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Nous l’avons constaté, les « ateliers à médiation » ont le vent en poupe dans de nombreux secteurs, dans les institutions de soin en particulier (nous limiterons notre propos à ce champ thérapeutique qui est celui qui nous concerne). Mais le terme de « médiation » n’est pas un concept psychologique ni psychanalytique, et ne réfère pas en particulier à une pratique ou un champ clinique déterminé. S’il existe « beaucoup de pratiques » toutes aussi diverses que variées, il existe encore trop peu de travaux théoriques traitant de la question et référencés à la psychothérapie psychanalytique.

Parcourant les travaux des cliniciens qui proposent une théorisation sérieuse de ce qui opère, au delà de la catharsis, dans les cadres-dispositifs inventés (non moins sans rigueur), nous souhaitons proposer une revue de question cette fois-ci sous un angle contemporain.

Qu’entendons-nous par « groupe à médiation »?

Qu’est-ce qui fait médiation, quelle serait la substance du médium propre à mettre en travail un aspect particulier des failles sur lesquelles achoppent les patients au regard de leur histoire et qui serait propice à l’avènement d’un temps de réaménagement psychique ? Les déterminations et dénominations de ce qui opère et qui concernent tour à tour l’« objet médiateur », « objet de relation », objet transitionnel peuvent être source de confusion pour le novice qui s’aventure dans le « bricolage » d’un dispositif (bricolage étant entendu de manière non péjorative, du côté de ce qui fait créativité dans la rencontre d’un praticien clinicien, d’une matière et de sujets qui ne sont pas à même de s’exprimer dans un dispositif thérapeutique traditionnel).

Alors si des psychologues cliniciens et des psychanalystes contemporains praticiens de groupes à médiation ont avancé des pistes de théorisation psychanalytique de différentes formes de médiation, sans aucune prétention d’exhaustivité, nous proposons d’aborder dans leurs grandes lignes ces apports.

Pour cela, nous traiterons la question en nous appuyant sur les travaux qui nous semblent fonder tant la consistance que la solidité théorico-clinique de la pratique des groupes à médiation et telle qu’elle a été mise en travail depuis une vingtaine d’année par l’école lyonnaise, à partir des travaux sur la symbolisation.

Cette symbolisation, nous la savions depuis S. Freud « secondaire » (de la représentation de chose à la représentation de mots, et la question de la sublimation), elle concernait surtout ce qui permettait à un sujet d’aborder l’Œdipe et de se structurer sur ce mode.

Mais les « restes » ou les ratés de ces processus, qui échappent aux sujet qui achoppent sur cette difficulté ou bien plus précocement sur celle de la différenciation, se situant tout à fait « en deçà », coincés dans une organisation prégénitale, témoignant de problématiques bien plus archaïques, viennent interroger les mécanismes psychiques de la symbolisation.

A partir des travaux présentés dans la partie qui précède, d’autres ont depuis proposé une modélisation, essentiellement à partir d’une pratique avec des patients autistes, psychotiques ou « border-line », de l’existence de formes et de processus de symbolisation qualifiés de symbolisation originaire (Chouvier, 1997), puis symbolisation primaire. C’est aussi à partir des œuvres d’artistes et de créateurs, et à travers les travaux de cliniciens formés à la psychanalyse qui se sont questionnés sur ce processus et son surgissement que ces apports ont trouvé un ancrage.

Ils ont mis en évidence que le travail thérapeutique proposé peut se faire en deçà des processus de symbolisation secondaires vectorisés par le langage. Si la cure analytique utilise le langage comme constitutif du dispositif, nous verrons que tout en restant le modèle princeps dans ses fondements (en particulier en ce qui concerne la règle fondamentale et le travail de l’associativité), les pratiques de la médiation constituent un soin à part entière et qui n’est pas étranger au dispositif analytique.

D.W. Winnicott, précurseur, l’avait pressenti et présenté dans son article au sujet de « la crainte de l’effondrement.» Les expériences primitives, non symbolisées, d’ordre sensori-affectivo-moteur et hors du champ du langage se trouvent réactivées au sein des dispositifs et peuvent alors trouver là un premier support d’inscription, une première tentative de figuration à travers le langage du corps, de l’affect, la mise en jeu de la sensori-motricité.

Par ailleurs, les travaux de Pierra Aulagnier (1975), qui mettent en évidence les processus psychiques propres au champ de l’originaire, avec la notion de pictogramme, constitueront un apport princeps pour aborder les mécanismes de la symbolisation dans notre recherche.

Notre revue de question propose une synthèse des théorisations qui, outre la pertinence et la créativité propres à chaque auteur, ont guidé notre recherche.

Nous nous réfèrerons tout d’abord aux travaux de Bernard Chouvier pour sa réflexion et son apport au sujet des processus de symbolisation à l’œuvre dans les cadres-dispositifs thérapeutiques à médiation.

Nous aborderons ensuite les travaux d’Anne Brun qui propose une théorisation du travail engagé par la médiation picturale dans la psychose infantile et en particulier sur

ce qu’elle développe autour de la sensori-motricité et de la réactivation des traces de l’hallucinatoire et du lien à l’objet primaire.

Il sera aussi question des travaux de Patricia Attigui qui propose l’expression théâtrale comme médiation en milieu psychiatrique à des patients psychotiques.

Il ne nous est pas possible de citer tous les travaux dignes d’intérêt (ceux d’Edith Lecourt qui utilise la musique, de Guy Lavallée la vidéo, de Pascal Le Malefan les marionnettes)...

que ceux qui n’apparaissent pas dans cette revue de question n’en soient pas offensés, nous les avons bien « en tête », car croisés au fil de nos recherches et lectures, ils ont contribué à enrichir notre pensée.

Concernant les travaux propres au travail de la terre (Bayro-Corrochano, 2001) ou du modelage (Sophie Krauss, 2007), nous leur réservons une place particulière dans la partie qui concerne les qualités et propriétés symboligènes de la matière terre et du modelage.

1.3.1 La symbolisation

1.3.1.1 Les processus de symbolisation primaire

La représentation de l’objet fondée sur l’absence (la perte) est déjà une forme élaborée du processus de symbolisation. Avant cette symbolisation (et pour qu’elle puisse avoir lieu), il existe un « temps primaire de symbolisation », qui prend appui sur le double étayage de l’activité perceptivo-motrice et sur la réponse active de l’objet (l’autre sujet).

En utilisant la matière terre pour jouer avec des sujets en panne de symbolisation, on leur propose un objet qui tient compte à la fois de la réalité externe (la terre en ce qui nous concernera) et de la réalité interne en se prêtant à la projection de leurs désirs inconscients, en lui donnant forme. Cette forme est non seulement un représentant de leur capacité représentative, mais elle se soumet à la destructibilité, à la transformation, à tous les possibles, c’est un acte de symbolisation.

Le but n’est pas de conserver une représentation-chose, mais de découvrir, à travers le modelage et le remodelage, un processus de représentation.

La terre, matière à toucher et malaxer, à mettre en forme, se prête à tout, se plie aux désirs conscients et inconscients avec une fidélité absolue. Toucher la terre, la lisser, la caresser, la mouiller, la pétrir, la triturer, la mettre en miettes, la coller, la mettre en boule...

Certains feront alors leurs premiers pas sur la voie de la symbolisation grâce à un outil transformable à l’infini.

Le dispositif groupal de médiation par la terre permettrait une résurgence des expériences précoces non symbolisées (qui ont été vécues dans le corps mais pas sur le plan psychique), lesquelles s’expriment à travers la sensorialité.

Nous postulerons plus loin, en appui sur d’autres travaux, qu’il y aurait retour des fixations originaires et des agonies primitives dans le mode d’entrer en contact et d’utilisation du sujet avec le médium malléable.

Cette matière étant présentée par un autre sujet, il y aurait transformation de ces éprouvés corporels archaïques dans et par le dispositif.

Les processus psychiques se déployant à l’intérieur du dispositif permettraient de retracer les étapes du travail de symbolisation dans le registre primaire : de l’adhésivité à l’identification projective. Les formes modelées obtenues à ce stade s’apparentent à des

traces-contact (S. Tisseron, 1995), des traces mouvements qui signalent que l’on se trouve à niveau psychique de pré-représentation.

Il apparaît nécessaire à ce stade d’introduire quelques réflexions au sujet du concept de symbolisation.

Nous prendrons comme point de départ les travaux de B. Chouvier (1997) qui propose la notion de symbolisation originaire afin d’introduire le concept de symbolisation primaire (R. Roussillon, 1991, 1995, 1999).

Il s’agit-là d’une introduction qui nous permet d’avancer les éléments nécessaires à la compréhension des mécanismes mis en jeu dans le travail thérapeutique par la médiation.

Nous aurons donc l’occasion dans l’avancée ultérieure de notre travail et dans la partie de reprise clinique d’aborder plus en profondeur les processus psychiques propres à la symbolisation primaire à partir d’autres travaux (ceux de P. Aulagnier (1975), ainsi que les développements que proposent A. Brun, R. Roussillon et d’autres auteurs).

B. Chouvier (1997) propose une analyse des modalités précoces des processus psychiques de symbolisation.

Il avance que dans un cadre thérapeutique, si l’enfant peut activer dans le jeu son espace interne de symbolisation, celui-ci pourra trouver une issue favorable à la crise qu’il traverse. S’il ne peut y parvenir, c’est sur la mise en place de l’espace de symbolisation que doit porter le travail clinique, ou sur son ouverture lorsqu’un tel espace a été obturé ou effracté.

C’est avec la construction du self et le développement des différentes enveloppes psychiques que s’ouvre l’espace représentatif de l’enfant, espace au sein duquel est repérable ce que B. Chouvier désigne comme :

« […] une capacité symbolique originaire, sans laquelle les diverses strates psychiques ne peuvent se constituer selon des axes de structuration et de fonctionnement capables d’assurer à l’enfant le plein exercice de ses potentialités, tant au plan des apprentissages que de l’épanouissement personnel.

19

» (p16)

Au cours de la construction de l’appareil psychique, se mettent en place les différents feuillets internes de l’enveloppe psychique, qui seront les garants du bon fonctionnement psychique et de son adaptabilité aux différentes variations de l’environnement.

La constitution du système inconscient et de sa diffusion non effractive dans la psyché en dépend, ainsi que de la formation des couches pares-excitantes du self. Il s’agit pour l’enfant d’intérioriser l’expérience des relations précoces à l’objet primaire. Cela permettra l’établissement de la fonction contenante du self.

B. Chouvier précise :

« Dans tous les cas, c’est le sein maternel qui représente la matrice originaire de toute contenance. La psyché ne peut fonctionner comme contenante, contenant des pensées, des représentations, des affects, qu’à partir de l’introjection réussie du contenant originaire. Le sein est le premier cadre de circonscription et de délimitation de l’espace psychique et qui fonctionne également, par là même, comme cadre d’inscription. » (p. 18)

19 CHOUVIER B., (1997), La capacité symbolique originaire, in ROMAN P. et al., Projection et symbolisation chez l’enfant, Presses Universitaires de Lyon, 188 p., L’autre et la différence, p. 15-25.

Toute enveloppe psychique a un caractère d’interface (D. Anzieu, puis D. Houzel). Si l’enveloppe protège la psyché de la violence des flux excitatoires, elle constitue, sur sa face interne, une surface malléable où s’impriment les sensations et les expériences qui fondent toute signifiance. Une telle conception offre un mode de compréhension de la semi perméabilité des barrières psychiques, capable aussi de rendre compte de leur fermeture dans la mise en œuvre défensive des carapaces.

Comment prennent place, dans le cadre de la genèse des enveloppes psychiques, les processus de symbolisation ?

B. Chouvier nous dit que :

« [...] Le symbole correspond à la mise en lien, à la rencontre féconde

psychiquement entre deux réalités, deux objets de nature complémentaire mais jusqu’ici séparés. Le pontage réussi entre ces deux réalités, ou ces deux objets, est le signe d’une élaboration psychique et d’une évolution maturante pour l’enfant. » (p 18)

L’élément autour duquel s’organise la symbolisation dans son aspect premier est désigné par le terme de gestalt originaire. Il s’agit d’une forme qui renvoie à d’autres formes mais bien plus encore. L’auteur prend l’exemple du « ballon ». L’enfant qui prononce le mot pour la première fois en rapport avec la chose s’en servira aussi lorsqu’il croisera, avec jubilation, un panneau de circulation ou toute autre forme ronde. Mais plus encore que la forme, cette gestalt (rond) renvoie aussi à la contenance. Ce qui caractérise une chaîne symbolique ne se réduit en rien au simple jeu des contenus de représentations de choses et de représentations de mots qui s’inscrivent au creux d’une gestalt originaire.

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