• Aucun résultat trouvé

Les transformations à l’œuvre dans les villes posent des questions majeures sur la relation entre les changements sociaux, les politiques urbaines et la croissance

économique. Le thème de la créativité est mis en avant par de nombreux économistes,

sociologues et géographes pour expliquer certaines tendances du développement

économique et des évolutions sociales. C’est sous cet angle que R. Florida (2002a)

envisage la recomposition des éléments constitutifs de l’avantage urbain et régional. Il

considère la créativité comme un facteur déterminant de la croissance dans les économies

postfordistes des pays occidentaux. Elle serait, selon lui, un élément central du capitalisme

contemporain, menant à une restructuration du marché du travail et du monde social. Il fait

l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle classe sociale – la classe créative – dont il lie

directement la présence au développement économique des villes. La thèse qu’il défend est

assez simple : dans le contexte de la nouvelle économie, la croissance de certains secteurs

de pointe serait fonction de cette classe créative, fortement scolarisée et mobile, dont les

membres accorderaient davantage de valeur au lieu où ils habitent qu’à l’emploi qu’ils

occupent. Le principal enjeu serait alors de connaître les facteurs de localisation de ces

travailleurs à l’esprit créateur, plus encore que ceux des industries qui les emploient.

R. Florida considère que leurs attentes sont principalement orientées vers des villes

cosmopolites, ouvertes, hétérogènes, dotées d’une offre culturelle importante et d’une

culture urbaine « authentique », qu’il associe à la diversité culturelle sous toutes ses

formes.

Les choix de localisation de la classe créative sont, d’après R. Florida,

essentiellement motivés par le pluralisme des groupes sociaux et des modes de vie présents

sur un territoire. Il propose une série d’indices statistiques comme le creativity index, qui

synthétise quatre facteurs : les emplois dans la classe créative, l’innovation (mesurée au

nombre de brevets déposés), les entreprises de haute technologie et la diversité

socioculturelle (évaluée à travers l’importance des communautés immigrantes, artistiques

et homosexuelles). Il tente également de prendre la mesure de la géographie de la bohème

– l’indice bohémien mesurant la part des actifs exerçant un emploi artistique – et de la

géographie de l’homosexualité grâce à l’indice gay. Cet ensemble d’éléments lui permet

d’établir différents classements de villes – comme la plus créative, la plus bohème, la plus

tolérante, la plus hightech – et de proposer des stratégies pour leur faire gagner des places.

particulièrement attractifs pour d’autres types de talents comme les ingénieurs ou encore

les juristes qui, eux-mêmes, attirent et créent des entreprises innovantes. L’ouverture des

villes à la diversité serait également un facteur de croissance économique. Dans cette

perspective, l’auteur propose un triptyque du développement économique contemporain,

construit autour de trois variables : la tolérance, le talent et les technologies.

Dans la continuité des analyses de R. Florida, un courant important de la recherche

urbaine interprète l’évolution des dynamiques spatiales des bassins de main d’œuvre

créative en termes de modes et de styles de vie. Les créatifs seraient en quête

d’environnements culturellement riches où ils pourraient combiner différents temps

sociaux comme le travail et les loisirs. Leur impact sur l’espace urbain serait double

puisqu’ils assumeraient à la fois les rôles de principaux producteurs et consommateurs de

la ville (Kratke, 2004 ; Lloyd, 2002 ; Zukin, 1988). L’évolution des styles de vie et des

comportements des consommateurs est ainsi mobilisée pour expliquer l’émergence de

lieux sophistiqués, combinant activités culturelles et commerciales, qui sont à l’origine de

stratégies complexes, conjuguant différents types de publicités, de produits et de profits

(marketing, développement immobilier, loisir, etc.). Toutefois, les interprétations divergent

sur les formes urbaines qui en résultent. Certains auteurs évoquent des paysages dominés

par les centres commerciaux et les parcs de loisirs, alors que d’autres parlent plutôt

d’espaces de proximité caractérisés par une plus grande mixité socioculturelle, des formes

d’art et des modes de vie moins conventionnels (Roy-Valex, 2006). Quoi qu’il en soit, il

semblerait que nous soyons passés d’un marketing urbain fondé sur l’attractivité des villes

pour les entreprises, à des stratégies axées sur la qualité des espaces urbains et la

satisfaction d’une demande sociale de plus en plus globalisée. Ces nouveaux espaces

urbains (ou espaces de consommation urbaine) mêlent le réel et le virtuel avec des effets de

dépaysement consistant à être ici mais à se sentir ailleurs, et à être ici mais toujours

« branché » sur l’extérieur (Baudrillard, 2004 ; Ingallina et Park, 2005).

Pour R. Florida (2002a), la créativité culturelle et la diversité de la composition

socioculturelle d’une ville, mesurées au nombre d’artistes et à l’importance des

communautés immigrantes et homosexuelles, ont un double impact. Elles constituent,

d’une part, un élément d’attractivité et de rétention de la main d’œuvre qualifiée et créative

dont les villes ont besoin. Elles sont, d’autre part, un facteur de stimulation de l’innovation

économique. R. Florida en déduit l’existence d’un lien direct et automatique entre la

croissance économique des villes, leur diversité ethnique et la tolérance qu’elles ont à

l’égard des modes de vie non conventionnels et de certaines minorités politiques. Il prétend

institutionnalisées ou « alternatives » jouent un rôle capital dans les tentatives des villes

pour rester compétitives. Le titre de l’un de ses nombreux articles sur le sujet est assez

significatif des liens de corrélation parfois surprenants établis par l’auteur : « The rise of

the creative class ; why cities without gays and rock bands are losing the economic

development race » (Florida, 2002b). Les villes sont ainsi encouragées à offrir un cadre

dans lequel la différence, la non conformité et la créativité peuvent se développer.

M. Roy-Valex (2006 : 325) souligne que la véritable nouveauté de la théorie du

capital créatif de R. Florida réside surtout au niveau de l’engouement qu’elle suscite de la

part des décideurs publics. En effet, de plus en plus de villes font le choix de se vendre en

tant que « ville créative » auprès des investisseurs, des industriels et des travailleurs issus

de cette nouvelle « aristocratie mobile du savoir » (Shearmur, 2006). R. Florida reprend un

certain nombre d’idées déjà répandues en matière de planification économique urbaine et

régionale, notamment l’intérêt porté aux structures d’emplois et aux milieux de vie comme

facteurs de compétitivité. Il s’empare également d’un thème ancien faisant de la ville un

lieu privilégié de l’innovation, ainsi que de notions classiques de sociologie urbaine (la

civilité, la diversité et la tolérance comme caractéristiques de la vie dans les métropoles).

Enfin, une filiation conceptuelle existe avec d’autres notions antérieures telles que le

« symbolic analyst » de R. Reich (2001) et la « knowledge class » définie par D. Bell

(1973). La théorie de « la montée de la classe créative » soulève pourtant de vives

controverses au sein des milieux académiques, le caractère résolument mercantile de

l’entreprise scientifique aidant. Au-delà de l’irrecevabilité de certains aspects des travaux

de R. Florida – notamment la nature pour le moins discutable des indicateurs statistiques

qu’il utilise (l’indice gai, l’indice bohémien) –, les critiques portent sur l’idée, dans le

contexte actuel de restructuration des économies postfordistes, d’une convergence du

culturel et de l’économique à l’origine de nouvelles formes de compétition entre les

territoires (Roy-Valex, 2006). Chez R. Florida (2002a), la culture détermine la

compétitivité des villes de deux manières : directement, les artistes et les professionnels de

la culture étant inclus dans cette catégorie des travailleurs qualifiés et créatifs ciblée par

l’auteur, et indirectement, la vitalité de la vie culturelle permettant d’attirer et de retenir la

classe créative dans son ensemble. Dans l’optique de créer une société locale plus créative,

les politiques urbaines doivent, selon R. Florida, cibler les attentes, les goûts et les besoins

de cette nouvelle classe urbaine. Cette thèse est adoptée par de plus en plus d’acteurs

urbains qui orientent leurs actions vers la production d’ambiances urbaines « créatives »

comme levier de développement économique. Ils cherchent à cultiver le caractère

« branché » d’une ville – par exemple, les « cool cities » – avec une vie nocturne

dynamique, des manifestations culturelles, des scènes underground, des pistes cyclables et

Outline

Documents relatifs