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c) Translation sur surface

Non contente d’imiter la nature, une partie des machines moléculaires tirent leur inspiration des machines macroscopiques. Ainsi toutes sortes de nano-véhicules ont permis d’imprimer des mouvements de translation sur surface grâce à la directionnalité imposée par les roues moléculaires.[93] Les mouvements sur surface sont caractérisés par STM ; la pointe STM permet pour la majorité des nanovéhicules non motorisés, à la fois de repérer leur position et de manipuler le véhicule pour le faire avancer. Dans de rares cas où le mouvement peut être induit par excitation due à un courant électrique, la pointe STM permet de faire passer ce courant. Le groupe de G. Rapenne a développé en 2007 un dimère de roues de type triptycène susceptibles de tourner sur la surface grâce à une manipulation induite à l’aide de la pointe d’un STM (Figure 34).[94] Depuis, l’équipe de G. Rapenne a développé des nano-vehicules dont les roues sont majoritairement des groupements triptycène.[95]

La plus grande contribution au développement des nano-véhicules a été apportée par le groupe de J. Tour qui utilise principalement des roues de type C60 ou carborane dans ses véhicules pour observer le mouvement de translation sur une surface. De très nombreux véhicules ont donc été décrits avec des structures très diverses. On retrouve des nano-voitures,[96] des nano-brouettes,[95c, 97] des nano-dragsters,[98] des nano-vers,[99] des nano-trains.[100] Parmi tous ces véhicules majoritairement propulsés par une pointe STM sur la surface, certains s’illustrent par une propulsion autonome chimique, électrique, ou photochimique. Le groupe de J. Tour a ainsi développé une voiture pouvant tirer l’énergie nécessaire à la translation d'une réaction de polymérisation par métathèse d’ouverture de cycle (ROMP) (Figure 35).[101] En pratique le catalyseur de Ruthénium est attaché à l’arrière de la voiture, la métathèse conduit à la formation d’une chaîne polymérique à l’arrière du véhicule entre le catalyseur de Ru et le châssis. Le principe de fonctionnement étant que la formation de cette chaîne pousse le véhicule à chaque cycle catalytique. Toutefois aucune étude de mouvement sur surface n’a pu être réalisée pour valider le fonctionnement de la voiture. En outre l’énergie chimique n’est pas la plus pratique à utiliser surtout pour étudier un mouvement sur une surface. Par conséquent des véhicules comprenant un moteur photoactivable ont été réalisés : J. Tour a ainsi incorporé dans ses

voitures le moteur rotatif unidirectionnel de B. Feringa, permettant d’envisager l’activation du mouvement de translation par irradiation lumineuse (Figure 36).[102] Le moteur est lié de façon covalente au châssis, lors de sa rotation, le rotor pousse la surface entraînant la translation de la voiture. La voiture comportant les roues fullerène n’a toutefois pas montré en solution de rotation du moteur de Feringa du fait d’un quenching de l’état excité du moteur par les fullerènes. L’utilisation de roues carborane a néanmoins permis d’observer sous irradiation la rotation du moteur en solution, mais le mouvement de translation sur la surface métallique n’a pu être mis en évidence.

Figure 34 : Dimère de roues[94] Figure 35 : Nano-voiture autopropulsé chimiquement (ROMP)[101]

Figure 36 : Nano-voiture à propulsion photochimique[102b]

Le nanovéhicule autopropulsé le plus performant à ce jour reste la nano-voiture récemment développée par B. Feringa (Figure 37).[59] Le châssis est lié à quatre moteurs de Feringa rotatif de chiralité contrôlée (R,S-R,S) de sorte que la rotation des moteurs soit unidirectionnelle et propulse la voiture dans un mouvement de translation.

Figure 37 : Nano voiture électro propulsée[59a] : 1) Structure ; 2) Principe d’excitation ; 3) Représentation des cycles de déplacement ; 4) Images STM du déplacement après chaque excitation

Rotor

Axes Roues

Stator

1) 2) 3)

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La synthèse d’une voiture diastéréoisomériquement pure est indispensable au mouvement de translation car les deux énantiomères (R,R-R,R et S,S-S,S) entraîneraient sous excitation un mouvement de rotation de la voiture sur elle même. L’étape de dépôt sur la surface est aussi cruciale pour le contrôle du mouvement car deux conformères sont accessibles sur surface, l’un entraîne une rotation conrotatoire des roues avant et arrière, ce qui empêche tout mouvement global du châssis. L’autre conformère permet un mouvement de rotation disrotatoire impliquant la translation du châssis. Ces divers mouvements de rotation et de translation de la voiture ont pu être mis en évidence sur surface de Cu(111) par STM suite à l’excitation des moteurs par un faible courant électrique entre la pointe et la surface (V < 60 mV ; 30 < I < 100 pA).

Les travaux des chimistes au cours des dernières décennies ont permis de montrer, confortés par la réussite de la nature, que des mouvements de translation et rotation au sein des machines moléculaires, commutateur ou moteur, sont accessibles grâce à l’action de stimuli chimique, électrochimique, ou photochimique.

Malgré la difficulté que constitue le mime des machines macroscopiques ou de la nature, et bien que celle-ci nous tienne, par sa perfection, dans cette course à l’inspiration, constamment en échec, il apparaît d’une extrême beauté de persévérer et de nourrir ce désir de l’homme, par ses modestes outils et son expérience scientifique de quelques siècles, de s’approcher au maximum de l’efficacité des processus naturels.

Toutefois, puisque la nature est inégalable, il est légitime de se demander à quelle fin et pour quelle obscure raison, le chercheur essaye de contrôler un mouvement à l’échelle moléculaire moins bien que la nature avec des systèmes plus simples. Il s’agit alors de répondre à l’éternelle question du profane financeur de recherche : « A quoi cela sert-il ? ». Dans cette récente et frénétique course à l’utilité, où ce qui ne sert pas immédiatement, ne doit pas être, nous brandissons tel un rempart la pensée de Richard Feynman : « What are the possibilities of small but movable machines ? They may or may not be useful, but they surely would be fun to make. ! ».[103]

Désormais, libéré de la pression utilitariste par le « parapluie Nobel », nous pouvons sereinement penser à l’utilisation des machines moléculaires pour que le contrôle du mouvement à l’échelle moléculaire permette, en l’étude d’un seul concept, le contrôle de diverses propriétés physiques et chimiques.

II COMMUTATION DE PROPRIETES PAR MOUVEMENT

MECANIQUE

La commutation de propriétés physiques ou chimiques à l’échelle moléculaire est un défi que relèvent de nombreux chimistes dans divers domaines distincts tels que la photo-physique, le magnétisme ou la catalyse. Réduire à l’échelle moléculaire la possibilité de commuter ces propriétés ouvre le champ de la miniaturisation de divers systèmes fonctionnels, tels que les sondes de détection, ou des systèmes de stockage de l’information. De nombreuses sondes de détection fluorescentes ont été décrites, ainsi que des commutateurs de spin électronique. Toutefois pour chaque propriété un système spécifique est développé. Le contrôle du mouvement mécanique accessible grâce aux machines moléculaires permet

de créer une interaction réversible entre deux parties d'une molécule. Cette interaction induit une modification de propriété physique tel qu’un quenching de luminescence, une interaction de spin, ou un mouvement macroscopique. Ainsi l’utilisation des machines moléculaires permet d’envisager de commuter diverses propriétés grâce au même concept d’interaction réversible.

1)L

UMINESCENCE