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Hatwell (1966) s'est intéressée précisément au développement des opérations logiques chez les enfants aveugles. Nous nous sommes directement inspirées de ces travaux pour élaborer ce mémoire, c'est pourquoi nous proposons ici les fondements de ses recherches. En 1966, elle a publié une thèse intitulée Privation sensorielle et intelligence. Nous présenterons ici ses hypothèses en mettant en avant les résultats utiles pour notre étude. Hatwell s'inscrit dans le cadre théorique de la théorie de l'intelligence de Piaget. Ainsi, elle distingue les opérations logico-arithmétiques et les opérations infralogiques. Les premières établissent des relations entre les objets, et en cela, la classification en est une ; tandis que les secondes tendent à construire l'objet lui-même, à travers notamment les notions de

temps et d'espace. C'est là une première distinction fondamentale pour comprendre son travail. La seconde concerne les aspects figuratif et opératif de la pensée. Dans l'aspect figuratif interviennent la perception, l'imitation et l'image mentale ou sa représentation qui est intériorisée et donc évoquée en l'absence de l'objet mais qu'elle reproduit tel quel. Les structures figuratives sont statiques et peu réversibles parce qu'elles sont centrées sur des états de l'objet et non sur ses transformations. A l'inverse, les structures opératives sont mobiles et réversibles puisqu'elles portent sur les transformations elles-mêmes, effectuées sur le réel. La cécité diminue inévitablement la richesse des données perceptives, aussi entraîne-t-elle une faiblesse des structures figuratives. Pourtant, comme on l'a vu précédemment, le langage des aveugles se développe de façon similaire à celui des voyants. Dès lors, Hatwell s'interroge sur les conditions du développement des opérations et se pose la question suivante :« de quelle manière faut-il concevoir l'intervention des éléments figuratifs (perceptions et représentations imagées) dans la constitution des structures logiques de l'enfant? » (Hatwell, 1966, 64).

Pour aborder cette question, elle formule plusieurs hypothèses :

- les aveugles seront en difficulté pour les opérations qui s'appuient sur des structures figuratives, et notamment les opérations infralogiques qui nécessitent une représentation imagée de l'objet,

- au niveau des opérations logico-arithmétiques, les aveugles seront en difficulté pour celles qui ont un support figuratif important et qui requièrent une manipulation concrète, alors qu'ils n'auront pas de difficulté pour les opérations à support verbal.

Elle étudie également l'influence de la précocité de l'apparition de la cécité en comparant les résultats d'aveugles nés avec ceux d'aveugles tardifs. Toutefois, nous ne les reprenons pas ici puisque notre recherche se limite aux aveugles nés.

Les résultats confirment des difficultés au niveau des opérations infralogiques, puisque les aveugles présentent :

- un déficit massif dans les opérations spatiales (déplacement et rotation),

De manière générale, dans les opérations logico-arithmétiques, les aveugles présentent : - un retard pour la classification et la sériation des objets concrets perceptibles,

- mais aucun retard significatif pour la classification, l'inclusion des classes et la quantification de l'inclusion ainsi que la sériation lorsque les épreuves sont réalisées à partir d'un matériel verbal dans lequel le support figuratif est réduit voire nul.

Ainsi, Hatwell écrit « qu'à structure logique équivalente, les épreuves purement verbales sont plus faciles à résoudre, pour les aveugles, que les épreuves concrètes » (Hatwell, 1966, 178). Ce constat contredit par conséquent le développement de la logique selon Piaget puisqu'il place les opérations concrètes en amont des opérations formelles. Il faut cependant rappeler que la théorie piagétienne a été élaborée à partir d'enfants voyants. Un aspect essentiel à retenir de ces travaux concerne le matériel utilisé et les implications qui en découlent. De fait, les objets concrets qu'Hatwell propose pour les épreuves de classification sont des pièces de bois aux formes géométriques diverses, et non des objets réels du quotidien. Pour la première épreuve où l'enfant doit repérer l'intrus, Hatwell présente plusieurs séries d'objets choisis selon les critères perceptifs de forme, texture, dimension et orientation : le sujet est donc contraint d'effectuer une catégorisation perceptive afin de réussir l'épreuve puisqu'il doit isoler l'objet qui n'a pas la même forme, la même texture, la même dimension ou la même orientation. La seconde épreuve de classification consiste à demander au sujet de grouper les objets présentés en deux catégories. Les pièces de bois présentent trois critères de classement possibles :

- selon la forme, curviligne ou rectiligne, - selon la dimension, petite ou grande, - selon l'épaisseur, plate ou épaisse.

Là encore, le sujet doit catégoriser les objets selon un critère perceptif. A partir de ce même matériel, il est demandé au sujet de trouver une autre façon de classer les objets présentés ; cependant, l'autre critère envisageable est lui aussi perceptif. Il s'agit alors seulement de modifier le critère de catégorisation (passer de la forme à la dimension par

exemple) mais pas de changer le type de catégorisation (elle reste perceptive dans les deux cas).

On pourrait donc reformuler les résultats trouvés par Hatwell de la façon suivante : les aveugles sont en difficulté lorsqu'il s'agit d'effectuer une catégorisation perceptive tandis qu'ils sont aussi performants que les voyants en catégorisation taxonomique, ce qu'elle teste par les épreuves de classification à support verbal.