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I P RINCIPE DE FONCTIONNEMENT ET DESIGN

Le principe de catalyse coopérative se base sur la proximité de deux centres réactifs dont les rôles catalytiques complémentaires sont à l’origine de l’accélération d’une des réactions possibles.[297]

1)C

ATALYSE COOPERATIVE

On peut distinguer deux effets dans une catalyse coopérative qui peuvent agir de manière concomitante. D’une part, la proximité de deux centres réactifs peut engendrer une accélération de la réaction, par diminution de l’enthalpie libre d’activation ; d’autre part la coopérativité catalytique permet pour certaines réactions stéréosélectives utilisant un catalyseur chiral, d’améliorer la sélectivité de la réaction par stabilisation relative, dans l’environnement chiral, d’un état de transition vis à vis d’un autre. Ainsi, lors d’une réaction catalytique stéréosélective, ces deux effets peuvent être observés de façon concomitante.

Le design d’un catalyseur coopératif dépend du type de réaction catalysée, toutefois on peut dégager des principes fondamentaux pour un catalyseur coopératif optimal. En effet lors d’une réaction chimique, on compte généralement deux principaux réactifs : un nucléophile et un électrophile. Le catalyseur coopératif doit être susceptible d’augmenter la réactivité de ces deux substrats par un mécanisme de double activation (Figure 204). Ceux-ci ayant des réactivités complémentaires, ils doivent être activés de façon opposée (un nucléophile doit être enrichi en électron, alors que la densité électronique d’un électrophile doit diminuer) ce qui implique un catalyseur dissymétrique. Cette double activation des réactifs permet de diminuer l’enthalpie d’activation de la réaction. Toutefois le catalyseur coopératif agit aussi sur l’entropie d’activation, puisque les deux substrats se lient au catalyseur, de sorte à les amener en proximité spatiale. Le coût entropique initial est alors contrebalancé par l’enthalpie d’interaction avec le catalyseur. Le développement de catalyseurs coopératifs dissymétriques est un défi synthétique encore plus complexe que celui des systèmes symétriques, c’est pourquoi beaucoup de catalyseurs coopératifs décrits sont symétriques et se distinguent des catalyseurs non coopératifs par leur action sur l’entropie d’activation de la réaction.

Figure 204 : Principe de fonctionnement d’un catalyseur coopératif optimal

Il existe quelques exemples d’architectures permettant d’accélérer une réaction par effet coopératif avec des catalyseurs de type salen ; ces catalyseurs ont été mis à profit pour le développement de cette catalyse coopérative car ces dérivés donnent accès à diverses réactions, et ont été considérablement étudiés depuis les travaux de E. N. Jacobsen.[298] Ainsi des nanoparticules porteuses d'un grand nombre de Co-salen attachés par liaison covalente permettent de catalyser une réaction d’ouverture d’époxyde asymétrique, grâce à la proximité des salen induite par la densité de greffage.[299] Des réseaux de coordination (Metal Organic Framework, MOF), contenant des Mn-salen ont permis de catalyser une réaction d’époxydation d’alcène par un dérivé d’iode hypervalent.[300] Des versions commutables permettant une régulation de la vitesse de réaction par effet allostérique ont été développées notamment par C. Mirkin et coll. qui ont décrit une accélération d’une réaction de transestérification d’un diester phosphate (Figure 205).[172b] Cette réaction est commutée via l’ouverture ou la fermeture de la cavité au sein de laquelle la réaction est accélérée.

Figure 205 : 1) Réaction de transestérification d’un diester phosphate ; 2) Catalyseur commutable

Figure 206 : 1) Réaction de Henry ; 2) Catalyseur commutable

Plus récemment le groupe de Q. H. Fan a développé une pince moléculaire commutable, dont les sites catalytiques sont des CrIII-salen, qui catalyse une réaction de Henry (Figure 206).[301] La proximité des deux sites actifs permet d’observer une augmentation de la conversion et de l’excès énantiomérique par rapport à un complexe mononucléaire.

Nucléophile

Electrophile

Activation nucléophile :

Enrichissement en électron Ex : déprotonation par acide

de Bronsted

Activation électrophile :

Diminution de densité électronique Ex : Acide de Lewis

Double activation enthalpique + Activation entropique TBACl TBACO AgBF4 NO2 O P O HO O O NO2 OH OPO O O + 1) 2) K+ 6-couronne-18 OMe O MeNO2 DIPEA OMe NO2 OH + + 1) 2)

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Le fonctionnement de ces catalyseurs coopératifs est fondé sur l’accélération de l’étape cinétiquement déterminante par transformation de cette étape théoriquement intermoléculaire en une étape formellement intramoléculaire. En effet dans toutes les réactions précédemment citées, l’étape limitante correspond à l’attaque d’un nucléophile sur un électrophile. Ce dernier est, dans une catalyse standard par complexe de salen, activé par coordination au métal, ce qui permet la réduction de l’enthalpie d’activation de l’étape, et donc de la réaction. Dans les systèmes catalytiques coopératifs dinucléaires, le caractère électrophile d’un substrat est de la même façon exalté par coordination au métal dans l’espace inter salen ; toutefois le nucléophile entre aussi en interaction avec l’autre salen à proximité, permettant le positionnement de ce réactif en proximité du substrat.[302] Ainsi par cette interaction métal-nucléophile, l’étape cinétiquement déterminante devient unimoléculaire, puisque intramoléculaire (Schéma 37). En cela la stratégie bioinspirée de catalyse coopérative tire son originalité du fait qu’elle ne se contente pas d’agir sur l’enthalpie d’activation comme la plupart des catalyseurs, mais elle permet d’abaisser aussi l’entropie d’activation puisque le coût entropique lié à la molécularité de l’étape est compensé par le gain enthalpique correspondant à l’interaction du nucléophile avec la cavité.

Schéma 37 : Mécanisme d’ouverture d’époxyde par un dimère de salen en catalyse coopérative

L’augmentation de la stéréosélectivité d’une réaction, grâce à la catalyse coopérative, a d’ores et déjà été décrite dans quelques systèmes dont l’architecture se rapproche des pinces moléculaires. Cette exaltation de la sélectivité est due au confinement de la réaction entre deux sites catalytiques, dans un environnement chiral, à la manière d’une poche enzymatique. Cet environnement chiral permet d’augmenter l’influence des centres asymétriques du catalyseur pour orienter la réaction. Ainsi au sein

O N N OCo O N N OCo O N N OCo O N N OCo O O N N OCo O N N OCo O HO O N N OCo O N N OCo O HO Perte entropique compensée coordination enthalpiquement favorisée Etape unimoléculaire rapide, entropiquement moins défavorable R R O R R R OH OH H O H OAc OAc OAc AcOH AcOH AcO AcO + + +

de cet environnement un intermédiaire réactionnel ou état de transition chiral est plus stabilisé que l’autre. Quelques cavités, ou pinces moléculaires ont permis l’augmentation de la stéréosélectivité de réactions de Henry par de Co-salen,[303] ou d’ouverture d’époxyde par Cr-salen.[176] Mais ces exemples restent encore assez limités en nombre, particulièrement en version commutable.[301]

2)D

ESIGN DU CATALYSEUR COMMUTABLE

La coopérativité catalytique est un point clef du développement de catalyseurs commutables notamment basés sur des pinces moléculaires ; en effet, c’est l’accélération ou la sélectivité additionnelle dues à cette coopérativité qui permettront d’observer une différence d’activité catalytique entre une forme ouverte agissant comme un catalyseur non coopératif et une forme fermée ou la coopérativité s’exprime. Dans un système commutable idéal, la coopérativité devrait permettre d’induire une réaction lorsque le catalyseur est dans sa configuration active ; réaction qui serait cinétiquement bloquée avec le catalyseur dans sa forme inactive.

Dans notre cas il serait particulièrement intéressant de réaliser une pince moléculaire commutable par coordination, susceptible d’accélérer une réaction en exaltant sa stéréosélectivité. Pour ce faire la question du design se pose désormais, notamment en ce qui concerne l’introduction de centres stéréogènes. Usuellement l’asymétrie du catalyseur est introduite au niveau de la diamine du ligand salen, notamment sous forme de cyclohexanediamine énantiomériquement pure. Ceci présente en terme catalytique le double avantage d’induire la sélectivité lorsque le substrat approche par le coté diamine, mais aussi s’il approche par le coté salicylaldéhyde substitué par des groupements encombrants, car la distorsion du salen induite par la chiralité de la diamine, implique l’asymétrie au niveaux des groupements encombrants sur le salicylaldéhyde (Schéma 38).[304]

Ainsi si l’on suit cette stratégie décrite dans la littérature, le design de pince moléculaire utilisé jusqu’à présent paraît peu approprié, puisque la partie commutable est liée au salen par la diamine, ce qui d’une part limiterait l’approche du substrat par ce coté, et d’autre part réduirait la rigidité du système nécessaire au contrôle de la distance salen-salen en configuration pince fermée. Il faut alors envisager de substituer le salen par un des groupements salicylaldéhyde.

Schéma 38 : Distorsion des groupements encombrants induite par la cyclohexanediamine

Dans un premier temps, nous envisageons la synthèse d’un système symétrique homobimétallique qui permettrait une accélération et une exaltation de la sélectivité de réaction sans double activation enthalpique. Ainsi la structure de la pince moléculaire commutable permettant la modulation réversible de la catalyse est représentée Schéma 39 :

O N N O

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Schéma 39 : Structure générale de la pince moléculaire catalytique cible

Afin de mettre au point une nouvelle voie de synthèse pour cette cible qui s’écarte des structures précédemment réalisées, il est raisonnable de commencer par la synthèse d’une pince moléculaire achirale où la cyclohexadiamine est remplacée par l’aminoaniline.

II SYNTHESE D’UNE PINCE MOLECULAIRE COMMUTABLE