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Comme les cellules utilisées, les gènes transférés sont nombreux et divers. Ainsi, les gènes transférés peuvent être d’origine cellulaire ou d’origine virale.

1-2-1) Transfert de gènes cellulaires et viraux

En 1999, de la Taille et coll. sont les premiers à révéler que les cellules tumorales issues d’un adénocarcinome de prostate ont la capacité, comme les bactéries, de transférer un gène de résistance à une drogue afin de s’adapter à un environnement sélectif [de la Taille 1999]. Concrètement, après induction de l’apoptose, des cellules LNCaP possédant un gène de résistance à l’hygromycine transfèrent ce gène à des cellules LNCaP ne le possédant pas mais possédant un gène de résistance à la néomycine. Grâce au transfert de ce gène, les cellules receveuses sont en mesure de proliférer en milieu doublement sélectif contenant les deux antibiotiques. Le gène transféré à une fréquence de 1 pour 105 colonies est encore exprimé plus de 10 passages après sélection. Par ailleurs, les cellules receveuses expriment le gène transféré à un taux plus faible que les cellules donneuses. Les auteurs suggèrent que, in vivo, le traitement d’un cancer par un inducteur d’apoptose, qui supprimerait préférentiellement un variant génétique dans une tumeur hétérogène, pourrait provoquer le développement d’un sous-type de cellules cancéreuses plus agressives, en accumulant des mutations génétiques.

A l’aide de plusieurs lignées infectées par le virus d’Epstein Barr (EBV), Holmgren et coll. ont expérimenté le transfert horizontal de gènes viraux [Holmgren 1999]. L’emploi des lignées BL41/95, EHR-A-BL41, IB-4 et Namalwa abritant des génomes d’EBV sous une

forme intégrée à l’ADN génomique, et des lignées Jijoye M13, P3H3, Rael et CBMI Ral Sto abritant des génomes d’EBV sous une forme épisomale, a révélé que les gènes viraux sont transférés et exprimés dans 1 à 5 % des cellules receveuses lorsqu’ils sont sous forme intégrée et sont non exprimés quand ils sont sous forme épisomale (figure 3). Il est concevable, mais cela reste une hypothèse, que les formes épisomales soient plus sensibles à la dégradation par les nucléases que les formes intégrées.

Plusieurs gènes d’EBV, tels que EBNA1 (Epstein Barr Nuclear Antigen 1), EBER1 et 2 (EBV-encoded RNA), sont décelés dès une semaine de coculture et sont toujours présents dans le noyau de la cellule receveuse après 3 semaines de culture, de même que les fragments génomiques transférés. Les séquences d’EBV, qui correspondent à 2 copies sur le chromosome 1 de la cellule donneuse, sont transmises à la même fréquence que les séquences d’ADN génomique représentant l’ensemble du génome cellulaire (respectivement 15% et 17%). Ces données indiquent que certains fragments, en particulier les fragments d’ADN viraux, sont préférentiellement transférés (figure 3). En outre, non seulement l’ADN viral est plus efficacement transféré, mais sa présence dans la cellule donneuse faciliterait le transfert

Figure 3 : Régulation du THG. Le THG est dépendant de la capacité des cellules à internaliser les corps apoptotiques, de la nature du gène transféré (viral ou cellulaire) et, dans le cas du transfert d’ADN viral, de son intégration à l’ADN génomique. De plus, l’expression du gène transféré est dépendante du gène lui-même et de la cellule receveuse.

de l’ADN génomique. Ainsi, des cellules non infectées par EBV transfèrent de l’ADN génomique à 3% des cellules receveuses tandis que celles infectées par EBV en transfèrent 17%.

Le transfert horizontal de gènes d’EBV pourrait expliquer la présence de l’ADN d’EBV et son expression dans des cellules ne possédant pas le récepteur au complément CR2 nécessaire à l’infection par EBV. Dans la même année, Spetz et coll. ont montré que les gènes d’un autre virus, le virus de l’immunodéficience humaine 1 (VIH-1), pouvaient être transférés

horizontalement d’une cellule infectée (HuT78SF2 et cellules mononuclées du sang

périphérique issues de patients infectés) à des cellules endothéliales, des fibroblastes ou des cellules dendritiques [Spetz 1999]. Ainsi, les auteurs ont démontré que des fibroblastes ne disposant pas des récepteurs nécessaires à l’infection par le VIH abritaient, après 2 semaines de coculture, des séquences codant la protéine gag du VIH-1. Ces résultats prouvent que le THG peut aussi expliquer la présence du VIH-1 dans des cellules ne possédant pas de récepteurs nécessaires à son entrée et ainsi prendre part à la persistance du virus chez les individus infectés. En 2007, Bisset et coll. ont prouvé par ce mécanisme que le virus porcin

PERV (Porcine Endogenous RetroVirus) peut être transmis à des fibroblastes humains [Bisset

2007]. Cependant, le taux de transfert dans les fibroblastes humains une semaine après la coculture est plus faible pour PERV (0,22%) que pour le VIH-1 (4%).

1-2-2) Régulation du transfert

Le mécanisme d’internalisation conduisant au THG n’a jamais été clairement caractérisé. Dans les travaux d’Holmgren, les corps apoptotiques sont « phagocytés » dès 1 heure de coculture par les fibroblastes fœtaux humains. Bien que la littérature décrive la phagocytose des corps apoptotiques (cf. partie 2-2), aucune étude ne caractérise vraiment le mécanisme d’internalisation impliqué dans le THG.

Ce mécanisme est cependant très important car, d’après les études d’Holmgren et de Spetz, la capacité « phagocytaire » ou la capacité d’internalisation de la cellule receveuse détermine le taux de THG (figure 3). Ainsi, le pourcentage de transfert d’EBNA1 est de 51% dans les monocytes humains, 20% dans les cellules endothéliales aortiques bovines, 4% dans les fibroblastes fœtaux humains et inférieur à 0,01% dans les cellules musculaires lisses humaines, sachant que de manière générale, les monocytes et les cellules endothéliales ont un pouvoir phagocytaire plus important que les fibroblastes [Holmgren 1999]. De plus, dans les travaux sur le transfert des gènes du VIH-1, les fibroblastes fœtaux de poumon humains ont

une capacité phagocytaire équivalente aux cellules dendritiques (respectivement 19 et 18 % de transfert) et supérieure aux cellules endothéliales humaines (1,3 %).

Le transfert de gènes n’est pas spécifique d’espèce car dans le modèle de Holmgren et coll., des cellules donneuses humaines peuvent transférer de l’ADN à des cellules receveuses bovines et dans le modèle de Bisset et coll. des cellules donneuses porcines peuvent transférer de l’ADN viral porcin à des cellules receveuses humaines [Holmgren 1999, Bisset 2007].

1-2-3) Expression des gènes transférés

Pour être exprimés, les gènes transférés doivent être intégrés au génome de la cellule hôte (partie 1-2-1). Plusieurs études démontrent cette intégration. Tout d’abord, lors du transfert de séquences d’EBV, les gènes transférés, tels que ceux codant EBNA, sont localisés au niveau du noyau de la cellule receveuse [Holmgren 1999]. Dans ce modèle et dans le modèle de Bergsmedh et coll., des expériences d’hybridation in situ ont démontré que l’ADN transféré, qui peut correspondre à des fragments de chromosome, fusionne avec les chromosomes de la cellule receveuse, démontrant son intégration [Holmgren 1999, Bergsmedh 2001, Bergsmedh 2002]. De plus, dans des résultats non publiés de l’équipe d’Holmgren, le transfert d’ADN dans le noyau de la cellule receveuse induit l’activation de Mre11, une protéine liant l’ADN double brin fragmenté, et de γ-H2AX (Histone 2AX activé), une cible de ATM (Ataxia-Telangectasia Mutated) impliquée dans la voie de réparation de l’ADN (cf. 3-2- 3 et figure 4) [Holmgren 2010].

Dans ces mêmes travaux, le transfert de l’ADN du cytoplasme au noyau de la cellule hôte a été suivi par microscopie (Holmgren 2010). Le corps apoptotique présent dans le cytoplasme de la cellule receveuse est dirigé vers le noyau, le déformant. L’ADN pénètre ensuite dans le noyau par un mécanisme non déterminé, qui morphologiquement s’approche d’une « phagocytose nucléaire » et que l’auteur a nommé pirinosis, un acronyme des mots grecs Pirinas signifiant noyau et Enosis signifiant union. Cette fusion nucléaire expliquerait la présence de grands fragments d’ADN et/ou de chromosomes entiers.

Bien que le transfert ne soit pas assujetti à la barrière de type cellulaire et d’espèces et que les gènes transférés soient intégrés à l’ADN génomique de la cellule receveuse, l’expression de ces gènes n’est pas systématique. Elle est dépendante du gène transféré et du type de la cellule receveuse. Par exemple, dans le transfert des gènes de l’EBV, les gènes codants EBNA1, EBER1 et EBER2 transférés par des cellules lymphoïdes apoptotiques infectées par EBV sont exprimés par les fibroblastes humains receveurs alors que celui codant

EBNA2 est exprimé uniquement dans les lignées B lymphoblastoïdes [Holmgren 1999]. De même, lors du transfert de l’ADN du VIH, la protéine gag n’est pas retrouvée dans les cellules endothéliales receveuses alors qu’elle est présente dans 18 % des cellules dendritiques deux semaines après coculture [Spetz 1999]. De plus, bien que les gènes de PERV soient transférés par les cellules porcines apoptotiques, ils ne sont pas exprimés dans les fibroblastes humains receveurs [Bisset 2007].

Au sein d’un même modèle cellulaire de transfert, toutes les protéines ne sont pas synthétisées au même taux. Par exemple, après la coculture de cellules apoptotiques infectées par le VIH-1 avec des fibroblastes, la protéine p24 est détectée dans 0,3 % des fibroblastes tandis que la protéine gp 120 est présente dans 1,7 % des cas [Spetz 1999]. Enfin, il existe une variabilité du taux de transfert suivant l’individu donneur car des cellules mononuclées de sang périphérique infectées par le VIH-1 induisent une expression de la protéine gag dans les cellules receveuses variant de 6 à 51 % suivant le patient.

De surcroît, le transfert et l’expression des gènes transférés sont transitoires. Ainsi, l’ADN d’EBV transféré disparaît après 2 mois de culture, celui de PERV après 22 jours et le gène de résistance à l’hygromycine, utilisé comme gène de sélection dans le modèle cellulaire de THG de Bergsmedh et coll., après 3 à 4 semaines [Holmgren 1999, Bisset 2007, Bergsmedh 2001].

Figure 4 : Devenir de l’ADN transféré. L’ADN de la cellule donneuse est fragmenté durant l’apoptose dans les corps apoptotiques. La cellule receveuse internalise le corps apoptotique puis le dirige au noyau. Le noyau internalise l’ADN apoptotique par pirinosis permettant à de grands fragments d’ADN de fusionner avec le génome de la cellule receveuse.

Les gènes transférés ne semblent stables qu’en présence d’une pression de sélection. Dans le cas du transfert du gène de résistance à l’hygromycine, la culture en milieu sélectif contenant cet antibiotique provoque la conservation du gène transféré ainsi que son expression.

1-2-4) Réplication des gènes transférés

Holmgren et coll. ont démontré que les gènes transférés peuvent être conservés mais ne sont pas systématiquement répliqués [Holmgren 1999]. Ceci est conforté par les travaux des équipes de Bergsmedh et de Yan qui révèlent clairement que la réplication de gènes transférés est contrôlée (figure 5) [Bergsmedh 2006, Yan 2006]. Les gènes transférés possèdent des extrémités clivées, d’une part, par les Caspase Activated DNases (CAD) activées lors de l’apoptose de la cellule donneuse et, d’autre part, par les DNases lysosomales de la cellule receveuse après internalisation des corps apoptotiques. Ces auteurs se sont attachés au rôle de ces enzymes dans la réplication de l’ADN et dans le déclenchement de la voie de réparation de l’ADN passant par la protéine p53.

La coculture de corps apoptotiques de fibroblastes de rat, abritant le gène de résistance à l’hygromycine, avec des fibroblastes murins sauvages déclenche une accumulation de p53 dans les fibroblastes receveurs qui double en 4 heures et est multipliée par 10 après 8 heures [Bergsmedh 2006]. Cette accumulation de p53 est caractéristique du déclenchement de la voie des dommages de l’ADN, induisant un arrêt du cycle cellulaire chez la cellule receveuse. Dans ce modèle, l’implication des CAD a été vérifiée grâce à la mutation d’un inhibiteur des CAD (ICAD), empêchant son clivage par la caspase 3 et donc la libération des CAD. L’inhibition de l’activité des CAD dans la cellule donneuse induit une accumulation de p53 plus tardive (après 12 heures), plus faible (diminuée 6 fois) mais toujours présente dans la cellule receveuse et ne permet pas la formation de colonies résistantes à l’hygromycine. Ces résultats suggèrent que la CAD est impliquée dans le déclenchement de ce mécanisme mais qu’elle n’est pas la seule DNase impliquée. Par ailleurs, l’inhibition des CAD diminue le taux de THG dans les cellules receveuses sauvages [Yan 2006]. De plus, lors de l’utilisation de cellules receveuses déficientes en p53 (p53-/-), l’inhibition de la CAD diminue la propagation du gène de l’hygromycine dans les cellules receveuses, indiquant qu’indépendamment de leurs effets sur l’accumulation de p53, les CAD favorisent le THG. Le fait que les CAD facilitent l’entrée et l’intégration de l’ADN transféré en le fragmentant est une hypothèse intéressante qu’il reste à démontrer.

L’utilisation de la baficulomycine A1, un inhibiteur des pompes H+

/ATPases qui bloque l’acidification des lysosomes et donc le fonctionnement de la DNase II lysosomale, dans la cellule receveuse induit aussi une accumulation de p53 plus tardive (12 heures) mais plus forte (24 fois plus élevée). L’utilisation combinée de la baficulomycine et de cellule apoptotiques CAD-/- retarde davantage l’accumulation de p53 (24 heures), la diminue d’un facteur 6 mais n’empêche pas l’activation de la voie p53. L’invalidation de la DNase II (DNase II-/-) dans les fibroblastes receveurs donne une meilleure réponse que l’utilisation de la drogue car le temps nécessaire à l’induction de p53 augmente à 24 heures et le taux est 4 fois plus faible. De plus, l’utilisation combinée de fibroblastes DNase II-/- avec des cellules apoptotiques aux CAD inhibées bloque l’accumulation de p53. Enfin, la transfection de la DNase II dans les fibroblastes DNase II-/- rétablit l’accumulation de p53. La DNase II de la cellule receveuse est donc bien impliquée dans le déclenchement de la voie de dommages à l’ADN via l’accumulation de p53.

Outre l’effet sur l’accumulation de p53, l’invalidation de la DNase II dans la cellule receveuse facilite la réplication de l’ADN transféré et ainsi la formation de colonies sur milieu sélectif contenant de l’hygromycine. Le rétablissement de la DNase II par transfection dans Figure 5 : Régulation de la réplication du gène transféré. Les DNases, les CAD activées lors de l’apoptose de la cellule donneuse et la DNase II présente dans les lysosomes de la cellule receveuse, fragmentent l’ADN transféré. Les extrémités coupées de cet ADN déclenchent la voie de réparation de l’ADN passant par Chk2 et p53.

les cellules invalidées inhibe la formation de colonies et induit une accumulation de p53. La méthode d’obtention des corps apoptotiques, l’irradiation gamma ou la privation de sérum, a une légère influence sur l’effet de l’invalidation de la DNase II. Une des explications possibles se rapporte à la qualité des fragments d’ADN générés, à savoir, la coupure de l’ADN double brin. Lors de la privation de sérum, les CAD forment des extrémités franches avec rupture des 2 brins comportant une extrémité 5’-phosphate et une extrémité 3’-hydroxyl qui facilite le transfert et l’intégration contrairement à la DNase II qui génère des extrémités 5’-hydroxyl et 3’-phosphate. La deuxième hypothèse est que les CAD induisant une accumulation plus tardive de p53, la probabilité de transfert est plus grande.

Chk2 (human Checkpoint kinase) est une protéine de la voie de régulation des dommages à l’ADN. Elle phosphoryle la protéine p53 sur la sérine 23 en réponse à une cassure de l’ADN double brin. Cette phosphorylation de p53 empêche sa liaison à MDM2 (Murine Double Minute) et prévient son ubiquitination et donc sa dégradation [Hirao 2000]. En conséquence, les auteurs ont recherché l’effet de l’inactivation de Chk2 sur l’internalisation des corps apoptotiques [Bergsmedh 2006]. L’invalidation de Chk2 dans les cellules receveuses permet d’une part de ne pas déclencher une accumulation de p53 qui est pourtant fonctionnelle et d’autre part la formation de colonies donc la propagation des gènes transférés (taux de transfert de 1/1.105). Il est donc évident que Chk2 joue un rôle dans la propagation des gènes transférés via l’activation de p53.