRae peuvent souhaiter avoir recours à l’hormonothérapie voire à la chirurgie de réassignation sexuelle. Une technique existe chez les RaeRae, le kokoro, qui consiste à introduire son sexe dans un étui pénien et à le tirer entre ses cuisses pour qu’aucune protubérance masculine n’apparaisse plus.

Un Mahu est un homme efféminé qui s’habille en homme, peut se marier et avoir des enfants. Il a aussi bien des activités d’homme que de femme. Généralement, les parents ne cherchent pas à brimer cette façon d’être qui commence très tôt.

Mahu et RaeRae ne correspondent donc pas tout à fait à la même entité même si certains travaux les englobent sous le terme de « troisième genre ». Les RaeRae correspondrait plutôt à des individus à l’identité de genre féminin tandis que les Mahu s’apparente davantage à des hommes avec une expression de genre féminin.

Figure 4 : Trois tahitiens

Paul Gauguin, 1899 Huile sur toile, 73 x 93 cm. Edimbourg, National Gallery of Scotland

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Société Inuit

L’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure s’est intéressé aux communautés Inuits, à la question du genre et de son importance sociale dans celles-ci (Saladin-d’Anglure, 1986).

A la naissance, le bébé inuit reçoit un prénom qui ne coïncide pas nécessairement avec son sexe de naissance mais qui appartenait à un aïeul, du même sexe ou non.

Dans la société Inuit, il est très important que les parents aient une fille et un garçon (c’est la notion d’ « atome familial » qui prévaut : un couple de parent F+H et un couple d’enfant G+F). Dans le cas où cela ne serait pas le cas, ils peuvent éduquer l’un des enfants aux tâches de l’autre genre. C’est ce que Saladin d’Anglure appelle la « socialisation inversée ».

Dans la culture Inuit existe aussi l’idée que le bébé peut changer de sexe à la naissance, dans les deux sens. On les appelle les Sipiniit.

Figure 5 : Inuits

Photographie illustrant l’article « Les Inuits ou le raffinement des trois genres » consulté sur le site http://www.regards.fr

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Culture indigène d’Amérique centrale

La culture zapotèque de l’Etat de Oaxaca au Mexique reconnaît depuis l’époque précolombienne l’existence d’un troisième sexe : les muxes (Stephen, 2002). Nés hommes, sexuellement attirés par les hommes, les muxes endossent des rôles féminins au sein de la famille et de la société. Ils peuvent avoir une apparence féminine ou masculine.

Les muxes, qui existent toujours dans la société actuelle, exercent des rôles socialement reconnus au sein de la famille et de la communauté : s’occuper du foyer, des grands parents, prendre soin des enfants. Traditionnellement, ils avaient également un rôle d’initiateur à la sexualité pour les adolescents.

Figure 6 : Muxe

Photographie de Miho Haguino Illustration de l’article intitulé

« Meet the Muxes of Oaxaca, a “third gender” that goes back to pre-Hispanic times » Consulté sur le site https://matadornetwork.com

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Culture amérindienne

Certaines nations amérindiennes reconnaissent même quatre genres : les hommes masculins, les

femmes féminines, les hommes féminins et les femmes masculines. Ces troisième et quatrième

genre sont incarnés par les Bispirituels connus aussi sous le nom de Berdaches ou « être aux deux

esprits ». On leur attribue des pouvoirs chamaniques. Ils feraient le lien entre le monde physique et le monde des esprits.

A la différence du sujet transsexuel « occidental » qui réclame une « marque corporelle » (Chiland, 2011) de son changement de genre, lequel passe par une transformation hormono-chirurgicale, ce n’est pas par leur corps que les Berdaches cherchent à marquer leur différence mais par des capacités spirituelles qu’ils détiendraient. Dans cette culture amérindienne centrée sur l’esprit, on est donc à l’opposé de la pensée occidentale pour laquelle le genre passe nécessairement par le corps.

Figure 7: The Zuni “princess” We’wha

40 Certains de ces exemples, celui des RaeRae et surtout celui des Hijras, se rapprochent du transsexualisme tel que nous avons essayé de le définir : un sujet qui se sent appartenir à l’autre genre que celui auquel son sexe de naissance l’a assigné, cherche à modifier son corps pour le mettre en conformité avec son ressenti. Les RaeRae utilisent la technique du kokoro et les Hijras la castration.

Par ailleurs, cette brève approche anthropologique autour de la notion de genre, amène à s’interroger sur les limites qu’il peut y avoir à considérer le genre comme binaire. Néanmoins, cela dépasse l’objectif de notre travail et nous ne nous attarderons donc pas davantage sur cette question.

S’il y a toujours eu des hommes et des femmes qui vivent en tant que membre de l’autre sexe, c’est à partir du XIXème siècle que l’on va voir apparaître le désir de comprendre ces comportements. C’est à cette époque que le transsexualisme va devenir une entité pathologique, objet d’une démarche scientifique visant à la comprendre.

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