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Le transporteur de membrane interne : structure et bases moléculaires de la large spécificité de substrats

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3. L’efflux actif : un mécanisme ubiquitaire à l’origine de la multirésistance

3.4. Les protéines des pompes d’efflux tripartites

3.4.2. Le transporteur de membrane interne : structure et bases moléculaires de la large spécificité de substrats

Les transporteurs RND sont constitués de 12 TMS en hélices α et de 2 larges boucles périplasmiques hydrophiles entre les TMS 1-2 et 7-8, contenant plus de 300 acides aminés chacune (Saier et al., 1998). Cette topologie a été vérifiée expérimentalement pour les transporteurs MexB et MexD de P. aeruginosa et AcrB d’E. coli (Gotoh et al., 1999 ; Guan et al., 1999 ; Fujihira et al., 2002). L’utilisation d’agents découplant ou ionophores sur cellules entières, ainsi que les études de reconstitution en protéoliposomes des transporteurs AcrB et AcrD d’E. coli, ont confirmé qu’ils effectuaient un antiport proton-substrat (Thanassi et al., 1997 ; Zgurskaya & Nikaido, 1999b ; Aires & Nikaido, 2005). Les transporteurs RND témoignent d’une étonnante poly-spécificité de substrat et sont capables d’assurer la protection des cellules en capturant leurs substrats à la fois des côtés cytoplasmique et périplasmique de la membrane interne. En particulier, AcrB chez E. coli et MexB chez P. aeruginosa reconnaissent et expulsent des β-lactamines dont la cible est périplasmique. Ces observations suggèrent que ces transporteurs doivent présenter des sites de fixation multiples et flexibles pour recueillir leurs substrats à partir de leurs différentes localisations dans la cellule. Alternativement, la topologie de ces transporteurs est telle que les molécules lipophiles et hydrophiles peuvent avoir accès à leur site de fixation.

En 2002, la structure tridimensionnelle du transporteur AcrB a été obtenue à 3,5 Å de résolution par cristallographie aux rayons X (Murakami et al., 2002). Trois monomères d’AcrB, de 1049 acides aminés chacun, s’organisent en un homotrimère dont l’aspect général est celui d’une méduse (figure 9). Chaque monomère comprend un domaine transmembranaire de 50 Å surmonté d'un domaine de 70 Å faisant saillie dans le périplasme. Cette structure nous livre plusieurs indices sur le fonctionnement du transporteur. Premièrement, le domaine périplasmique est proéminent, comme l’indiquaient les prédictions de topologie. Deuxièmement, la partie supérieure du domaine périplasmique forme un entonnoir dont les dimensions semblent s’adapter à celles du tonneau périplasmique de TolC, suggérant que AcrB puisse directement entrer en contact avec TolC sans l’intermédiaire d’AcrA. Troisièmement, l’entonnoir est relié à une large cavité centrale, d’un diamètre de 35 Å, délimitée par les 36 hélices α transmembranaires (12 par monomère). Au contraire, le pore qui connecte l’entonnoir supérieur à la cavité centrale inférieure est très étroit. Quatrièmement, trois ouvertures latérales, appelées vestibules, sont présentes au niveau des jonctions entre chaque monomère juste au- dessus de la surface membranaire et mènent à la cavité centrale.

Figure 9 : Structure tridimensionnelle du trimère AcrB.

Les trois monomères sont représentés par des couleurs différentes. Cette structure peut être divisée en un domaine transmembranaire inférieur et un domaine périplasmique supérieur (domaine ‘d’amarrage’ à TolC et domaine du pore). (Murakami S. et al., Nature, 2002)

Les bases moléculaires qui régissent la reconnaissance et la fixation des substrats par les transporteurs RND commencent à être élucidées. Les co-cristaux d’AcrB complexés à quatre ligands différents (la rhodamine 6G, l’éthidium, le déqualinium et la ciprofloxacine) montrent qu’ils se fixent tous à la périphérie de la cavité centrale, près des vestibules (Yu et al., 2003a et b). Pour ces quatre ligands testés, le trimère AcrB fixe simultanément trois molécules (une par monomère), qui, en interagissant entre elles, stabilisent leur fixation au transporteur. D’une façon intéressante, chaque ligand utilise une combinaison différente d’acides aminés et, même s’il est chargé, fait intervenir des interactions hydrophobes plutôt que des interactions électrostatiques. Il doit donc exister une autre source de charges négatives pour interagir avec les ligands chargés positivement. Murakami et coll. avaient suggéré que la bicouche lipidique membranaire puisse occuper la cavité centrale d’AcrB. Ainsi, les ligands cationiques pourraient interagir avec les têtes polyanioniques des phospholipides membranaires. Cette hypothèse concorde avec plusieurs observations. Tout d’abord, cela expliquerait la large gamme de substrats reconnus par les transporteurs RND. De plus, par leur fluidité latérale, les lipides n’empêcheraient pas la fixation de molécules anioniques (telles que les pénicillines). La

présence de lipides dans la cavité centrale d’un transporteur RND reste tout de même à démontrer.

La structure 3D du transporteur AcrB soulève aussi la question du mode de capture des substrats. L’hypothèse actuelle suggère que les substrats sont capturés par les vestibules à partir du feuillet externe de la membrane interne. Bien que très divers, les substrats seraient d’abord amenés au contact du feuillet externe de la membrane interne soit par leur hydrophobicité soit par leur moment dipolaire, puis ils diffuseraient latéralement jusqu’aux vestibules avant de gagner la cavité centrale (Yu et al., 2003b). De plus en plus d’observations et de résultats confirment le rôle du domaine périplasmique dans la spécificité de substrats. Lorsqu’on examine les transporteurs homologues à AcrB, on remarque une grande conservation des résidus aux sites de fixation avec les ligands (Yu et al., 2003b). L’entrée des vestibules dans AcrD (qui transportent les aminoglycosides, polycationiques) contient beaucoup plus de résidus acides qu’AcrB (qui ne les transportent pas) (Yu et al., 2003b). La comparaison entre AcrB d’E. coli et MexB de P. aeruginosa, montre qu’un acide aminé acide, Asp301, dans AcrB est remplacé par un couple d’acides aminés basiques, Lys304 et Lys170, dans MexB. Exprimé chez E. coli, le système MexAB-OprM est moins efficace que le système AcrAB-TolC pour expulser des colorants ou des antibiotiques cationiques (éthidium ou érythromycine) ; mais il est plus efficace pour éliminer les acides faibles (acide nalidixique) (Tikhonova et al., 2002). Ces résultats sont compatibles avec l’intérieur basique du vestibule de MexB.

Par la construction de transporteurs hybrides, plusieurs études récentes mettent aussi en évidence le rôle du domaine périplasmique dans la reconnaissance et la spécificité des substrats. En échangeant des domaines entre AcrB et AcrD, Elkins et Nikaido ont montré que la large spécificité de substrats d’AcrB comparée à la spécificité limitée aux aminoglycosides d’AcrD était déterminée par les boucles périplasmiques (Elkins & Nikaido, 2002). Thikhonova et coll. ont construit des protéines chimères d’AcrB d’E. coli et de MexB de P. aeruginosa. L’hybride contenant les 849 résidus N-terminaux d’AcrB conférait un niveau de résistance plus élevé aux agents cationiques que celui contenant les 612 résidus N-terminaux (Tikhonova et al., 2002). L’importance de la région périplasmique située entre les résidus 612 et 849 d’AcrB dans la sélection des substrats est en accord avec le fait que les résidus 830 à 849 tapissent l’entrée du vestibule, et que cette région est significativement différente entre AcrB et MexB. Eda et coll. ont montré que le remplacement du domaine transmembranaire de MexB par le domaine correspondant de MexY n’avait aucune influence sur la nature des substrats reconnus. Au contraire, lorsque les deux boucles périplasmiques de MexY étaient remplacées par celles de MexB, MexY devenait sélectif vis-à-vis des β-lactamines (substrats spécifiques de MexB) mais

ne l’était plus vis-à-vis des aminoglycosides (substrats spécifiques de MexY) (Eda et al., 2003). Un travail très précis a été mené par Mao et coll. : en considérant que le système MexCD-OprJ est incapable d’expulser les β-lactamines, ils ont construit puis sélectionné des mutants de MexD permettant l’efflux de carbénicilline. Parmi les mutants obtenus, la substitution Gln34Lys est située dans l’entrée du vestibule ; dans cette région la présence d’une charge positive semble suffisante pour permettre l’entrée des β-lactamines chargées négativement (Mao et al., 2002).

Tout indique que les transporteurs RND fonctionnent comme des « aspirateurs » périplasmiques. Cependant, il restait à en apporter la preuve biochimique. Pour cela, deux études ont été menées en utilisant des transporteurs purifiés puis reconstitués en protéoliposomes sous gradient artificiel de protons (l’espace intra-vésiculaire correspondant à l’espace périplasmique est acide) (Zgurskaya & Nikaido, 1999b ; Aires & Nikaido, 2005). Un tel système permet de mesurer l’activité du transporteur selon que le substrat est ajouté dans l’espace intra- (périplasme) ou extra-vésiculaire (cytoplasme). Cependant, ce système n’est utilisable que si le substrat utilisé est suffisamment hydrophile pour ne pas diffuser spontanément à travers la membrane vésiculaire. L’expérience s’est avérée délicate dans le cas de protéoliposomes contenant AcrB, car la plupart des substrats d’AcrB sont hydrophobes (Zgurskaya & Nikaido, 1999b). La même équipe a contourné ce problème en étudiant l’activité du transporteur AcrD d’E. coli, proche homologue d’AcrB mais spécifique de l’efflux des aminoglycosides, une classe d’antibiotiques polycationiques, donc très hydrophiles (Aires & Nikaido, 2005). L’addition de l’antibiotique dans le milieu extra-vésiculaire entraînait la dissipation du gradient de protons (efflux d’H+) et l’accumulation intra-vésiculaire de l’antibiotique radiomarqué. Ceci indique que les aminoglycosides peuvent être capturés et transportés depuis le cytoplasme in vivo. De même, un efflux de protons a été observé lorsque l’antibiotique est ajouté seulement dans le milieu extra-vésiculaire. Ceci démontre que, dans les cellules intactes, AcrD est capable de capturer les aminoglycosides dans le périplasme pour les expulser vers le milieu extérieur. Dans les deux cas, il est important de noter que la présence de la protéine périplasmique AcrA était nécessaire à l’activité du transporteur.

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