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Un tel changement est-il possible chez un homme, ou plutôt chez un névrosé ? Le caractère peut-il se transformer ? Au cours des maladies névrotiques nous trouvons en règle générale une telle constance dans les manifestations de la névrose que nous sommes sous l'impression d'une cons-truction solidement bâtie. Une connaissance plus approfondie nous apprend cependant que même dans cette phase, le psychisme ne suit pas toujours la même course. Un patient peut être d'humeur agréable, ou déprimé, ou exubérant, il peut être découragé ou désespéré ou tout joyeux, plein d'esprit d'initiative ou bien démoralisé, bref tous ces traits peuvent se trouver dans cet ordre antithétique que Lombroso appelle bipolaire, que je nomme moi-même polaire ou hermaphrodite. Bleuler le nomme ambivalent, d'autres auteurs

« double vie », scission de la personnalité, etc. Dans la période qui précède le développement de la névrose, et qui parfois décrite comme saine est en général névrotique, de telles productions antithétiques peuvent également être observées. Sous la forme de l'hésitation et du doute, de l'anxiété, de la timi-dité, de la crainte de prendre une décision, de l'hésitation manifestée en face de toute action nouvelle, nous percevons des traits actifs et passifs, des poussées, dont certains s'approchent de la réalité, d'autres de l'idéal du moi. Le développement de la névrose apparaît comme un dispositif de protection mettant à jour les caractéristiques fondamentales de la personnalité.

« L'Ambivalence » est l'union des moyens pour atteindre le but.

Le conseiller Eysenhardt attendait le couronnement final de son ambition.

Nous savons cependant qu'un tel accomplissement ne peut jamais être totalement satisfait chez le névrosé, car le but directeur est imaginaire et placé trop haut pour pouvoir être réalisé. Nous savons que beaucoup de névrosés attendent des événements heureux en tremblant intérieurement et en hésitant, bien qu'ils soient en même temps tellement exaltés et transportés par leur conscience d'une personnalité intensifiée qu'ils deviennent « d'autres hom-mes ». L'auteur décrit Cette période avec humour et permet à Eysenhardt de se transformer en homme moderne, lui dont toute l'apparence extérieure paraît rehaussée. Une barbe moderne élégamment peignée remplace la barbe courte et hérissée. Là encore est mentionné un trait névrotique : le fait qu'il déplore plutôt la perte d'un de ses attributs corporels. Nous devinons qu'Eysenfiard dont la « masculinité » a été réduite, regrette la perte d'une partie de sa virilité.

On peut maintenant l'approcher et il est bien disposé envers les autres, car l'élévation automatique de la conscience du moi lui permet d'amoindrir sa

« distance ». Il donne son avis en toute liberté, il accorde ses encouragements, se montre plus libéral et rejette ce désir intense de toujours vouloir prouver la faute d'un autre. Cependant il joue toujours son ancien rôle, il est encore le personnage cassant. Steinheer sait qu'il ne s'agit que d'une phase plus propice.

Les accusés profitent de ce changement car ils ne sont plus les victimes expiatoires de son désir sadique. Sa physionomie même perd son expression de désir intense de domination. Son avarice, - moyen de sauvegarde - est adoucie, et même ses émotions qui, de notre point de vue, apparaissent com-me des élécom-ments primaires et inchangeables, changent au point que le plaisir qu'il éprouvait autrefois à exercer sa profession devient un terrible fardeau dont il aimerait se débarrasser. Omnia ex opinione suspensa sunt.

Sa vie et son comportement montrent les préparatifs névrotiques de protection pour sa nomination au poste de ministre et sa mémoire découvre ces restes de souvenirs favorables à ces préparatifs. Dans cet état d'âme réapparaît la vieille terreur du doute, la crainte de prendre des décisions, l'agoraphobie. Comme A. Berger le dit ailleurs, Eysenhardt, avec son senti-ment de virilité incomplète, a le pressentisenti-ment d'une nouvelle chute comme autrefois lorsqu'il était battu par son père.

Une de ses incisives inférieures se casse pendant qu'il mange. L'influence symbolique de cet événement est interprété par Eysenhardt comme un autre signe de frustration, la perte de quelque attribut corporel portant atteinte à sa puissance d'homme ; il est fortement ébranlé par une tendance superstitieuse, ou, si vous voulez, par son équivalent intellectuel. La fin approche ! Tout n'est que vanité ! La vérité le submerge presque en même temps que ce triomphe qu'il a si ardemment désiré, pour lequel il a lutté tout au long de sa vie, en vue duquel toute sa vie était construite ! L'ancienne incertitude le retient prison-nier. Que va-t-il advenir si ses facultés intellectuelles, ses armes principales, disparaissent ? Il revient donc à son ancienne méthode à laquelle il était habitué. Il veut une preuve de ses facultés, une certitude, un examen. Par le moyen de l'auto-critique à laquelle il s'astreint, il est en son pouvoir d'affaiblir ou d'accroître son prestige. Ce dont il a le plus peur n'est pas la réalité mais l'apparence de la réalité, c'est-à-dire la question de savoir s'il va être privé de son pouvoir terrestre. Dans cette condition de doute hypocondriaque la construction de sa peur le pousse à prendre toujours de plus grandes précau-tions. Une sensation d'oppression cardiaque, de légères crises d'anxiété ne sont que des avertissements imaginaires et des moyens intensifiés de protection.

Cependant le rôle magnifiquement construit de la personnalité suffisante a été ébranlé jusque dans ses fondations.

Le sentiment de déception suit, et son triomphe, se voir nommé au poste de ministre de la justice, s'évanouit, accablant un homme déjà malade, en proie à l'incertitude et privé de ses anciennes constructions protectrices.

Qu'arrivera-t-il dans ces circonstances alors que le chemin de la victoire a été coupé et que le sentiment lancinant de la virilité décroissante cherche un moyen de se faire jour ? Il a recours à des tentatives et des préparatifs pour montrer que la personnalité, antérieure, n'a pas véritablement abdiqué et que, au contraire, elle se trouve dès lors plus fermement établie. Les habitudes d'Eysenhardt l'amènent plus souvent aux environs de la Kaertnerstrasse (quartier des prostituées). Nous pouvons affirmer que cette sexualité déviée, comme dans tous les cas de névrose de la ménopause, ne correspond pas à une vague biologique de sa force sexuelle, mais à un essai de corriger la fortune ; en d'autres termes c'est une tromperie de soi-même basée sur la volonté de puissance accrue sous-jacente à la puissante ligne conductrice du névrosé. A.

Berger semble s'appuyer sur cette interprétation, lorsqu'il acquitte Eysenhardt de sa charge de sensualité perverse, car l'auteur a l'impression que ces fautes banales doivent être interprétées comme des actes de désespoir secret, c'est-à-dire de ce que nous appelons la protestation virile lorsque entrent en jeu l'humiliation, la réapparition du sentiment d'infériorité et l'effondrement de la personnalité.

Mais Eysenhardt a subi une transformation sur un autre plan ; et cette transformation nous montre à quel point le développement d'une personnalité dans le courant du monde, dépend de l'opinion que cette personne a d'elle-même. En d'autres termes, cette opinion peut changer, étant interchangeable, en tant que schéma, étant donné que le tableau caractériel ne représente jamais un but en lui-même, mais une attitude psychique pour atteindre l'idéal de la personnalité, soit d'une manière aussi directe que possible, soit d'une manière détournée, en cas d'apparition d'obstacles insurmontables.

Eysenhardt devient plus homme et plus humain pour montrer que s'il le veut, il peut très bien le devenir. « Son moi, hermétiquement clos à tout contact avec d'autres personnes se meut avec plus d'aisance. » Sa « con-science » se réveille. Nous pouvons penser à juste titre que cet éveil est un artifice du psychisme pour raffermir le sentiment de son moi lorsque celui-ci semble menacé. Cet éveil et la conscience des fautes qu'il a commises amènent le sujet plus près de Dieu. Cette prise de conscience présuppose l'existence d'un rival vis-à-vis duquel la supériorité du héros peut s'exercer.

Mais qui est l'opposant d'Eysenhardt ? Qui donc Eysenhardt cherche-t-il à mettre en faute, lui dont tout le style de vie recherchait la persécution des autres pour leurs délits ? Qui donc est actuellement l'accusé de cet acteur qui possède un contrôle parfait de ses expressions et de ses attitudes ? Ils ont maintenant si bien pris de l'ascendant sur lui qu'il est obligé de suivre sa ligne conductrice à la lettre, de renforcer la fiction de sa ressemblance à Dieu et de s'y maintenir à tout prix. Son rival à présent est l'État, le régime qui se trouve au pouvoir, la puissance patriarcale et paternelle qui punit et récompense.

L'humiliation d'Eysenhardt était une faute, car, en réalité, l'État n'a jamais eu de meilleur serviteur. Ce serviteur avait cependant l'ambition persistante de

devenir le maître de la puissance d'État. Lorsque son rêve et son aspiration se trouvèrent déçus, il mit en oeuvre les mécanismes qui, dans son esprit, étaient les plus dangereux pour l'État. La transformation de son attitude en douceur et en bonté, constituaient l'attaque la plus violente, et la révolte la plus puissante qu'il pouvait effectuer contre l'État. « La douceur c'est l'anarchie » avait-il toujours prêché, or il se met à devenir doux.

Nous assistons ici à un changement dans sa fiction directrice.

Au début, Eysenhardt voulait agir comme il l'avait fait à l'égard de son père lors de ses premiers contacts avec la vie, et gouverner en se soumettant aux autres. Lorsque cette ligne directrice se trouva arrêtée, alors même qu'il allait atteindre son but, il forgea des moyens de protection et de sauvegarde encore plus forts, et trouva la révolte sous la forme de sa clémence judiciaire.

La mystérieuse expérience du