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Jamais observés directement, l’originaire et son fonctionnement ne peuvent être qu’inférés à partir notamment des processus propres à la psychose, auxquels

celle-ci ne se réduit pas cependant. L’originaire comme catégorie substantive n’est pas utilisée par Freud [...]. »

L’activité sensorielle, notamment avec les schémas de l’hallucination primitive, amène la psyché à se représenter la rencontre entre organe des sens et objet (réel ou halluciné) et elle déclenche donc l’activité originaire.

L’activité du processus originaire emprunte son fonctionnement au travail de métabolisation propre à l’activité organique, qui prend la forme d’une oscillation entre prendre en soi et rejeter hors de soi (la psyché va métaboliser en éléments d’auto-information les excitations à source corporelle, c’est-à-dire les stimuli qui proviennent de l’extérieur).

A. Brun (2007) précise :

« L’originaire se caractérise par une absence de différenciation entre la psyché, le corps propre et le monde extérieur, donc par une absence de

dualité : autrement dit, il s’agit en quelque sorte de prendre en soi ou de s’auto-rejeter. » (p. 152)

Le pictogramme définit un type originaire de représentation, qui ignore la dualité entre l’agent qui représente (la psyché) et l’agent qui est représenté (le corps, le monde extérieur ou sa propre activité psychique). Le prototype du pictogramme est la rencontre originaire sein/bouche : le sein inséré dans la bouche fait partie du corps propre, sans discontinuité corporelle et le pictogramme dans l’originaire va mettre en scène la bouche et le sein comme une entité unique et indissociable.

Le pictogramme se présente donc sous la forme d’une sensation hallucinée. Un bruit, une odeur, une proprioception concernant l’intérieur du corps propre font brusquement irruption dans l’espace psychique et l’envahissent complètement :

« Le sujet n’est plus, ne peut plus être, n’a plus été que cette fonction percevante (auditive, olfactive, proprioceptive) indissociablement liée au perçu : le sujet est ce bruit, cette odeur, cette sensation et il est conjointement ce fragment et ce seul fragment du corps sensoriel mobilisé, stimulé par le perçu. » (Aulagnier (1986), citée par A. Brun, p.398)

C’est donc « l’emprunt fait au sensoriel » qui permet à la psyché de s’auto-informer, dans la représentation pictographique, d’un état affectif qui la concerne. L’affect, en tant qu’éprouvé de l’originaire, est représenté par une action du corps.

Voici un exemple de pictogramme proposé par P. Aulagnier (1986) :

« Imaginez quelqu’un qui tombe brusquement dans un précipice, et qui ne tient

que raccroché par une seule main à l’unique et fragile saillie d’un rocher. Pendant

ce temps, il ne sera plus que cette union « paume de la main-morceau de pierre »,

et il doit n’être que cela s’il veut survivre. Tant que cette perception tactile existe, il est assuré qu’il vit, qu’il n’est pas déjà en train de plonger dans le vide. » (p.

398)

Anne Brun (2007), souligne que ce fond représentatif originaire, forclos selon P. Aulagnier du connaissable mais pas irreprésentable, toujours à l’œuvre chez tout sujet, coexiste avec deux autres modes de fonctionnement de l’activité psychique, le processus primaire, défini par la représentation fantasmatique ou le fantasme, et le processus secondaire, défini par la représentation idéique ou l’énoncé. Elle indique que :

« L’activité psychique passe donc de la mise en forme (de l’originaire

infigurable), à la mise en scène (registre du primaire) à la mise en sens (registre du secondaire). » (p. 154)

La fécondité clinique de la théorie de l’originaire consiste à montrer la prédominance de ce fond représentatif de pictogrammes dans la psychose, où affleurent les images de chose corporelles, renvoyant à un corps s’auto-avalant, s’automutilant, s’autorejetant. Dans cette perspective, A. Brun avance l’hypothèse que, dans un cadre de thérapie médiatisée, des sensations hallucinées de l’ordre des pictogrammes s’actualisent à partir des sensations provoquées par la matérialité du médiateur et par la mise en jeu de la sensori-motricité.

Elle donne des exemples où l’enfant devient pure sensation et où il est ce « seul fragment du corps sensoriel mobilisé, stimulé par le perçu.»

Ce cadre de thérapie médiatisée active pour les enfants psychotiques une dynamique de figuration des pictogrammes, ce qui va conditionner leur mise en forme d’une matière informe qu’on peut désigner comme matière à symbolisation (Brun, 2007, p154).

Selon cette hypothèse, le contact avec le médium permet à l’enfant une saisie d’une image de lui-même, qui rentre en résonance avec des représentations pictographiques de lui-même.

Anne Brun donne l’exemple suivant : le Je peut être réduit à une « sensation main agrippée à la feuille » ou à un « moi/pinceau englouti dans la peinture ».

Encore, le Je de l’enfant peut se refléter dans la peinture comme « anus/caca/liquéfié/

vidangé », etc.

L’auteur précise :

« Le désir tend à se satisfaire sur le mode hallucinatoire au cours d’un mouvement auto-érotique où le perçu est auto-engendré par la psyché (halluciné) »

25

.

L’auteur rapproche ce retrait dans l’hallucination du retrait autistique où, la psyché, pour survire ou pour éviter sa néantisation, hallucine une perception sensorielle issue d’une représentation pictographique à laquelle le sujet s’agrippe dans une sorte d’indistinction entre lui et le monde.

Les dispositifs thérapeutiques à médiation sont donc particulièrement intéressants pour les patients qui présentent des « ratés » de la symbolisation primaire comme les patients autistes ou psychotiques qui n’ont pu se constituer d’identifications précoces intracorporelles.

25 AULAGNIER, P. (1986) Le retrait hallucinatoire : un équivalent du retrait autistique ? in Un interprète en quête de sens, Paris, Ramsay, p.395-410.

Au sein de notre dispositif, la matière terre sera à la fois le corps de celui qui la manipule et un représentant du thérapeute (le médium malléable) qui peut être touché, atteint sans changer de nature. Le modelage offre un terrain privilégié de jeu même si l’élément malléable peut éveiller certaines angoisses.

1.3.5 La dynamique transféro contre-transférentielle dans les groupes à médiation

Les dispositifs de médiation thérapeutique tels que nous les désignons se réfèrent donc à la psychothérapie psychanalytique et prennent en compte la dynamique transféro contre-transférentielle, qu’ils ne se contentent pas d’aborder, mais d’analyser.

B. Chouvier (2002), nous dit que :

« Expression et signifiance ne sont potentialisables qu’à l’intérieur d’une

adresse transférentielle qui dynamise, sensualise et actualise la mise en jeu de l’objet. Repéré, pointé, analysé ou interprété, le transfert devient, à l’extrême, le vecteur primordial et central de toute processualisation créative dans un cadre thérapeutique.

26

»

Chaque interaction est empreinte des phénomènes transférentiels par rapport au thérapeute, au groupe, à l’institution, ainsi qu’aux sujets entre eux.

Une démarche expressive se vectorise nécessairement dans l’intersubjectivité.

L’objet se construit à partir du transfert.

L’atelier peut alors se proposer comme une aire d’expérimentation de la séparation du sujet de l’objet et surtout pour symboliser cette séparation, pour trouver ainsi la bonne distance avec « l’objet du fantasme. » Cette extension corporelle sur l’œuvre plastique associée à l’activité psychique, fait de la production plastique en thérapie un reflet sensoriel du vécu transférentiel (Bayro-Corrochano, 1999). Par sa mise en forme ou sa figuration, elle permet au fantasme inconscient de s’inscrire dans l’œuvre.

Le corps, support de la sensorialité, est lié comme nous l’avons vu, topologiquement à l’expression plastique et au fantasme inconscient.

Rien d’étonnant à ce que dans ce type d’atelier, il existe des moments de grande tension transférentielle, propre à la dialectique inconsciente des polarités comme sujet-objet, dedans-dehors, plaisir-déplaisir, monde interne-monde externe.

Mais l’œuvre plastique n’est pas l’inconscient « interprétable » comme tel. C’est par les effets qu’elle produit sur le thérapeute et par la mise à jour des processus psychiques qui accompagnent la production du sujet que l’inconscient s’actualise. La spécificité de la production plastique est de produire un « effet-affect » (Bayro-Corrochano, 2001), qui noue le lien transférentiel dans le cadre thérapeutique. Cet « effet-affect » serait ensuite la condition d’un travail de lecture, de signification, de parole à deux sur la production, sur les émotions afin d’y retrouver dans l’après-coup de la production le travail psychique du sujet.

Plus qu’une interprétation dans le sens « classique », la situation thérapeutique avec la peinture ou avec le modelage permettrait de «greffer» du symbolique dans la psychose (en référence aux travaux de G. Pankow). Ces objets produits, par les effets qu’ils ont

26 CHOUVIER B. (2002), Les fonctions médiatrices de l’objet, in CHOUVIER B. et al., Les processus psychiques de la médiation, Paris, Dunod, 286 p., p. 29-43.

sur le thérapeute, exigent de lui une position éthique : reconnaître que la production porte quelque chose du sujet en lienà sontravail inconscient de figuration. C’est grâce à cette reconnaissance qu’une mise au travail signifiant de l’expression plastique peut être engagée par celui qui modèle ces objets concrets aussi bien que par celui qui les reçoit.

Nous proposerons dans la partie suivante (ayant trait à la méthodologie clinique) une hypothèse concernant spécifiquement la place occupée par le médium dans la position contre-transférentielle, ainsi que l’attitude du thérapeute dans ce cadre de dispositifs à médiations, lesquels présentent des particularités qui méritent d’être questionnées.

Nous proposerons l’hypothèse d’une interprétation modelante, qui serait la reprise dans le contre-transfert du thérapeute des formes modelées.

Anne Brun (2007) fait l’hypothèse que la spécificité de l’interprétation dans ce cadre thérapeutique consiste pour le thérapeute à ne pas interpréter seulement avec des mots, mais à mettre en jeu la sensorialité du langage dans sa dimension sonore et visuelle, tout en intervenant aussi avec certaines modalités de passage par l’acte, à portée symbolisante.

P. Attigui (1993), qui travaille avec des personnes psychotiques à partir de l’expression théâtrale, souligne, quant à elle, que mettre en jeu son corps en tant que thérapeute, c’est pouvoir donner à l’autre l’occasion d’un contact offrant une « certaine qualité d’attitude ».

Cela renvoie aux premières situations ayant permis au nouveau-né de se structurer dans un environnement donné, en ce temps de la créativité originelle (p. 68).

Au sujet de l’interprétation, l’auteur précise que dans ce cadre qu’est l’expression théâtrale, les thérapeutes ne verbalisent jamais au patient l’identification du jeu avec sa vie.

« Nous demeurons volontairement dans l’aire ludique, notamment en jouant nous-mêmes, en parvenant à formuler certains commentaires parfois

métaphoriques sur l’action développée, qui est par essence fictive, la somme de ces actions ayant valeur d’interprétation »

27

. (p. 81)

Le médium malléable pourrait bien se proposer aussi comme lieu d’inscription, de mise en forme et de dépôt de la relation transféro-contre-transférentielle dont il focalise les enjeux. La matière, n’appartenant pas plus au patient qu’au thérapeute, pourrait se présenter comme un « entre-deux » à animer de part et d’autre, à mettre en forme, à agencer comme espace de rencontre.

1.3.6 Les fonctions médiatrices de l’objet : objet médiateur, objet de relation, objet de transformation

Le terme « médiation » n’étant pas un concept psychologique, il peut exister une confusion entre les terminologies de médiation, objet médiateur, objet intermédiaire, objet transitionnel (seul terme associé à une théorie spécifique), objet de relation...

Il est ici question de l’objet chose, et non de celui de la « relation d’objet.» Cet objet-chose engage la perception et la motricité dans une expérience spatiale.

La « médiation » est un terme qui supporte une large acception renvoyant à des notions connexes qui regroupent, en fait, des réalités en partie différentes, du moins ne se recoupant pas totalement, ou qui mettent l’accent sur telle ou telle dimension de la médiation, ou tel ou

27 ATTIGUI P. (1993), De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique. Jeu, transfert et psychose, Paris, Denoël, 221 p., L’espace analytique.

tel aspect de sa fonctionnalité, avec des statuts métapsychologiques plus ou moins affirmés.

C’est ainsi qu’il convient de différencier des notions proches quoique distinctes comme : L’objet de relation, expression proposée par Marcel Thaon, Christian Guérin, Guy Gimenez et l’équipe du Centre des Objets de Relation à Arles, à partir de 1985, vient souligner à la fois l’extériorité de cet objet et sa fonction relationnelle. Il s’agit pour ces auteurs de s’interroger sur :

« La place, la fonction et la valeur psychique des objets externes dans le travail clinique, mais aussi dans le développement psychique de l’individu.» (M. Thaon, 1990, p.5)

Cette confrontation à l’objet externe pourrait avoir fonction de repère pour la cohésion interne du sujet. C’est essentiellement dans la relation psychothérapique que l’objet de relation est envisagé, jouant les fonctions de relais dans la communication consciente et inconsciente, et d’articulation de deux ou plusieurs subjectivités. Ch. Guérin (1988) précise :

« La catégorie des objets de relation nous permet de penser comment deux subjectivités s’appareillent l’une à l’autre à partir d’un objet et sur la base d’investissements différentiels.»

Dans une perspective intersubjective, insistant sur la fonction relationnelle de l’objet en psychothérapie, les auteurs du COR considèrent donc les objets de relation comme constituant une interface qui rend compte de l’état de la relation.

La notion d’objet de relation ne désigne pas la médiation en elle-même, mais les objets du cadre comme susceptibles, à certains moments, d’appareiller des psychés par leur investissement conjoint avec la tonalité affective d’une rencontre élationnelle (G. Haag, 1987).

G. Gimenez (1995) indique que :

« Pour rendre la rencontre possible, l’objet de relation a une fonction pare-excitative. Il filtre la violence fondamentale sous-jacente à toute rencontre et il permet au patient et au clinicien de se pare exciter réciproquement.

28

» (p. 61)

Par sa concrétude et son existence comme objet externe, il est un support qui peut recevoir les émotions qui risqueraient de déborder le clinicien (et le patient) et rendraient impossible le travail psychique.

Dans le même article, l’objet de relation est envisagé comme objet partagé :

« L’objet de relation est en effet un objet de partage qui peut être utilisé par les deux interlocuteurs ; en cela il s’oppose à l’objet transitionnel qui est un objet privé. De par sa concrétude et son existence propre, l’objet de relation permet de déplacer au dehors, d’externaliser, sur un objet concret, ce qui se joue entre deux personnes ou plus : à travers l’objet, le patient peut ainsi scénariser des facettes de la dynamique transférentielle, plus facilement repérable et analysable. » (p. 88)

L’objet de relation a une fonction d’interface, il est un articulateur entre le thérapeute et le patient. Comme l’a montré Ch. Guérin, cette articulation s’effectue à un triple niveau : physique grâce à ses propriétés singulières, irréductibles au fantasme ; psychique à travers les investissements différenciés dont il est le support et la forme ; groupal en tant que dépositaire des parts communes des sujets en présence.

28 GIMENEZ G., (1995), Objet de relation et gestion du lien contre transférentiel avec une patiente hallucinée : les couleurs d’une rencontre, in Actes des Journées du COR : Objet et contre-transferts, Arles, Hôpital Joseph-Imbert.

Nous n’utiliserons pas cette conception dans le cadre de notre dispositif, étant donné que chaque objet est présenté par le thérapeute (et donc pré-investi par ce dernier), comme faisant partie du cadre. Néanmoins, soulignons que l’objet médiateur est porteur de certaines des qualités propres à l’objet de relation tel que nous venons de le décrire (qualité d’interface, de dépôt).

Citons aussi le concept très connu d’objet transitionnel tel que l’a théorisé D.W Winnicott (1971).

Le modèle de l’objet transitionnel est en quelque sorte le modèle princeps des objets médiateurs en psychothérapie. On ne peut affirmer, cependant, que ces derniers soient des objets transitionnels à proprement parler qui appartiennent plus directement à la relation entre la mère et l’enfant, mais ils ont place dans ce que D.W. Winnicott appelle plus généralement les phénomènes transitionnels. Il définit l’objet transitionnel comme la première possession non-Moi.

Comme prototype des phénomènes transitionnels, ils constituent à eux deux une :

« […] aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet, entre l’activité

créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance

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