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33. Buts et sources de' la réglementation. - Les transferts d'entre-prises se sont multipliés, durant les dernières décennies. tant sur le plan suisse que dans la Communauté européenne. Ainsi, tantôt des entre-prises fusionnent pour constituer des entités économiquement plus solides; tantôt des entreprises renoncent à certains secteurs d'exploita-tion (s'agissant notamment de services), afin de les confier en sous-traitance à une autre entreprise, pour limiter les frais58 .

En cas de transfert, les salariés se trouvent dans une situation presque aussi précaire que celle résultant de licenciements collectifs.

57 Cf. la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 751!29/CEE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs. du 13 novembre 1991, COM (91) 292, final, p. 8; LYON-CA&I et LYON-CA&I, p. 305.

58 Cf. par exemple JAR 1990,388.

Licenciements collectifs et transferts d'entreprises 109 Ils craignent d'être "vendus· à un repreneur qui, pour réorganiser l'entreprise, risque de les congédier ou de modifier les· conditions de travail. Dans certains cas, l'opération de transfert a pour seul but de soustraire un groupe de salariés à l'empire d'une convention collective existante.

En Suisse, jusqu'à la révision législative de 1993, l'article 333 du code des obligations avait surtout pour objet de faciliter les transferts d'entreprises, du point de vue de l'employeur. Ainsi, le cédant, en vue du transfert, avait le droit de licencier librement tout ou partie des sa-lariés de l'entreprise. En l'absence de résiliation de la part du cédant, le salarié ne pouvait pas refuser purement et simplement le changement d'employeur; au contraire, il était tenu de travailler au service de l'ac-quéreur au moins jusqu'à l'échéance du délai de congé légal; à l'expi-ration de cc délai, il lui était cependant loisible de quitter l'acquéreur même si le contrat avait été conclu pour une durée plus longue que le délai minimum légal. Enfin, de son côté, l'acquéreur n'était tenu de respecter le contrat de travail entre le salarié et le cédant que jusqu'à son échéance normale; cela fait, il pouvait librement résilier le contrat, pour quelque motif que ce soit59. Au surplus, lorsque le cédant était lié par une convention collective de travail, cette dernière ne liait nul-lementl'acquéreur, qui pouvait se dégager de son champ d'application dès l'échéance normale des contrats de travail; demeuraient naturelle-ment réservés les cas dans lesquels le cédant se trouvait déjà lié par la même convention collective de travail ou déclarait y adhérer.

La directive communautaire de 1977 s'inspire d'une philosophie différente: en VUe d'atténuer les conséquences sociales négatives des transferts d'entreprise, elle se propose en particulier trois objectifs:

premièrement, éviter que l'employeur ne tire prétexte d'un transfert d'entreprise pour faire "table rase" en licenciant brusquement tout ou partie des salariés; deuxièmement, empêcher que le transfert d'entre-prise ait pour but ou pour effet de soustraire les travailleurs à la pro-tection d'une convention collective de travail; troisièmement, faciliter la défense collective des intérêts des travailleurs en aménageant des procédures de consultation60

Abandonnant la philosophie sous-jacente à l'ancien article 333 CO, le législateur suisse a modifié ce dernier, en 1993, pour faire siens les objectifs posés par le droit communautaire.

34. La définition du transfert d'entreprise. - Le code des obliga-tions ne définit pas les transferts d'entreprise ou de partie d'entreprise (art. 333 al. 1 CO). Comme le nouveau texte a pour but de mettre en 59 ATF 1l41J 352, avec références.

60 Cf. BUNPAlN et JAVIWER, p. 171.

110 Gabriel AUBERT oeuvre le droit européen, les tribunaux se fonderont sans doute sur la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés, qui retient une définition fort largél. Selon cette dernière:

"II incombe au juge national d'apprécier si l'ensemble des

circonstances de fait C ... ) caractérisent un 'transfert d'entreprise', au sens de la directive. C ... ) il doit tenir compte des considérations suivantes:

D'une part, le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert au sens de la directive est de savoir si l'entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l'exploitation ou de sa reprise.

D'autre part, pour déterminer si ces conditions sont réunies, il y a lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait caractérisant l'opération en cause, au nombre desquelles figu-rent notamment le type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit, le transfert ou non des éléments corporels, tels que les bâ-timents ou les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l'essentiel des effec-tifs par le nouveau chef d'entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d'une éventuelle suspension de ces activités. Il convient, toutefoi~, de préciser que tous ces éléments ne sont que des aspects partiels de l'évaluation d'en-semble qui s'impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés iso-lément"~.

La Cour a d'ailleurs précisé que cette définition s'applique

"dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de rela-tions contractuelles, de 'a personne physique ou morale respon-sable de l'exploitation de l'entreprise et qui, de ce fait, contracte les obligations d'employeur vis-à-vis des employés de l'entreprise, sans qu'il importe de savoir si la propriété de l'entreprise est trans-férée"6J.

Peu importe à cet égard qu'il y ait un lien de droit entre le cédant et le cessionnaireM Ainsi, lorsque le propriétaire d'un restaurant conclut un bail à ferme avec un employeur, en vue de l'exploitation du restaurant, puis résilie ce contrat et conclut, dans le même but, un nouveau bail avec un autre employeur, qui succède ainsi au premier, il 61 Cf. CATAlA, N. et BaNNEr, R., Droit social européen, Paris 1991,

p. 127.

62 Cf. Rec. 1992, p. 5779, points 18-20 (Anne Watson Rask).

63 Ibid, Rec. J 992, p. 5778, point 15.

64 Cf. LYON-CAEN et LYON-CAEN, p. 307.

Licenciements collectifs et transferts d'entreprises III

y a transfert d'entreprise entre les deux employeurs, même si ces der-niers n'ont eu entre eux aucun lien contractud65.

35. Le maintien des relations de travaU. - a) Selon le nouveau droit suisse, en cas de transfert d'entreprise, les rapports de travail pas-sent à l'acquéreur avec tous les droits et obligations qui en découlent au jour du transfert, sauf si l'employeur s'y oppose (art. 333 al. 1 CO).

Cette règle est celle prévue par la directive de 1977 (art. 3 § 1). Ainsi, la reprise des rapports de travail par l'acquéreur est automatique; peu importe que ce dernier s'y soit ou non engagé.

b) Le droit communautaire prévoit expressément que le transfert ne saurait, en lui-même, justifier la résiliation du contrat de travail, même si, comme le précise la directive, l'interdiction de licencier pour le seul motif du transfert ne fait pas obstacle à des licenciements inter-venant pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi (art. 4 § 1 de la directive de 1977)66. La possibilité de procéder à des licenciements fondés sur des raisons économiques demeure ainsi sauvegardée;

néanmoins, le transfert de l'entreprise, en soi seul, ne constitue pas une raison économique au sens du droit communautaire.

La Cour de justice des Communautés européennes a considéré comme nul tout licenciement opéré en violation de l'interdiction de résilier un contrat de travail pour le seul motif que l'entreprise est ou a été transférée, c'est-à-dire lorsque l'employeur ne peut faire valoir une autre justification tirée de raisons économiques, techniques ou d'or-ganisation67

Le nouveau droit suisse n'interdit pas expressément à l'employeur de résilier le contrat de travail pour le seul motif du transfert. Une telle règle peut toutefois être dégagée de l'art. 333 al. 1 CO, par voie d'in-terprétation, compte tenu du but de la norme; il en va de même de la sanction. Cest en tout cas à ce prix que le nouveau droit peut être appliqué de façon conforme aux exigences du droit communautaire.

36. Le maintien des conditions de travail. - a) Selon le nouveau droit suisse, le maintien des rapports de travail (art. 333 al. 1 CO) implique que, en principe, les conditions de travail demeurent inchan-gées.

Le droit communautaire, quant à lui, prévoit expressément que les rapports de travail sont en principe maintenus tels quels (art. 3 al. 1 de la directive de 1977). Le transfert, en lui-même, ne saurait donc avoir pour conséquence une modification unilatérale des conditions de

tra-65 Cf. Rec. 1992, p. 5780, point 21 (Anne Watson Rask).

66 Cf. BlANPAIN et J A VIWER, p. 182.

67 Rec. 1991, p. 4143, point 12 (Giuseppe d'Urso).

112 Gabriel AUBERT vail par l'acquéreur. Cela ne signifie pas que ces conditions de travail doivent rester immuables68 . Comme l'a précisé la Cour de justice des Communautés européenne,

"la directive ne vise qu'à une harmonisation partielle de la matière en question, en étendant, pour l'essentiel, la protection garantie aux travaiIIeurs de façon autonome par le droit des différents États membres également à l'hypothèse d'un transfert de l'entre-prise. Elle ne tend pas à instaurer un niveau de protection uni-forme pour l'ensemble de la Communauté en fonction de critères communs. Le bénéfice de la directive ne peut donc être invoqué que pour assurer que le travailleur intéressé est protégé dans ses relations avec le cessionnaire de la même manière qu'il l'était dans ses relations avec le cédant, en vertu des règles du droit de l'État membre concemé.

Par conséquent, dans la mesure où le droit national permet, en dehors de l'hypothèse d'un transfert d'entreprise, de modifier la relation de travail dans un sens défavorable aux travaiIIeurs, no-tamment en ce qui concerne les conditions de rémunération, une telle modification n'est pas exclue en raison du seul fait que l'en-treprise a, entre-temps, fait l'objet d'un transfert et que, par consé-quent, l'accord a été convenu avec le nouveau chef d'entreprise.

En effet, le cessionnaire étant subrogé au cédant en vertu de l'ar-ticle 3, paragraphe 1, de la directive, en ce qui concerne les droits et obligations découlant de la relation de travail, celIe-ci peut être modifiée à l'égard du cessionnaire dans les mêmes limites qu'elle aurait pu l'être à l'égard du cédant, étant entendu que, dans au-cune hypothèse le transfert d'entreprise ne saurait constituer en lui-même le motif de cette modification"69

En conséquence, l'ac'luéreur peut négocier la modification du contrat dans la même mesure que le cédant aurait été autorisé à le faire selon le droit national7o: or, du point de vue du droit suisse, rien ne s'opposerait à ce que, après le transfert, l'acquéreur propose aux salariés des modifications des contrats de travail et, en cas de refus de la part des salariés, résilie ces contrats (Aenderungskündigung).

b) Comme on l'a vu, en droit suisse comme en droit communau-taire, l'employeur ne saurait licencier un salarié pour le seul motif du transfert. En conséquence, lorsqu'il entend, à raison de motifs éco-nomiques justifiés, modifier les conditions de travail, l'employeur est, à notre avis, tenu de proposer une telle modification au salarié avant, le 68 Cf. CATAlA et 1lONNEf, p. 131.

69 Rec. 1991, p. 4146, point 28 (Giuseppe d'Urso).

70 Cf. CATAlA et BONNEr, p. 131.

Licenciements collectifs et transferts d'entreprises 113 cas échéant, de licencier ce dernier. En effet, supposé que l'employeur congédie un salarié qui eût accepté la modification de ses conditions de travail (si on les lui avait proposées), le motif du licenciement ne serait pas la raison économique dictant la modification des conditions de travail (puisque cette modification ne se heurterait pas au refus du salarié), mais, en réalité, le transfert lui-même.

37. Le maintien de la eonvention eoUedive de tranll. - Selon l'art. 333 al. 1 bis CO, lorsque les rapports de travail transférés sont régis par une convention collective, l'acquéreur est tenu de la respecter pendant une année au moins, pour autant qu'elle ne prenne pas fin du fait de l'expiration de la durée convenue ou de sa dénonciation.

A cet égard, le droit suisse se révèle plus strict que le droit euro-péen. Ce dernier, en effet, permet de libérer l'acquéreur de l'obligation de respecter la convention collective ayant lié le cédant, lorsqu'une autre convention collective s'applique aux travailleurs transférés (art. 3

§ 2 de la directive de 1977). En d'autres termes, selon le droit com-munautaire, lorsqu'il est lui-même lié par une convention collective qui s'applique aux salariés transférés, l'acquéreur n'a pas nécessaire-ment l'obligation de respecter la convention collective applicable au cédant.

Si le législateur a choisi cette solution favorable aux salariés, sur la proposition du Conseil fédéral, c'est pour montrer qu'il n'entendait pas, à l'occasion de la transposition du droit communautaire, se contenter systématiquement de l'option la plus intéressante pour les employeurs71.

38. La consultation des représentants des travailleurs. - Selon le nouvel art. 333a CO, en cas de transfert, le cédant est tenu d'informer les représentants des travailleurs sur les motifs de ce transfert et sur ses conséquences juridiques, économiques et sociales. L'information doit être fournie non pas avant la décision de l'employeur d'effectuer le transfert (décision prise en général lors de la conclusion du contrat entre le cédant et le cessionnaire), mais seulement avant la réalisation elle-même du transfert.

Lorsqu'il envisage des mesures qui peuvent affecter les travail-leurs transférés, le cédant ou le cessionnaire est tenu d'engager une procédure de consultation en temps utile, soit avant que les mesures soient décidées (art. 333a, al. 2 CO).

Alors que le droit européen prévoit expressément que la consul-tation a pour but d'aboutir à un accord entre l'employeur et les travail-leurs cédés (art. 6 § 2 de la directive de 1977), le droit suisse reste muet à cet égard. Comme dans le cas des licenciements collectifs, 71 Cf. BOCN 1992, p. 1579.

114 Gabriel AUBERT l'obligation de consulter les représentants des travailleurs va moins loin que l'obligation de négocier un accord, de sorte que le droit suisse demeure en retrait par rapport au droit communautaire n

Enfin, selon l'art. 336 al. 2 lit. b CO, les salariés membres d'un organe de représentation du personnel jouissent d'une protection par-ticulière contre le licenciement: l'employeur ne peut leur donner congé que pour un motif justifié, qu'il lui incombe de prouver.

Lorsque, ensuite d'un transfert, il perd son siège au sein de l'organe de représentation du personnel auprès du cédant, le salarié se trouve lo-giquement privé de sa protection contre le licenciement. Afin d'éviter une telle conséquence, qui est particulièrement sensible si le salarié est intervenu, en sa qualité de représentant du personnel, dans l'opération de transfert, la loi prolonge sa protection, qui se trouve maintenue au-près du cessionnaire pour la durée du mandat qu'il aurait exercé auprès du cédant (art. 336 al. 3 CO).

39. Les sanctions. - Les nouvelles dispositions sur les transferts d'entreprises ne prévoient aucune sanction particulière en cas de vio-lation par l'employeur.

Quant à l'obligation de l'employeur de maintenir les relations et les conditions de travail, les sanctions classiques paraissent suffire: le salarié lésé peut se prévaloir de la nullité de la résiliation ou agir en réparation du préjudice subi du fait de la h1odification des rapports de travail; il peut aussi, le cas échéant, résilier le contrat de travail avec ef-fet immédiat.

S'agissant de la procédure de consultation, l'absence de sanction appropriée résulte d'une lacune évidente, que le législateur semble avoir voulue. Il s'est en effet abstenu de sanctionner spécialement d'éventuelles violations commises par l'employeur dans ce domaine, alors qu'il a expressément tléclaré abusif tout licenciement collectif opéré en violation des procédures nouvelles. Cette manière de faire est incompatible avec le droit européen 73

IV. CONCLUSION

La révision des dispositions du code des obligations dans le do-maine des licenciements collectifs et des transferts d'entreprises ré-pond essentiellement à un objectif de politique extérieure, c'est-à-dire le rapprochement du droit suisse et du droit européen, en vue de faciliter la conclusion de traités bilatéraux pour aménager les rapports 72 Cf. Rec. 1994, p. 2473 et 2474, points 48-49 (Royaume-Uni).

73 Cf. Rec. 1994, p. 2475, point 55 (Royaume-Uni).

Licenciements collectifs et transferts d'entreprises 115 eotre la Suisse et l'Union européenne après l'échec du 6 décembre 1992.

Certes, les efforts déployés par le Conseil fédéral et les Chambres sont importants: la révision du titre dixième du code des obligations et l'adoption d'une loi fédérale sur la participation représentent une étape majeure dans le développement de notre droit du travail.

Il faut toutefois observer que la réforme demeure incomplète. En effet, sur certains points, les nouveaux textes sont en retrait par rapport à l'acquis communautaire tel qu'il existait au moment de la signature du traité portant création de l'Espace Économique Européen. De plus, cet acquis communautaire a lui-même évolué, de sorte qu'une nou-velle mise-à-jour du droit suisse se révélera probablement nécessaire dans un proche avenir.

Enfin, le législateur n'a pas suffisamment coordonné les nouvelles dispositions du code des obligations avec celles figurant dans la ré-cente loi fédérale sur le service de l'emploi, qui s'applique elle aussi aux licenciements collectifs. Il en résulte une déplorable complexité des dispositifs légaux.

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