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L’étude des profils sociologiques des militants ne vaut pas uniquement par les corrélations qu’elle permet de mettre à jour entre des positions dans l’espace social, une éventuelle culture de classe et un engagement politique. Elle contribue également à rendre compréhensibles des parcours de politisation, et donc la construction de valeurs qui vont motiver l’action, en donnant une idée des contextes de socialisation ainsi que des trajectoires biographiques. L’étude des positions sociales présentes peut donner quelques indications quant au rapport au monde des militants. Le tableau 19 montre de façon détaillée comment les enquêtés se répartissent par profession en fonction de leur niveau d’étude. Il permet de voir la place importante des enseignants(-chercheurs) du supérieur parmi les enseignants, de même que le faible nombre de cadres supérieurs et de cadres moyens. Ceci signifie que rares sont les militants libertaires à occuper des positions d’encadrement, alors même que leur niveau d’instruction leur permettrait théoriquement d’occuper ce type de postes. Il est difficile de dire au moyen de ces seules données agrégées s’il s’agit là d’un choix délibéré. On peut toutefois remarquer que les études suivies (dans le domaine des sciences humaines — philosophie, arts, lettres — et du travail social principalement) ne destinent pas à des postes de direction comme peuvent le faire des filières juridiques ou commerciales, par exemple. On peut noter également que les filières d’excellence suivies par certains enquêtés, comme l’Ecole normale supérieure (9 enquêtés), préparent à des postes dans l’enseignement et non l’encadrement. De même, les anciens étudiants de Sciences-Po Paris (3 enquêtés) se dirigent vers la recherche et l’enseignement et non des filières de commerce où la haute administration. Les choix d’orientation des (futurs) militants semblent par conséquent laisser entrevoir un certain désintérêt pour les positions de pouvoir, mais aussi pour les activités les plus rémunératrices. Il est toutefois difficile de déterminer ce qui relève du libre choix et de la résignation plus où moins consciente à suivre les filières les moins prestigieuses ou porteuses. Ce type d’analyse requiert en particulier une comparaison des positions sociales de départ et d’arrivée.

Tableau 19 : Répartition détaillée par profession selon le niveau d’étude (N=83)

Lorsqu’on rapproche les niveaux d’étude et professions des enquêtés de la profession de leur père (Tableau 20), on constate une corrélation entre la position sociale d’origine et le niveau d’étude et la position d’arrivée : les enfants issus des catégories les plus modestes se retrouvent dans une forte proportion parmi les employés ou les ouvriers et ont un niveau d’étude moins élevé que la moyenne. Les militants ayant le plus haut niveau d’étude sont issus à 8% seulement d’un milieu employé ou ouvrier contre 58% de ceux qui ont le niveau d’étude le plus faible. A contrario, les moins diplômés sont issus très marginalement des classes moyennes et supérieures. On note toutefois, chez les moins diplômés, un taux d’appartenance à la classe moyenne en progression par rapport aux parents. Ceci se constate également chez les détenteurs d’un bac+2 à bac+4, qui sont proportionnellement plus nombreux que leurs parents à appartenir à la classe moyenne et aux classes supérieures et ont donc connu une ascension sociale. Plus concrètement, sur 63 enquêtés qui ont achevé leurs études, 29 (soit 46%) ont une position dans la hiérarchie sociale supérieure à celle de leur milieu d’origine, 20 (32%) ont une position équivalente et 14 (22%) ont une position TOTAL

Niveau d’études atteint :

CAP, Brevet,

Bac

Bac+2 Bac+3 et

bac+4 Bac+5 Doctorat N %

Profession :

Etudiant, doctorant ... Enseignant sup., chercheur ... Professeur du secondaire ... Professeur des écoles ... Profession libérale ... Cadre sup., prof. intel. sup. ... Ingénieur ... Services médicaux/sociaux ... Bibliothécaire, documentaliste ... Cadre moyen ... Artisan, Commerçant ... Technicien, prof. interm. ... Employé ... Ouvrier ... Chômeur ... Total 5 - - - - - - - 2 2 - 2 3 5 - 19 - - - - - - - 2 1 - - 3 1 - 1 8 4 - 1 7 3 1 - 6 3 - - 2 1 - 1 29 11 1 - - - 1 1 - - 1 - 4 - - - 19 - 6 1 - - - - - - - - - - - 1 8 20 7 2 7 3 2 1 8 6 3 - 11 5 5 3 83 24% 8% 2,5% 8% 4% 2,5% 1% 10% 7% 4% 0% 13% 6% 6% 4% 100%

inférieure à celle de leur milieu d’origine1. Ce sont donc près des 4/5èmes des militants qui ont connu une trajectoire ascendante ou stable. Le déclassement par le bas, au sens d’un trajectoire descendante qui voit l’individu occuper une position sociale inférieure à celle de son milieu d’origine, ne concerne qu’une minorité d’activistes. Parmi les enquêtés qui sont en cours d’études, on mesure également une tendance à l’élévation sociale (par rapport en particulier au niveau d’instruction des parents2), qu’il ne nous est pas possible de confirmer sans connaître de façon définitive la place qui sera occupée dans la hiérarchie des professions à l’issue des études.

Tableau 20 : Tableau synthétique : les enquêtés et leur milieu d’origine (pourcentages par colonnes) Bac ou inférieur Bac+2 à bac+4 Bac+5 et doctorat TOTAL N % N % N % N %

Effectif total enquêtés ... 19 23% 37 45% 27 32% 83 100%

Age de l’enquêté : 18-25 ans... 7 37% 7 19% 6 22% 20 24% 26-35 ans... 2 11% 18 48% 20 74% 40 48% 36-45 ans... 4 21% 4 11% - - 8 10% 45 ans et plus... 6 31% 8 22% 1 4% 15 18% Profession de l’enquêté : Etudiant, doctorant... 5 26% 4 11% 11 40% 20 24%

Enseignant (du primaire au sup.).. - - 8 22% 8 30% 16 19%

Cadre et prof. intel. sup... 1 6% 4 11% 2 7% 7 8%

Prof. Interm., médical/social... 5 26% 17 46% 5 19% 28 34%

Employé, ouvrier... 8 42% 2 5% 1 4% 10 12%

Chômeur**... - - 2 5% - - 2 3%

Profession du père* :

Enseignant (du primaire au sup.).. - - 8 22% 4 15% 12 15%

Prof. Libérale, chef d’ent... 1 5% 1 3% 2 8% 4 5%

Cadre et prof. intell, supérieure.... 1 5% 5 13% 10 38% 16 20%

Prof. intermédiaire, technicien... 4 21% 9 24% 6 23% 19 23%

Artisan, Commerçant, agriculteur. 2 11% 1 3% 2 8% 5 6%

Employé, ouvrier... 11 58% 12 32% 2 8% 25 30%

Chômeur**... - - 1 3% - - 1 1%

* Il manque les données pour le père d’un enquêté, disparu. Pour cette ligne du tableau, N=82 ** La catégorie chômeurs regroupe les chômeurs de longue durée ou n’ayant jamais travaillé

1 Une comparaison entre les positions sociales de deux générations appelle des réserves importantes. Tout

d’abord, le milieu social d’origine est généralement déterminé par la position sociale du père en fin de carrière, alors que la position de l’enquêté est souvent mesurée en début de carrière. En outre, suite à l’évolution du marché du travail et de la scolarisation et en fonction de la date d’entrée dans la profession, une même position peut jouir d’un prestige différent, ce qui signifie qu’il faut tenter d’évaluer la position sociale des individus (enquêtés et parents) en fonction de la place de leur profession dans la hiérarchie sociale au moment où ils y sont rentrés et non à un même instant “t”.

2 Cette élévation sociale est difficile à mesurer dans le cas des étudiants. Toutefois, on peut constater pour un

certain nombre d’entre eux (et en particulier les doctorants) un niveau de diplôme acquis ou en voie d’acquisition nettement supérieur à celui de leurs parents, et donc supérieur à l’élévation générale du niveau de diplôme entre les générations liées à la massification de l’enseignement supérieur.

La caractérisation de la pente des trajectoires des enquêtés dans l’espace social n’est pas sans importance. En effet, nombreuses sont les études qui font de la trajectoire sociale des individus un principe d’explication de leur engagement militant. La trajectoire est notamment (mais pas uniquement) présentée comme une source potentielle de frustration qui incite à l’action protestataire1. Cette approche n’est pas très éloignée des modèles de frustration relative proposés par Ted Gurr2, en ceci qu’elles prennent en compte les éventuels décalages entre aspirations et réalisations (entre position espérée et position occupée) et non seulement la privation mesurée objectivement. Pierre Bourdieu voit dans la diminution progressive de la valeur des titres scolaires la cause du développement d’une « humeur anti-institutionnelle3 ». Selon lui, « la déqualification structurale qui affecte l’ensemble des membres [d’une] génération, voués à obtenir de leurs titres moins que n’en aurait obtenu la génération précédente, est au principe d’une sorte de désillusion collective qui incline cette génération abusée et désabusée à étendre à toutes les institutions la révolte mêlée de ressentiment que lui inspire le système scolaire.4 » Il ajoute que cette humeur anti-institutionnelle peut conduire à une dénonciation de l’ordre social et une distanciation vis-à-vis de ses valeurs et des pratiques qui le perpétuent5. La frustration liée à la remise en cause des aspirations d’élévation sociale liées au diplôme obtenu ou en voie d’obtention serait ainsi au principe d’une remise en cause des fondements de l’ordre social et donc, potentiellement et pour ce qui nous concerne, d’un militantisme libertaire marqué par sa défiance vis-à-vis des institutions. Bernard Lacroix abonde dans ce sens lorsqu’il analyse les trajectoires des individus ayant opté après 1968 pour la vie en communauté6. Il constate que les « communards » sont principalement issus des classes moyennes et ont un niveau d’instruction élevé. Mais ce n’est pas directement la position d’origine ou le niveau d’étude qui détermine selon lui l’attrait pour des modes de vies ou des philosophies politiques. En effet, « c’est dans la distance qui sépare les dispositions, conditionnées par l’origine sociale, transformées ou confirmées par l’Ecole en fonction de sa

1 Boris Gobille qualifie cette explication qu’il juge — comme nous — insuffisante de « stricte rationalisation du

dépit ». Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en

mai 68, Thèse de doctorat en sciences sociales, EHESS, 2003, p. 108, cité in BRUNEAU, Ivan. La confédération Paysanne : s’engager à « juste » distance. Thèse de doctorat en science politique, Université Paris X, 2006, p.

314.

2

GURR, Ted R. Why Men Rebel ?. Princeton : Princeton University Press, 1970.

3 BOURDIEU, Pierre. La distinction, op. cit., p. 164. 4 Ibid., p. 161-164.

5 Ibid., p. 164. 6

logique propre, et les prétentions qu’autorise le verdict scolaire qu’il faut rechercher le principe de la frustration, prélude au choix communautaire.1 » Il en conclut que « les utopies politiques gauchistes ne sont donc rien de plus que l’expression de la revendication des étudiants bourgeois face à la dégradation de leurs perspectives d’avenir.2 » C’est aussi une explication par les trajectoires de déclassement qu’avance Gérard Mauger pour rendre compte des engagements contestataires des soixante-huitards, même s’il entend le déclassement au sens large de sortie de son milieu d’origine et non au sens restreint d’une mobilité sociale descendante3. Selon lui, tout décalage entre la position espérée et la position réalisée permet de « rendre compte des différentes formes de luttes, individuelles ou collectives, qui visent l’ajustement des dispositions et des positions.4 » A contrario, une position ajustée aux dispositions résulterait dans une reproduction « sans à-coups5 » des structures sociales et donc à l’absence de mouvement de contestation lié à cette « crise d’identité juvénile6 ». La contestation, résultat ici encore d’une frustration, accompagnerait la période de temps nécessaire à un individu pour s’ajuster à sa position, c'est-à-dire au « temps de s’y faire7 ». L’engagement contestataire serait donc principalement lié à une période de jeunesse, par définition limitée dans le temps, que l’intégration progressive dans la vie active des adultes conduirait à son terme.

On peut reconnaître à ces approches le mérite de chercher à dépasser une certaine analyse statique des causes de l’engagement et de contourner ainsi l’apparent paradoxe de l’intérêt à la contestation d’individus appartenant aux classes moyennes dont il est souvent difficile de penser qu’ils se mobilisent en réaction à leur pauvreté où à une dégradation marquée de leurs conditions de vie. Avec la prise en compte des trajectoires et des représentations qui y sont liées, c’est le sentiment subjectif de ne pas occuper la place qu’on estime mériter qui est mise en avant, mais aussi, potentiellement, les difficultés liées à l’accession trop rapide ou inespérée à des positions nettement supérieures à celles d’origine.

1

Ibid., p. 106, souligné par l’auteur.

2 Ibid., p. 172.

3 MAUGER, Gérard. « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme : pour une histoire de la “génération de mai

68” » in CURAPP. L’identité politique. Paris : PUF, 1994, p. 206-226.

4 Ibid., p. 210. 5 Ibid., p. 211. 6 Ibid., p. 212. 7

Ainsi, davantage que le déclassement par le bas1, ce sont les trajectoires trop ou trop peu ascendantes qui pourraient expliquer une forme de mal-être social, un ressentiment vis-à-vis du système, scolaire d’abord, politique ensuite. Il ne fait aucun doute que la confrontation avec un milieu différent du sien peut provoquer chez les individus des prises de conscience ou réactions qui peuvent initier une réflexion politique. Plusieurs militants que nous avons interrogés nous ont fait part de la difficulté qu’il y a à pénétrer dans un monde de classes supérieures. C’est vrai en particulier des individus issus de classes moyennes et modestes et qui ont intégré l’Ecole normale supérieure :

« Je ne suis pas très marqué socialement, je n’ai pas une appartenance très forte à part classe moyenne… Mais très clairement, quand je suis arrivé à l’ENS, là, bas j’étais tout en bas de l’échelle sociale [il rit]. Ca m’a fait pareil quand je suis arrivé à Paris. C’était très, très intimidant, la façon dont les gens s’exprimaient, j’étais pas du tout habitué à ça. C’était un petit peu dur au début. » (Benoît, 27 ans, militant à Aarrg! Paris).

« J’avais un petit peu de mal, je les trouvais prétentieux et très immatures. Et puis la plupart aussi venaient, étaient eux-mêmes fils de profs, universitaires, il y avait très peu de fils d’ouvriers. Et bon, je me rendais compte que je n’avais pas grand-chose de commun avec eux non plus. Pour moi c’était pas mon milieu. Alors je ne venais pas d’un milieu très pauvre non plus, mais c’était pas ça… Je sentais bien l’histoire de Bourdieu, tu sais, la reproduction. » (Lucie, 32 ans, militante du groupe La Rue de la Fédération anarchiste).

En dépit de son attractivité liée notamment à son adéquation avec certaines situations parfois subjectivement expérimentées par les enquêtés, voire par le chercheur lui-même2, l’explication de l’engagement par les trajectoires sociales paraît limitée. D’une part, et bien que les militants libertaires se caractérisent notamment par leur âge moyen peu élevé, une théorie qui met en avant le fait que la contestation correspond à une période d’adaptation durant la jeunesse ne parvient pas à rendre compte des engagements qui perdurent ou qui se déclarent parfois sur le tard (ou, au contraire, très tôt, anticipant alors les éventuelles frustrations). D’autre part, l’appréciation du degré d’adéquation entre dispositions, aspirations

1 Les effets du déclassement par le bas sont équivoques. Si l’on constate une tendance à adopter les attitudes du

groupe d’arrivée, on ne peut établir de lien avec un engagement contestataire à gauche. Au contraire, la mobilité vers les classes populaires tendrait à rapprocher les individus des positions du front national. Cf. PEUGNY, Camille. « La mobilité sociale descendante et ses conséquences politiques : recomposition de l’univers de valeurs et préférence partisane ». Revue française de sociologie, vol. 47, n° 3, 2006, p. 443-478.

2

et positions nous semble au mieux hasardeuse. Outre le fait qu’elle conduit facilement à présumer que tout individu nourrit le même type d’aspirations et a le même niveau d’exigence en terme d’élévation sociale par rapport à son milieu d’origine, l’approche en termes de trajectoire implique de la part du chercheur une dose trop forte d’interprétation et d’évaluation de parcours et de positions individuels : comment juger, en l’absence de déclarations explicites, quelle était la perception des enquêtés de leur milieu d’origine, quelle était leur position sociale espérée et quelle est leur perception de la position qu’ils occupent finalement ? Alors qu’il est déjà difficile d’apprécier la pente d’une trajectoire — qui par définition fait comparer des positions qui, avec le temps et le changement de génération, ne sont plus guère comparables —, comment déterminer si une trajectoire stable est subjectivement perçue avec satisfaction comme un maintien du statut social ou avec frustration comme incapacité à s’élever socialement ? Tenter d’expliquer la contestation par la trajectoire sociale permet certes d’avancer des hypothèses avec pour seul base des statistiques concernant la profession des enquêtés et de leurs parents, mais revient également à occulter tout un pan des socialisations et de la vie des individus dont la connaissance seule permettrait d’apprécier objectivement les aspirations et donc leur réalisation1.

Parfois croisée à l’approche par les trajectoires, l’explication de l’engagement à gauche par la place occupée par l’individu dans son champ d’activité nous semble plus à même d’exploiter de façon judicieuse des données agrégées sur des militants. La défense de la cause des plus faibles s’expliquerait alors par « l’homologie structurale entre la relation des dominés aux dominants et la relation des fractions dominées aux fractions dominantes2 » d’une classe ou d’un champ, homologie qui serait au principe « d’une solidarité vécue et parfois réelle avec les classes dominées3 ». C’est parce qu’ils se sentiraient dominés dans leur champ que des individus (en particulier ceux appartenant aux fractions dominées de la classe dominante : intellectuels, artistes, professeurs4) se sentiraient proches des classes dominées et se mobiliseraient afin de défendre leurs intérêts. Daniel Gaxie a expliqué par cette homologie le choix des plus dominés des dominants de représenter les classes populaires ou moyennes dans les partis politiques, les luttes entre fractions de classe (objectivées dans les compétitions

1

Pour une critique plus approfondie de la notion de trajectoires et de déclassement, cf. BRUNEAU, Ivan. La

confédération Paysanne. Op. cit., p. 314-319.

2 BOURDIEU, Pierre. La distinction…, op. cit., p. 363 3 Idem.

4

entre différentes organisations partisanes) rejouant d’une certaine manière la lutte des classes1. Mais l’explication vaut également dans les organisations de mouvement social, comme le montre par exemple Johanna Siméant lorsqu’elle analyse le profil de ses militants soutiens de sans-papiers2. Ces derniers ne font pas partie des classes les plus dominées ; il disposent de ressources mais ne font pas pour autant partie des dominants et ils peuvent trouver dans leur vécu et leur position sociale, leur sentiment subjectif de faire eux aussi partie des « exploités », des éléments les rapprochant de la population des sans papiers qu’ils défendent3. On notera toutefois que l’analyse en terme d’homologies de position suppose souvent une vision assez floue des champs ou des classes sociales et des positions relatives en leur sein et qu’elle n’opère pas des distinctions assez fines entre les niveaux de ressources (ou les différents capitaux) dont disposent les individus et qui pourtant influencent leur position dans l’espace social4. De plus, cette approche reste muette sur les facteurs qui vont faciliter chez certains la perception subjective d’une situation de dominé là où d’autres identiquement situés n’auront aucun sentiment particulier de solidarité avec « les exploités ».

Les travaux se situant dans la mouvance des analyses des « nouveaux mouvements sociaux » (NMS) contournent en partie ces problèmes en cherchant à se dégager d’une approche en termes de classes sociales. Le souci de leurs auteurs de se distinguer de la sociologie marxiste longtemps dominante les conduit à cesser d’envisager les mouvements sociaux et l’action politique comme des symptômes de la lutte des classes. Ils s’intéressent alors à ce qui, dans le profil des acteurs, leurs aspirations et leur vécu quotidien, explique leur mobilisation en faveur de causes supposées transcender les clivages sociaux traditionnels, comme les revendications identitaires (mouvements des femmes, mouvement homosexuel…) ou l’opposition à l’énergie nucléaire et la défense de l’environnement. Il ressort de ces études que les activistes proviennent majoritairement des classes moyennes, ne sont pas encore intégrés dans le marché du travail ou travaillent surtout dans le secteur des services5. Pour Stephen Cotgrove et Andrew Duff, les NMS sont l’expression d’un « radicalisme de classe

1

GAXIE, Daniel. « Les logiques du recrutement politique ». Revue française de science politique, vol. 30, n° 1, 1980, p. 5-45. On verra plus loin que la position de Gaxie sur ce type d’explication par les positions s’est affinée.

2 SIMEANT, Johanna. La cause des sans papiers, op. cit.. 3 Ibid., p. 370.

4

MATHIEU, Lilian, ROUSSEL, Violaine. « Pierre Bourdieu et le changement social ». Contretemps, n° 4, 2002, p. 140-152.

5 Cf. par exemple les contributions rassemblées dans DALTON, Russel J., KUECHLER, Manfred (eds.).

Challenging the Political Order: New Social and Political Movements in Western Democracies. Cambridge :

moyenne1 » qui est lié à la position marginale des activistes dans le système capitaliste : travaillant majoritairement dans le secteur non productif, à la périphérie des institutions et des opérations économiques centrales des sociétés industrielles, ces individus développeraient un sentiment d’aliénation vis-à-vis des processus de prise de décision politique. Leur engagement

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