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Une transition religieuse globale : le mythe de la sagesse primordiale

CHAPITRE 1 – VIVRE ET CROIRE À L’ÈRE DE L’ULTRAMODERNITÉ

2. L’INDIVIDUO-GLOBALISME : NOUVELLE CULTURE RELIGIEUSE DE

2.1. L’émergence d’un nouveau mythe

2.1.2. Une transition religieuse globale : le mythe de la sagesse primordiale

Au cours du XXe siècle en Occident, pour Liogier le déclin de l’appartenance religieuse traditionnelle ne serait pas causé par une sortie de la religion, mais plutôt par l’effacement d’une certaine mythologie (idéologie ?) judéo-chrétienne qui aurait viré en fiction, car elle n’était plus compatible avec les savoirs de l’époque, notamment avec les découvertes scientifiques sur l’origine humaine. Ainsi, l’identité narrative collective d’une majeure partie de la population se serait déplacée vers des narrations existant en dehors des grandes traditions religieuses92. Cette transition religieuse se serait réalisée de manière globale puisque nous vivrions à l’heure d’une interdépendance mythique où images et narrations circulent sur la grande toile d’Internet. Elle correspondrait encore et de la même façon au tournant subjectif de Taylor qui aurait permis à l’homme de sortir d’un rôle social dans lequel il était assujetti, et de passer à la construction de son identité personnelle pour lui et par lui seul et dont les mécanismes conscients et inconscients seraient révélateurs d’une vérité enfouie au plus profond de soi.

Pour Liogier, une transition religieuse peut s’effectuer de deux façons93. La première méthode consiste à reléguer la totalité du système religieux et/ou culturel (dieux y compris) dans le nouveau panthéon, mais en tant que valeurs négatives, en puissances du mal. Par exemple, le christianisme appela les cultes antiques « païens » et devinrent plus tard synonymes de dérives diaboliques. La deuxième méthode tend à présenter la nouvelle religion comme l’ultime révélation de l’ancienne, comme le fit le bouddhisme avec l’hindouisme ou

90 Jeffrey Alexander, The Meanings of Social Life : A Cultural Sociology, New York : Oxford University Press, 2003, p. 3.

91 Raphaël Liogier (2012b), Op. cit., p. 34. 92 Idem.

encore le christianisme avec le judaïsme, tout en vidant la première de son contenu dogmatique. L’individuo-globalisme, nouvelle scène mythique globale, combinerait les deux méthodes et participerait au « fondu-enchaîné » du tournant ultramoderne « où les formes anciennes coexistent longtemps et s’interpénètrent avec les formes nouvelles »94.

À l’heure du pluralisme et des rencontres entre les différentes vérités religieuses, le principal obstacle à l’individuo-globalisme serait pourtant la multiplicité de ces mêmes vérités. Rappelons que le processus derrière une continuité narrative est la cohérence, principal gage de sens. Ainsi, la croyance en une « tradition originelle » ou « sagesse primordiale », dont les traditions existantes ne seraient que des traces partielles, va progressivement se développer. Cette conception unificatrice permettrait à la fois de se débarrasser des dogmes – devenus LE Dogme emprisonnant et assouvissant – quand ils sont jugés incompatibles, cela impliquant que le sens ultime ne peut être trouvé qu’en soi; mais également d’éviter un quelconque « choc » des dogmes opposés puisque ceux-ci sont perçus comme les véhicules imparfaits de la vérité perdue95. Devenant des piliers de sens millénaires, les grandes traditions religieuses restent cependant des repères ou des voies respectables pour qui est à la poursuite de sa vérité (de là naît la figure du chercheur ou de l’itinérant spirituel). Les grandes institutions religieuses soutenues par un Dogme oppressant patriarcal seront donc délaissées pour une résurgence des néo-traditions ésotériques ou mystiques, correspondant davantage à la part d’ombre de l’homme (dans le sens jungien), c'est-à-dire le féminin et la recherche d’intériorité.

Cette croyance en une vérité originelle perdue prend son essor dès le Romantisme et le mouvement théosophique, au XIXe siècle, et aurait selon Yves Lambert constitué une contre- réaction à la philosophie progressiste et linéaire de l’histoire pour laquelle les religions devaient toutes évoluer vers le monothéisme, forme religieuse la plus aboutie. Ainsi, l’idée d’une humanité originelle qui aurait eu connaissance d’une sagesse primordiale fait son chemin. Cette sagesse se serait perdue au cours du temps, mais des traces subsisteraient dans les traditions ésotériques (religions de l’Inde, du Tibet, de l’Égypte antique et du Moyen- Orient) qui l’auraient transmise de façon secrète aux grands initiés. Jésus deviendrait ici un restaurateur de la sagesse perdue96.

94 Yves Lambert (2000), Op. cit., p. 7.

95 Raphaël Liogier (2012b), Op. cit., p. 34 et Raphaël Liogier (2012a), Op. cit., p. 156-157. 96 Yves Lambert (2004), Op. cit., p. 14.

Finalement, pour Liogier, l’individuo-globalisme s’installe avec trois « décors » ou trois axes essentiels97 : l’hypertradition (« une tradition plus que traditionnelle, mais perdue », qui aplanit toute différence entre les différentes religions qui ne sont plus que des reliquats culturels locaux de cette même origine); l’hyperscience (« une science plus que scientifique qui redécouvre les vérités de la tradition perdue », c'est-à-dire une science qui n’est plus incompatible avec la religion, mais qui cherche au contraire à expliquer des vérités spirituelles, comme l’astrophysique de Hubert Reeves ou de Trinh Xuan Thuan); l’hypernature (« une nature plus que naturelle » qui confère à la science et aux religions un gage d’authenticité tant que ces dernières sont connectées à la nature).

Le chercheur spirituel, véritable pèlerin déambulant sur les sentiers de la vérité enfouie et opaque, peut ainsi préférer un axe plutôt que l’autre ou encore passer de l’un à l’autre. Ainsi, plutôt que parler de mobilité religieuse ou encore de bricolage, Liogier préfère assumer le terme de « religion de la mobilité » permettant au chercheur de « passer d’une mouvance à l’autre sans changer vraiment de croyance »98 sur lui-même, sur la vie ou le monde. Il serait en réalité à la recherche de la vérité dispersée99.

2.2. La spiritualité est-elle une nouvelle religion ultramoderne ?