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Naissance du concept médical

2. Approche historique du transsexualisme

2.1. Histoire du transsexualisme

2.1.2. Naissance du concept médical

2.1.2.1. Une entité pathologique

Jean Esquirol et l’« inversion génital »

Il semble que l’aliéniste français Jean-Etienne Esquirol soit le premier, en 1838, à avoir décrit de façon médicale un cas de transsexualité qu’il nomme « inversion génitale » dans son traité Des

maladies mentales considérées sous le rapport médical, hygiénique, et médico-légal(Esquirol, 1838) et qu’il considère comme une monomanie (Sironi, 2011). Il décrit le cas d’un homme qui se sent être une femme.

Richard von Krafft-Ebing et « la façon de se sentir sexuelle contraire »

Quelques années plus tard, en 1886, le médecin austro-hongrois Richard von Krafft-Ebing, décrit dans son ouvrage Psychopathia sexualis un trouble particulier : « la façon de sentir sexuelle

41 l’homosexualité et qu’il place entre « l’homosexualité acquise » et la « métamorphose sexuelle

paranoïaque » est décrit à travers deux cas qu’on pourrait dire de « transsexualité » même si le

terme n’existe pas encore à l’époque. Le premier cas est celui d’un homme qui se sent être une femme et le second, celui d’une femme qui se sent être un homme. Dans les deux cas, le sujet vit une sorte de « crise métamorphosique » (Sironi, 2011) et assiste à l’apparition de toute une série de sensations corporelles et de caractéristiques physiques appartenant au genre qui n’est pas celui de leur naissance. Chez l’homme comme chez la femme dont il est question dans l’ouvrage de Krafft Ebing, il s’agit de la présence d’un autre soi mais le médecin ne cherche pas à connaître l’étiologie de cette « possession ».

2.1.2.2. Apparition du terme transsexualisme

Magnus Hirschfeld : 1er emploi du terme « transsexualité »

S’il n’existe pas à l’époque de Krafft Ebing, le terme de « transsexualité » est employé quelques années plus tard pour la première fois en 1912 par le sexologue allemand Magnus Hirschfeld.

Le médecin berlinois avance d’abord l’idée de stades « intermédiaires sexuels » -en allemand,

sexuelle Zwischenstufen – (Jahrbuch fuer sexuelle Zwischenstufen, 1899) dont feraient partie les

hermaphrodites, les androgynes, les travestis -qu’il nomme transvestis- et les homosexuels. Il va ensuite distinguer les personnes qui se travestissent des personnes qui se projettent dans l’autre sexe en se travestissant éventuellement. Il décrit notamment les travestis totaux (complets) qui s’habillent entièrement et se conduisent comme des personnes de l’autre sexe.

Il propose ainsi le terme de « transsexualité » en 1912. La transsexualité devient alors une maladie.

David Oliver Cauldwell et la « psychopatia transsexualis »

En 1949, le sexologue américain David Olivier Cauldwell décrit le cas d’« une jeune fille qui

manifestait le désir obsessionnel d’être un garçon ». Cette jeune fille prénommée Earl demandait en

effet qu’un chirurgien lui retire les seins et les ovaires et lui construise un pénis artificiel. Il nommera cette obsession « psychopathia transsexualis » (Cauldwell, 1949) en référence à l’ouvrage de Krafft Ebing, Psychopathia sexualis.

Cauldwell va différencier les transvestis qui se projettent dans l’autre sexe des transsexuels qui demandent des opérations. La transsexualité apparaît comme un trouble où l’identification à l’autre

42 sexe ne se limite pas au travestissement mais est caractérisé par une demande de transformation corporelle.

Avec Cauldwell, la transsexualité se rattache alors à la catégorie des perversions sexuelles.

Harry Benjamin : 1er emploi du terme « transsexualisme »

C’est l’endocrinologue et sexologue américain Harry Benjamin qui emploie pour la première fois le terme de « transsexualisme ». C’est lui qui va faire sortir la transsexualité des perversions. Le 18 décembre 1953, au cours d’une conférence devant la New York Academy of Medicine, Benjamin propose de définir la transsexualité comme un syndrome. A la même époque, sa patiente Christine Jorgensen vient d’être opérée au Danemark et la couverture médiatique qui est faite de l’événement (New York Daily News, 1er décembre 1952), va contribuer à rendre la problématique transsexuelle

populaire.

Pour Benjamin, les patients « vrais transsexuels » ne cherchent pas seulement à apparaître comme membres du sexe opposé mais ils ont le sentiment d’appartenir à l’autre sexe : « ils veulent être et

fonctionner en tant que membres du sexe opposé, et pas seulement apparaître comme tels »

(Benjamin, 1967) C’est parce qu’ils considèrent leurs organes sexuels comme de « dégoûtantes

difformités » qu’ils demandent à la chirurgie de les changer. Benjamin va clairement distinguer la

transsexualité de l’homosexualité et du transvestisme en faisant de la demande de transformation corporelle un critère discriminant.

Jean-Marc Alby : introduction du terme transsexualisme en France

En France, le terme de « transsexualisme » va apparaître en 1956 sous la plume de Jean-Marc Alby dans sa thèse de médecine Contribution à l’étude de transsexualisme.

2.1.2.3. Le concept de genre

Tandis que Harry Benjamin construit la catégorie de transsexuel, des psychiatres et des psychologues élaborent la notion de genre et d’identité de genre (Mouzon, 2014).

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John Money

En 1955, le concept de genre émerge avec les travaux du psychologue américain John Money qui travaille sur les enfants intersexués, chez qui les organes génitaux ne correspondent pas à l’approche binaire mâle ou femelle. Certains enfants présentant une ambiguïté des organes génitaux ont été élevés selon l’apparence prédominante de leurs organes génitaux, dans le sexe opposé à leur sexe chromosomique. Money constate que pour la grande majorité de ces enfants, ceux-ci adoptent les rôles et les comportements du sexe dans lequel ils ont été élevés et non dans celui qui correspond à leur sexe biologique (Money, Hampson JG, Hampson JL, 1957). Pour Money, ces observations démontrent que ce qu’il nomme le rôle de genre n’est pas inné mais acquis par l’apprentissage et l’expérience. Le psychologue propose donc de distinguer le sexe biologique mâle/femme du rôle de genre masculin/féminin qui relève du psychologique et du social. Le sexe serait inné tandis que le rôle de genre serait acquis comme l’est la langue maternelle à laquelle il le compare. Le rôle de genre se définirait par « […] tout ce qu’une personne dit ou fait pour révéler son statut de garçon ou

d’homme, de fille ou de femme. Ce qui inclut, sans y être restreint, la sexualité au sens de l’érotisme. Un rôle de genre n’est pas établi à la naissance, mais est construit cumulativement à travers l’apprentissage occasionnel non planifié, à travers l’instruction explicite et l’inculcation, en mettant spontanément deux et deux ensemble pour faire parfois quatre, et parfois de manière erronée cinq. En bref, un rôle de genre s’installe largement de la même manière que la langue maternelle. »

(Money, Hampson JG & Hampson JL, 1955).

Ainsi, pour Money le genre vient alors désigner le rôle social, distinct du sexe.

Robert Stoller

Dans la continuité de Money, le psychiatre et psychanalyste Robert Stoller reprend la distinction entre le sexe et le genre (Stoller, 1968).

Après avoir d’abord travaillé comme Money sur les conséquences psychiques de l’ambigüité sexuelle génitale dans la construction de l’identité, Stoller oriente ses travaux vers le trouble de l’identité de genre et le transsexualisme. Il étudie alors la façon dont ses patients enfants et adultes souffrent d’une contradiction entre leur sexe anatomique et leur sentiment d’appartenance à un sexe sans présenter pour autant aucune anomalie biologique.

Travaillant avec une population différente de celle de Money, Stoller est amené à réviser la notion de genre. Les troubles de l’identité de genre des patients transsexuels avec lesquels il travaille ne peuvent être expliqués selon la théorie de l’apprentissage et de l’éducation de Money. Pour Stoller, le genre devient une identité acquise dans les interactions précoces notamment à la mère. L’identité

44 de genre résulterait selon lui de la manière dont l’enfant va être abordé selon son sexe anatomique dans ses relations précoces dont en premier celle à sa mère puis de façon croissante aux deux parents et à l’entourage.

Pour John Money et Robert Stoller, il y a d’un côté le sexe, jugé naturel et biologique, de l’autre, le genre, qui est une construction sociale. Ils estiment qu’il y a chez les transsexuels une discordance entre sexe et genre, et que cela pose problème. S’il propose des traitement hormono-chirurgicaux aux intersexués, John Money estime que pour les transsexuels, la réponse ne peut être que psychanalytique. Son approche est ainsi très différente de celle de Benjamin qui recommandait hormones et « bistouri du chirurgien », mais tous deux voient les personnes transsexuelles comme des malades qu’il faut soigner.

2.1.2.4. Entrée du terme « transsexualisme » dans le DSM III (1980)

Peu d’années après le débat agité qui a conduit en 1973 au retrait de l’homosexualité de la classification du DSM (Manuel Diagnostique et statistique des troubles mentaux), la troisième version du DSM fait entrer en 1980 le « transsexualisme » dans la catégorie des « troubles de l’identité sexuelle » au sein de la nouvelle catégorie des « troubles psychosexuels ».

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