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Limites : réduction du profil du chercheur spirituel à celui d’un consommateur

CHAPITRE 2 – RÉFLEXION CRITIQUE SUR DES TYPOLOGIES DE LA SPIRITUALITÉ

1. LA NÉBULEUSE MYSTIQUE-ÉSOTÉRIQUE : THÉORIES DU MARCHÉ SPIRITUEL

1.3. Limites : réduction du profil du chercheur spirituel à celui d’un consommateur

Le point de focalisation de cette théorie est la compréhension du chercheur spirituel comme simple consommateur de croyances191 dont la quête spirituelle est assimilable aux « besoins du consommateur postmoderne, qui pose la question : « qui suis-je? » »192. La spiritualité, perçue comme une nouvelle tendance durable dans la consommation, soit comme

188 Ibid., p. 167.

189 Graham Harvey, Op. cit., p. 132.

190 Jeremy Carrette et Richard King, Op. cit., p. 1-29. 191 Graham Harvey, Op. cit., p. 138.

un marché porteur et en expansion, apparaît telle une préoccupation de certains consommateurs contemporains en « quête de sens, de bien-être et d’ailleurs »193.

Dans leur article définissant la spiritualité comme nouveau domaine à explorer dans le champ du marketing, Camus et Poulain (2008) reprennent l’étude de Nicole Aubert sur l’individu hypermoderne (2004), comme idéal-type de l’individu contemporain. Le terme d’« hypermodernité » vient indiquer une exacerbation de la modernité, dans tout ce qu’elle a d’excessif, ou encore quelque chose qui va au-delà de ses limites194. L’individu hypermoderne est donc défini comme un individu « dans l’excès », produit de l’individualisme de marché : « un comportement marqué par l’excès dans un contexte sociétal qui lui-même contraint à l’excès »195. Voici le portrait que dresse Nicole Aubert de l’individu hypermoderne :

Une personnalité qui s’inscrit dans l’univers de la mondialisation économique, de plus en plus dominé par les lois du marché et structuré par un temps mondial qui s’accélère et se compresse. Une personnalité qui évolue dans une société de la satisfaction immédiate et de « l’éclatement des limites », dans laquelle la notion de sens, souvent cantonnée à l’instant et au moment présent, ne semble plus guère trouver d’autre référent commun que celui du « risque partagé ». Dans ce contexte, où l’adhésion se fait plus à soi-même qu’à une cause, et où l’individu, devenu avant tout un consommateur, doit aussi lutter pour son existence sociale, on assiste à une recomposition de l’identité personnelle, à la fois renforcée et fragilisée, au renouvellement des profils psychologiques, à l’émergence de nouveaux types de pathologies […]196.

En effet, cet individu serait caractérisé par deux pôles extrêmes, tous deux régis par la notion d’excès : celui qui est dans l’excès permanent, dans la jouissance du « toujours plus », qui l’amène à la transcendance de lui-même dans des conduites à risques, pouvant résulter en des pathologies nouvelles de l’épuisement (burn out, dépression, mais également addictions diverses); le deuxième type étant « l’excès dans l’inexistence » dont la vacuité de l’existence s’opposerait à l’intensité narcissique du premier type197. Dans une fuite en avant perpétuelle, l’individu hypermoderne chercherait le dépassement de la mort dans le culte de l’instantanéité qui l'amènerait à chercher le sens en lui-même, dans cette transcendance de soi198. Il s’agirait

193 Sandra Camus et Max Poulain, « La spiritualité : émergence d’une tendance dans la consommation »,

Management et Avenir 5.19 (2008) : 72-73.

194 Nicole Aubert (2005), Op. cit., p. 54. 195 Ibid., p. 56.

196 Nicole Aubert (2006), Op. cit., p. 16. 197 Ibid., p. 17-18.

donc d’une quête absolue de soi-même, cherchant la fusion ultime avec ce Dieu intérieur que l’on porte en soi. Ainsi, la société d’hyperconsommation néolibérale et l’instantanéité permise par les nouvelles technologies, contribueraient à produire un individu dominé par le besoin de satisfactions immédiates, intolérant à la frustration, exigeant, et où la satisfaction de ce besoin de sens narcissique est rendue possible par l’hyper choix de notre société où la religion est devenue elle aussi un objet à consommer199.

1.3.2. Dépasser la théorie du chercheur spirituel néolibéral

Afin de ne pas tomber dans le réductionnisme limitant le chercheur spirituel à un consommateur hypermoderne, il est important de rappeler qu’à côté de l’idéologie néolibérale bien présente dans nos sociétés, a toujours existé une mouvance anticapitaliste ou alternative. Une large partie des individus faisant partie de la nébuleuse mystique-ésotérique est issue de ce mouvement contestataire provenant directement de la contre-culture des années 1960, tels les altermondialistes200. Ainsi, Graham Harvey critique cette focalisation des études récentes sur la spiritualité contemporaine visant à réduire l’individu en quête de sens à un consommateur201. Il propose une autre définition de cet individu comme étant lui-même producteur de sens, ce qui impose une nouvelle façon de penser la spiritualité et les théories du bricolage.

De la même façon, Danièle Hervieu-Léger précise que les individus « ne bricolent pas gratuitement » : ils le font pour « réaliser la mise en récit – et ainsi la mise en sens – d’expériences spontanément vécues comme disjointes et fragmentées »202. En effet, la sociologue indique que c'est en s’inscrivant dans un récit, c'est-à-dire dans un langage, que le bricolage se fait mise en sens203. Elle identifie quatre trames narratives : le récit de conversion, le récit d’ascèse, le récit d’illumination et le récit de réintégration communautaire. Chaque récit contient des contraintes propres à la construction de soi-même (assurant une validation tierce) et correspondant à « une mise en ordre du rapport à soi-même et au monde »204. Ainsi, le

199 Ibid., p. 66.

200 Jeremy Carrette et Richard King, Op. cit., p. 8. 201 Graham Harvey, Op. cit. p. 138.

202 Danièle Hervieu-Léger, « Bricolage vaut-il dissémination? Quelques réflexions sur l’opérationnalité sociologique d’une métaphore problématique », Social Compass 3.53 (2005) : 299.

203 Nous avons déjà évoqué l’importance de la narration individuelle dans le chapitre 1. 204 Danièle Hervieu-Léger (2005), Op. cit., p. 299.

bricolage – inscrit dans une trame narrative – permet à l’individu moderne de choisir sa propre lignée croyante dans laquelle il s’identifie. Donc plutôt que la métaphore du bricolage, trop associée aux théories du marché spirituel, pouvons-nous plutôt proposer celle du kaléidoscope, attestant de la quête cohérente de sens de ces personnes, mais prenant des chemins divers et probablement plus variés qu’auparavant205.