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Les différentes trajectoires des déchets vers la seconde vie Matières à

4. Apprentissages réciproques sur la structuration de lieux de

4.2. Les différentes trajectoires des déchets vers la seconde vie Matières à

Les structures cherchant à créer une seconde vie au déchet n’ont pas les mêmes attentes en termes de qualité et de quantité du déchet originel, que leur objet soit avant tout la réutilisation (avec le minimum de travail sur le déchet) soit la réparation/le surcyclage. Or le contrôle « qualité » ne correspond pas à ce qui existe en entreprise. La matière ou les produits utilisés viennent en grande partie soit d’apport volontaire d’individus/d’entreprises/de structures soit de prélèvements en déchetterie.

La manière de percevoir les gisements de déchets, leur potentialité à devenir ressources et à être intégrés dans un nouveau cycle varient en fonction des acteurs de la réparation/réutilisation et des usagers. Tous les opérateurs de la réutilisation, de la réparation, de l’upcycling ne répondent pas de la même manière à : qu’est-ce qu’un flux intéressant ? Comment le traiter ? Comment le réintégrer dans un nouveau circuit de consommation ? A quelles fins (détournement, réemploi, réutilisation…) ? Aussi le déchet ne connaît-il pas les mêmes trajectoires en fonction des acteurs qui s’en empare (Bonnot, 2002 ; Barbier, 2005). Certains vont s’intéresser à la matière en elle-même, d’autres à l’objet en tant que tel, et d’autres aux deux simultanément. Tous cependant vont de nouveau faire accéder le déchet au statut d’objet, susceptible de réutilisation par son propriétaire mais plus communément par un autre individu.

Un tri peut être effectué à la source afin de contrôler le gisement utilisé. Ainsi le processus de création de produits upcyclés, tel que travaillé par Api’up ou par Recycl’arte, part du gisement et donc de la matière disponible. L’objectif est de réaliser des prototypes répondant aux contraintes de la matière pour faire des séries. C’est pourquoi il y a un enjeu de « maîtrise » du gisement

Dans le cas de Recycl’arte s’ajoutent plusieurs conditions :

- le déchet doit être récurrent pour fabriquer des produits upcyclés qui n’exigent pas sans cesse de nouveaux tests, patronages… Cette condition pose donc des limites dans les coopérations avec des entreprises comme Tribord dont les déchets ne le sont pas, non seulement à cause de la saisonnalité des produits, mais aussi en raison du modèle d’affaire de l’entreprise, proposant toujours de nouveaux produits, de nouvelles matières…

Pour autant, une initiative comme Recycl’arte affirme également le souhait de ne pas être dépendant à un gisement d’une part pour que le modèle d’affaires ne s’effondre pas en cas de disparition d’une source de déchet. D’autre part parce que la persistance du flux de déchet montre in fine qu’aucun effort n’est potentiellement fait pour le diminuer.

- La gratuité de la matière/ des déchets car le processus de transformation a ensuite un coût : celui des personnes salariées, les coûts de structure. Le déchet va devenir un produit à part entière et prendre une valeur par le travail qui y est accordé.

Cette exigence n’est pas toujours facile à satisfaire, comme l’indique la représentante de Tribord, dont une partie des chutes sont utilisées par Recycl’arte :

« C’est [la systémisation] ce qu’essaye de faire C., de créer des produits types dont elle peut avoir besoin. Et de savoir exactement comment elle va les transformer de façon simple. C’est-à-dire elle a un patronage,

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elle l’applique à ce produit et bim elle sort un produit. Sauf que bon cela est dans la vie idéale… sauf que nous les produits évoluent de collection en collection, que… donc ce sera jamais comme ça… » (Représentante d’une grande enseigne)

Sauf cas particulier, la quantité et le volume de déchets disponibles pouvant être réparés et réutilisés ne constituent pas un problème selon les différentes structures interrogées travaillant sur la réutilisation, la réparation ou le détournement des déchets… Il s’agit au contraire de maîtriser le gisement à la fois dans sa quantité, afin de ne pas se retrouver avec des stocks trop importants à gérer ou impossibles à mettre en réserve, et dans sa qualité, afin de pouvoir donner une seconde vie et/ou un nouveau cycle d’usage au produit.

« Moi de toute façon mon objectif, c’est pas de récupérer du bois, récupérer du bois pour le stocker. Parce que sinon je vais simplement stocker du bois en attente de quelque chose, moi l’objectif c’est de créer quelque chose de nouveau, qui part chez quelqu’un d’autre, chez un nouveau client. Et d’avoir utilisé une vraie récupération, sinon je fais du stockage. » (Entretien avec l’artisan spécialisé dans le surcyclage) Les acteurs de la réutilisation ou de la réparation ne souhaitent pas apparaître comme une nouvelle déchetterie sur le territoire, même si par exemple un acteur comme Emmaüs peut être ainsi considéré par la collectivité de Chambéry. Ils veulent être reconnus comme des espaces où les objets en bon état, ou qui demandent à subir une réparation, peuvent avoir une seconde vie et être réappropriés.

D’ailleurs les structures peuvent refuser certains dons, considérant qu’elles ne pourront pas revendre ou revaloriser ce qui leur est apporté.

« Des choses repartent directement à la poubelle ; des choses qu’on n’accepte pas donc on essaie de plus en plus de dire aux gens : Attention ! On n’est pas une déchetterie ! Notamment parce que les déchetteries du territoire vont commencer à être payantes, donc les gens se disent : on va emmener à la recyclerie comme ça, ça ne coûtera pas d’argent. Ça, ce n’est pas possible. » (Entretien avec la représentante de la recyclerie R de Récup).

Il s’agit aussi potentiellement d’être en capacité de qualifier l’approvisionnement et son stock quand les acteurs de la réparation/réutilisation en ont les moyens humains, techniques et/ou numériques. La recyclerie R de Récup de Pontcharra utilise le logiciel GDRxx recommandé par l’ADEME pour la gestion des flux et des stocks. Aussi a-t-elle

mis en place une phase de pré-tri (acceptation ou non du déchet apporté après vérification, pesage et étiquetage), puis une étape de tri qui permet de voir sur quel atelier l’objet va être traité.

Le porteur de projet de la recyclerie de Cœur de Savoie avait également l’intention de l’utiliser car il permet d’enregistrer chaque produit, de pouvoir le suivre tout au long de son passage dans la structure et de présenter une comptabilité en adéquation avec les attentes des EPCI et des éco-organismes.

Au demeurant, dans de plus petites structures ou dans certains organismes, la comptabilité des flux est réalisée de manière plus simple, en général parce que reconnaître et qualifier le déchet-ressource demande des compétences, que le flux arrivant est trop important pour permettre un tri et un enregistrement immédiat et que l’organisation de la structure ne permet de dédier un poste à ce travail d’enregistrement.

« Moi par rapport aux DEA [déchets d’éléments d’ameublement] on est tenu de compter tout ce qui rentre. Mais c’est un truc de fou. Parce qu’il faut que donc les camions notent ce qu’ils ramassent. Mais t’es un peu speed t’as pas toujours le temps. Le dépôt il faut qu’ils notent tout ce qui rentre en meuble ; c’est la petite chaise à bébé, le sommier… le canapé… En salle ils notent ce qu’ils vendent. Et ensuite eux font une espèce de différence et après ils pèsent nos déchets. Ils voient si on est bon ou pas bon. (…) Mais si tu veux on n’arrive déjà pas à faire en sorte que les mecs comptent comme il faut. » (Entretien avec un représentant d’Emmaüs)

Identifier le potentiel d’un déchet demande une certaine lecture du produit amené : est-il vendable tel quel ? Est-il réparable ? Quelle est sa valeur ? Comment valoriser cet objet une fois lavé, réparé et/ou transformé ? Comment permettre aux clients de se projeter « dans » un produit qui a déjà servi ? Répondre à ces questions demande un certain nombre de compétences (savoir identifier, trier…) et peut donc faire l’objet d’une segmentation en différents postes de travail, segmentation qui diffère selon les organisations, leurs moyens et leurs objectifs premiers.

« Donc le principe c’était : notre responsable de la déchèterie pro met de côté dans ce box des déchets qu’il estime réemployables. (…) Après la difficulté c’est que nous on n’est pas spécialiste. On sait pas ce qui peut être réemployé, s’il arrive à revendre derrière, euh il a une ressourcerie, avec un magasin à Aix les Bains. On ne sait pas en fait. Ce n’est pas notre métier. Donc on met les choses de côté, en pensant que ça peut les intéresser, mais on n’a pas cette connaissance-là, on n’a pas cette compétence-là. » (Entretien avec une représentante d’entreprise en charge de la valorisation/recyclage de déchets)

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D’ailleurs l’affectation aux postes de travail fait l’objet d’une attention particulière dans les structures d’insertion parce que les différentes étapes du tri et de la réparation, aussi sommaire soit-elle, demandent d’avoir ou d’acquérir certains savoirs, savoir-faire ou savoir-être.xxi

Défi pour la puissance publique : Bien définir avec chaque répar’acteur son gisement et son périmètre d’action pour structurer son réseau territorial et construire des complémentarités entre acteurs de l’ESS, de l’artisanat et du monde de l’entreprise.