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2. La place des acteurs de la société civile dans la transformation de la situation des

2.1 Les travaux sur les liens entre la langue et la politique insistent sur les intérêts de

régime linguistique. Elle est reprise par les deux grands thèmes qui caractérisent ces travaux (Cardinal 2009), notamment en ce qui concerne l’étude des langues minoritaires et menacées ainsi que des communautés qui les utilisent. Le premier relève de considérations normatives justifiant les façons dont les États devraient traiter les minorités linguistiques (Patten et Kymlicka 2003; May 2008). Par exemple, certains penseurs libéraux considèrent l’environnement linguistique comme un contexte de choix, ou comme portant une culture sociétale légitime, méritant d’être protégé et assorti de droits particuliers colligés dans un régime linguistique (Kymlicka 2001). D’autres vont réfléchir aux considérations que devrait prendre un État quand vient le temps de déterminer le type d’intervention que cautionne son régime linguistique (Patten 2001). D’autres encore vont observer les régularités dans les rapports entre les langues afin d’identifier les milieux et les conditions dans lesquelles une langue minoritaire est appelée à se perpétuer (Laponce 2006).

Le deuxième thème, souvent repris en politique comparée, renvoie aux relations entre l’État et la société dans le cadre de son régime linguistique. Une perspective de politiques publiques peut aussi s’insérer dans ce thème, du fait que la minorité linguistique peut être

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érigée en catégorie prestataire de politiques publiques, que celle-ci peut être accommodée d’une façon considérée pratique et raisonnable par les décideurs, ou encore que les politiques publiques contribuent au type de relations qui existent (ou non) entre l’État et la société (Loughlin 2005; Forgues 2004). Les travaux qui s’inscrivent dans ce second thème varient beaucoup, selon les régimes linguistiques dont il est question, et selon les besoins, les attentes et le niveau de mobilisation des communautés linguistiques. Par exemple, des études font état de la pression vers l’anglais, langue perçue comme étant associée au progrès dans le contexte de la mondialisation, qui existe dans certains milieux et les moyens que prennent des États et des communautés linguistiques pour y résister (Sonntag 2003). D’autres ont identifié une série de facteurs qui ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de politiques linguistiques, tels que des éléments macrosociopolitiques, épistémologiques et stratégiques (Ricento 2000). D’autres encore proposent d’évaluer la composante économique des questions linguistiques, permettant d’évaluer l’efficience, les impacts et les avantages économiques des politiques linguistiques (Grin 2003; Grin et Vaillancourt 1999). Bref, le régime linguistique est utilisé de plusieurs façons ce qui en fait un concept polysémique parfois difficile à bien utiliser.

Toutefois, il ressort de ce type de travaux qu’un régime linguistique peut se transformer au gré des considérations normatives décrites plus haut et/ou des politiques publiques, ce qui peut à terme avoir des incidences positives ou négatives sur la situation des minorités linguistiques qui y évoluent. Mais, pourquoi un régime se transforme-t-il? Plusieurs pistes de réponses peuvent être explorées, mais elles renvoient souvent aux intérêts des États. Par exemple, des arguments économiques peuvent être développés. D’abord, la majorité peut choisir de ne pas attribuer de droits linguistiques à une minorité en raison des coûts qu’ils peuvent entraîner au niveau de la fonction publique et des institutions (Barry 2001). Mais, en

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contrepartie, elle peut aussi considérer qu’une minorité linguistique viable et dynamique peut contribuer à l’économie du territoire sur lequel elle évolue. La connaissance d’autres langues peut même servir pour attirer des entreprises qui recherchent une population multilingue ou encore aider dans les efforts de positionnement dans le commerce international, surtout si la minorité locale utilise une langue de portée mondiale ou ayant un bassin important de locuteurs (Leclerc 2008; Grin 2003; Grin et Vaillancourt 2012). Ainsi, la situation des minorités linguistiques serait dépendante des intérêts économiques des majorités.

Des arguments sécuritaires peuvent aussi être développés. D’un côté, la majorité peut estimer qu’une minorité linguistique reconnue puisse menacer la stabilité d’un État en refusant de s’assimiler à l’idéal de l’État-nation que la majorité défend (Phillipson, Rannut et Skutnabb-Kangas 1995). De l’autre, la majorité peut décider de reconnaître une minorité justement pour contrer les menaces à la stabilité de l’État (Laitin 2007). Dans ce cas, la situation des minorités dépend des intérêts des majorités. Par exemple, les ententes de réciprocité entre États, c’est-à-dire où des États voisins s’engagent dans des ententes bilatérales à respecter mutuellement leurs minorités qui se retrouvent d’un côté comme de l’autre de la frontière qu’ils partagent (Arp 2008), peuvent être analysées à l’aulne de ces arguments sécuritaires ou de stabilité.

Une autre piste renvoie au droit international et à l’idée que les droits linguistiques constituent des droits humains. Ainsi, les États peuvent faire l’objet de pressions internationales sur la question de la protection des minorités linguistiques (Phillipson, Rannut et Skutnabb-Kangas 1995). L’idée qu’il existe des droits humains linguistiques peut être mobilisée pour inciter des États à revoir leur architecture de politiques linguistiques de manière à favoriser l’épanouissement des minorités et leur participation aux affaires publiques

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(Skutnabb-Kangas 2012). Les instruments internationaux allant en ce sens se font de plus en plus nombreux, qu’ils émanent de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe ou encore de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Poirier 2008). Ces instruments laissent entrevoir que l’utilisation de la langue de son choix serait un droit humain important, parce que c’est par la langue, le principal marqueur identitaire, qu’un individu parvient à s’identifier, à identifier les autres et à être identifié par les autres, à penser, à communiquer et à entrer en relation avec le monde qui l’entoure (Hogan-Brun et Wolff 2003, 3). De nombreux pays se sont engagés à respecter ces instruments, mais avec des résultats souvent mitigés, du fait que chacun est libre d’adopter les législations qui conviennent le mieux à la situation particulière des minorités. Chacun doit prendre en considération une variété de facteurs, comme la taille des communautés minoritaires, leurs caractéristiques ethniques, religieuses et culturelles, leurs antécédents historiques, leurs pouvoirs économiques et politiques, la capacité de l’État de garantir des droits et les revendications propres aux minorités (Trifunovska 2001, 341). Dans ce cas-ci, la pression peut se faire sur les États de respecter la nature des outils internationaux, mais les minorités peuvent tout de même mobiliser ces outils pour formuler leurs demandes et organiser leur mobilisation.

Ces pistes de réflexion sont intéressantes, en ce qu’elles traitent chacune d’aspects particuliers de la transformation de la situation des minorités linguistiques. Dans tous les cas, ce sont les intérêts de l’État qui priment dans la décision de modifier leurs régimes linguistiques. Mais, l’action collective des minorités linguistiques est absente de ces arguments. Dès lors, ils ne permettent pas d’expliquer la variation dans les niveaux de mobilisation linguistique des minorités linguistiques. En ne proposant pas d’avenues pour réfléchir à l’incidence de la mobilisation linguistique sur les transformations dans les régimes

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linguistiques, elle ne peut nous servir pour étudier la mobilisation linguistique et encore moins pour expliquer la variation dans les niveaux de mobilisation de minorités linguistiques qui évoluent dans des contextes similaires. Nous nous tournons donc vers ce que les travaux sur l’action collective nous disent sur les mobilisations des minorités linguistiques.

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