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Après avoir présenté le milieu d’origine des militants libertaires et évoqué des éléments importants de leur socialisation, il convient maintenant d’étudier les activistes eux-mêmes, afin de montrer leurs spécificités et de réfléchir à ce que celles-ci peuvent nous enseigner sur leur rapport à la politique et à l’engagement. Nous allons donc nous attacher à dresser dans cette section un tableau sociographique général des enquêtés qui va permettre de montrer leur relative homogénéité, renforcée par des rapports tout à fait similaires à la religion. On verra

1 VOYÉ, Liliane. « Mutations normatives dans la socialisation religieuse. De la transmission à l’invention :

cependant que cette homogénéité relative n’empêche pas une certaine diversité, certains groupes se distinguant notamment du point de vue de l’âge de leurs membres et de leur rapport à la classe ouvrière.

A. Eléments de sociographie

Les données qui vont être présentées ici correspondent, comme dans la section précédente, à l’échantillon de nos enquêtés par entretien (N=83). Cet échantillon ne peut prétendre être représentatif au sens statistique du terme, mais il a été constitué avec le souci d’éviter la surreprésentation ou la sous-représentation d’une catégorie ou une autre de militants de la mouvance libertaire. Nous pouvons ainsi raisonnablement affirmer que le tableau dressé par les statistiques concernant ces 83 enquêtés, bien qu’imparfait, donne un bon aperçu d’une réalité plus large. La comparaison avec des études portant sur une population militante proche nous permettra de justifier cette présomption de représentativité.

Le premier élément saillant à signaler est la jeunesse de l’échantillon (cf. tableau 7 et graphique 2) : la moyenne d’âge de la population enquêtée est de 33 ans. L’enquêté le plus jeune avait 18 ans au moment de l’entretien ; le plus âgé avait 65 ans. L’âge médian est de 29 ans et 63% des enquêtés ont entre 18 et 30 ans. Cette jeunesse n’a rien d’exceptionnel. Les données qui existent sur les participants aux différents mouvements de contestation regroupés sous l’appellation « mouvement altermondialiste » se rapprochent de celles que nous avons pu recueillir. Boris Gobille et Aysen Uysal montrent en effet que 50,3% des participants au Forum social européen de Paris-Saint Denis en 2003 ont moins de 35 ans1 (70% dans notre échantillon). Donatella Della Porta montre quant à elle que 83% des participants au contre- sommet du G8 à Gênes en 2001 avaient 35 ans et moins2 (72% dans notre échantillon). Les résultat de l’enquête menée lors du contre-G8 de 2003 à Evian font enfin état de 66% de moins de 31 ans3 (63% pour notre échantillon). Si ces chiffres diffèrent de façon assez importante, ceci est dû principalement à la différence de contexte de recueil des informations : le caractère mouvementé et potentiellement dangereux d’un contre-sommet du G8 (on se

1 Boris Gobille et Aysen Uysal, « Cosmopolites et enracinés », in AGRIKOLIANSKY, Eric, SOMMIER,

Isabelle (dir.). Radiographie du mouvement altermondialiste. Paris : La Dispute, 2005, p. 107.

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DELLA PORTA, Donatella. « Globalisation et mouvements sociaux. Hypothèses à partir d’une recherche sur la manifestation contre le G8 à Gênes ». Pôle Sud, n° 19, 2003, p. 182.

3 FILLIEULE, Olivier, BLANCHARD, Philippe, AGRIKOLIANSKY, Eric, BANDLER, Marko, PASSY,

Florence, SOMMIER, Isabelle. « L’altermondialisme en réseaux. Trajectoires militantes, multipositionnalité et formes de l’engagement : les participants du contre-sommet du G8 d’Evian ». Politix, vol. 17, n° 68, 2004, p. 21.

souvient de la mort d’un manifestant à Gênes en 2001) est susceptible de mobiliser en priorité les plus jeunes, alors que l’aspect « colloque » ou « université d’été » d’un forum social, fait de conférences et d’ateliers de débat, va plus facilement attirer un public plus varié du point de vue de l’âge. Nos données nous semblent donc constituer une juste mesure d’un public dont on peut penser qu’il va se retrouver dans les deux types d’événements.

Tableau 7 : Répartition des enquêtés par âge (N=83)

* Donatella della Porta, « Globalisation et mouvements sociaux. Hypothèses à partir d’une recherche sur la manifestation contre le G8 à Gênes ». Pôle Sud, n° 19, 2003, p. 182. Ces chiffres sont indiqués à titre de comparaison.

Enquêtés G8 2001* N % % Moins de 25 ans ... 20 24% 58% 26-35 ans ... 40 48% 25% 36-45 ans ... 8 10% 45 ans et plus ... 15 18% 17% Total 83 100% 100%

Graphique 2 : Répartition des enquêtés par âge (N=83)

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60%

18-25 ans 26-35 ans 36-45 ans 45 ans et plus

En ce qui concerne le genre des militants libertaires, on constate sans surprise que les femmes ne représentent qu’un tiers des militants. Ce taux n’est pas exceptionnellement bas, si l’on connaît la persistance de la division sexuelle du travail qui conduit de facto à réserver, dans une certaine mesure, les activités militantes aux hommes1. Il convient toutefois de souligner que le mouvement altermondialiste se caractérise par son ouverture à une proportion importante de femmes. Olivier Filleule et ses coauteurs rapportent un taux de 40,5% de participantes au contre-sommet du G8 de 20032. En comparaison, les femmes apparaissent légèrement sous-représentées dans notre échantillon. Nous aborderons la question du genre

1 Sur ce point, cf. notamment MOSSUZ-LAVAU, Janine. « Genre et politique », in PERRINEAU, Pascal,

ROUBAN, Luc (dir.). La politique en France et en Europe. Paris : PFNSP, 2007, p. 95-121. Cf. aussi ACHIN, Catherine, et al. Sexes, genre et politique. Paris : Economica, 2007, sur les transformations du champ politique liées à la loi française sur la parité, qui n’empêche pas une persistance de la relégation des femmes. Enfin, pour un aperçu sur la place des femmes dans le militantisme extra-partisan, cf. ACHIN, Catherine, LEVEQUE, Sandrine. Femmes en politique. Paris. La Découverte, 2006, p. 48 sq.

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plus en détail dans notre troisième partie. Si les femmes sont en minorité dans les organisations libertaires, elles n’accusent pas de retard sur les hommes quant à leur niveau d’instruction, qui est même supérieur en moyenne (Tableau 8 et Graphique 3).

Tableau 8 : Répartition des enquêtés par diplôme et par genre (N=83)

Total Bac ou inférieur Bac+2 à bac+4 Bac+5 et doctorat N % Hommes 19 (34%) 18 (32%) 19 (34%) 56 67% Femmes - 19 (70%) 8 (30%) 27 33% Ensemble 19 (23%) 37 (45%) 27 (32%) 83 100%

Le tableau 8 et le graphique 3 permettent de constater qu’aucune des femmes présentes dans l’échantillon n’a un niveau de diplôme inférieur à Bac+2, alors que c’est le cas d’un tiers des hommes1. Les femmes comptent en moyenne 4,1 ans d’études après le baccalauréat contre 3 ans pour les hommes (qui ne sont par ailleurs pas tous titulaires de ce diplôme et n’ont pas tous fréquenté l’enseignement supérieur) pour une moyenne hommes et femmes confondus de 3,3 ans d’études post-baccalauréat. Si le militantisme apparaît corrélé avec le niveau d’étude (de même que sont liés le niveau d’étude et l’intérêt pour la politique ainsi que le sentiment de compétence politique), le niveau d’instruction « exigé » pour entrer en militantisme semble plus élevé pour les femmes que pour les hommes : ainsi, les effets politiquement inhibiteurs de la division sexuelle du travail sur les femmes paraissent nécessiter un niveau d’instruction plus élevé que la moyenne pour être surmontés et permettre l’engagement militant libertaire. Bien que le niveau d’étude moyen soit différent en fonction du genre, il demeure pour l’ensemble des activistes particulièrement élevé par rapport à celui de la population en général2. Le niveau élevé d’instruction est, lui aussi, une caractéristique commune à l’ensemble des militants de la nébuleuse altermondialiste3.

1

Il faut noter toutefois que parmi les « Bac+0 » sont classés des étudiants de première ou seconde année n’ayant pas encore obtenu de diplôme de l’enseignement supérieur.

2 Selon l’INSEE, en 2002, un peu plus de 20% d’une classe d’âge sortait avec un diplôme égal ou supérieur à

Bac+3 (contre 67% dans notre échantillon). DURIER, Sébastien, POULET-COULIBANDO, Pascale. « Formation initiale, orientations et diplômes de 1985 à 2002 ». Economie et statistique, n° 378-379, 2005, p. 29.

3 FILLEULE, Olivier, et al. « L’altermondialisme en réseaux… », article cité, p. 21 ; GOBILLE, Boris, UYSAL,

Aysen. « Cosmopolites et enracinés », article cité, p. 107 ; DELLA PORTA, Donatella. « Globalisation et mouvements sociaux… », article cité, p. 182.

Graphique 3 : Répartition des enquêtés par diplôme et par genre 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%

Bac ou inférieur Bac+2 à bac+4 Bac+5 et doctorat

Ensemble Hommes Femmes

Militants libertaires et militants de l’altermondialisation partagent une autre caractéristique, à savoir une structure socioprofessionnelle dans laquelle sont surreprésentés les étudiants, d’une part (ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de la jeunesse de l’échantillon) et, d’autre part, pour les actifs, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires du secteur public (dont en particulier les enseignants), de la santé et du travail social1 (Cf. Tableau 9 et graphique 4)

1 FILLEULE, Olivier, et al. « L’altermondialisme en réseaux… », article cité, p. 21 ; GOBILLE, Boris, UYSAL,

Aysen. « Cosmopolites et enracinés », article cité, p. 107-108. Le fait que les militants libertaires affichent des caractéristiques sociologiques proches des altermondialistes dans leur ensemble ne signifie pas de facto que le mouvement altermondialiste et la mouvance libertaire sont une seule et même chose. Les libertaires sont une composante du mouvement altermondialiste au même titre que des ONG, des associations écologistes, des partis politiques, etc. Le fait d’avoir un profil sociologique similaire n’implique pas d’entretenir un rapport identique à la politique et à l’engagement. C’est une des raisons pour lesquelles l’analyse sociographique n’est qu’un des éléments d’une étude plus large de l’engagement libertaire, attentive en particulier aux différentes socialisations qui vont développer des rapports différents à l’action politique chez des individus pourtant similairement situés dans l’espace social. Nous reviendrons sur cette question un peu plus loin.

Tableau 9 : Répartition des enquêtés par profession (N=83) Ensemble N % Population française Etudiant, doctorant ... 20 24% 10%

Enseignant (primaire au sup.) ... 16 19% 4%

Cadre et prof. intel. sup. ... 7 8% 8%

Prof. Interm., médical/social ... 26 34% 15%

Employé, ouvrier ... 10 12% 47%

Chômeur* ... 2 3% 1%

* La catégorie des chômeurs regroupe les individus n’ayant jamais travaillé

Graphique 4 : Répartition des enquêtés par profession

0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50% Etu dian t, do ctor ant Ens eign ant Cad re e t pro f. In tel, sup, Pro f. In term ,, m édic al/s ocia l Em ploy é, o uvrie r Chô meu r Ensemble Population français e

Le secteur public est particulièrement surreprésenté dans notre échantillon puisque 33 enquêtés, soit 54% des actifs, sont soit fonctionnaires, en particulier dans l’éducation1 mais

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L’importance du nombre d’enseignants chez les militants se retrouve dans d’autres recherches, comme celle de Johanna Siméant sur les mouvements de sans-papiers, ce qui lui fait constater que « la posture professorale, dans ce qu’elle suppose de compétence subjectivement ressentie quant à l’intervention au sujet de la chose publique, semble donc avoir des effets certains sur la propension à l’engagement. » En outre, l’appartenance au secteur public « laisse supposer un univers politique ancré à gauche et marqué par l’attachement au service public, au

aussi en bibliothèque, soit travaillent dans une entreprise publique (SNCF). Il faut noter également que parmi les salariés du privé, 8 individus sur 25, soit près d’un tiers, travaillent pour une association à but non lucratif, dans le travail social (éducateurs) pour la moitié d’entre eux. Seuls trois enquêtés exercent une profession indépendante. Conséquence de la présence massive des catégories moyenne et supérieure, la catégorie des employés et ouvriers est très sous-représentée. Au total, on constate une surreprésentation manifeste des étudiants, des classes moyennes et des professions intellectuelles supérieures, et en particulier des professions de l’enseignement à tous niveaux (16 individus sur 63 actifs soit un quart) et les professions du travail social : assistantes sociales, éducateurs spécialisés (7 individus soit 11% des actifs). D’une manière générale, le profil sociologique des militants libertaires et des militants altermondialistes se rapproche, plus globalement, de celui des bénévoles associatifs. En effet, ceux-ci se démarquent également par la surreprésentation des hommes, des plus diplômés, des professions intermédiaires et des cadres1. Les militants libertaires et altermondialistes se distinguent en revanche par leur jeunesse, qui tranche avec l’importance numérique des retraités parmi les bénévoles des associations (près de 20% de 64 ans et plus parmi les responsables associatifs en 2002 selon Denis Bernardeau-Moreau et Matthieu Hély2). Ceci tend tout de même à prouver l’importance du niveau d’instruction et, dans une moindre mesure, des marqueurs statutaires (position sociale) ou culturels (genre) de la compétence politique dans l’engagement, qu’il soit ou non spécifiquement politique.

B. Un rapport homogène à la religion

L’étude de la variable religieuse dans l’analyse des profils sociologiques des enquêtés est loin d’être sans intérêt. Elle permet en effet de dégager d’importantes régularités statistiques. On l’a vu, les militants libertaires ont été élevés dans des environnements souvent peu religieux. Près des 2/3 de nos enquêtés (52 sur 83) n’ont pas reçu d’éducation religieuse de leurs parents. Pour la plupart d’entre eux, par conséquent, la religion représente un concept relativement étranger :

refus fréquent de certaines caractéristiques du capitalisme libéral. » SIMEANT, Johanna. La cause des sans

papiers. Paris : PFNSP, 1998, p. 367.

1 BERNARDEAU-MOREAU, Denis, HÉLY, Matthieu. « Transformations et inerties du bénévolat associatif sur

la période 1982-2002 ». Sociologies Pratiques, n° 15, 2007, p. 9-23.

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« Mes parents [...] ne nous ont aucunement baptisés, estimant que si on devait le faire ça devait venir de notre propre gré, et aucunement imposé à un âge où on était incapable de choisir. […] Donc je ne baigne pas du tout dans un milieu religieux. […] Donc sur la question de la religion, déjà, elle n’est pas du tout présente, donc je n’ai pas du tout à m’en détacher en fait. Ca ne fait aucunement partie de mon quotidien. » (David, 28 ans, militant au groupe de

Strasbourg de la Fédération anarchiste).

Tous n’ont cependant pas vécu dans l’ignorance de la religion : certains enquêtés ont été baptisés, ils ont suivi quelques cours de catéchisme ou fait leur communion. Toutefois, l’absence de pratique et de réelle croyance de la part des parents a contribué à vider de tout sens les rites accomplis. L’indifférence des parents à la religion s’est dans tous les cas efficacement transmise1. On ne peut pas en dire autant des convictions religieuses de certains parents. En effet, si 31 enquêtés ont reçu une éducation religieuse plus ou moins stricte, seul un individu se définit encore aujourd’hui comme croyant2. Sur les 83 militants libertaires interrogés, 82 se considèrent comme athées ou estiment que la religion n’occupe aucune place dans leur vie ou leur réflexion. On peut alors parler d’un rapport très homogène des libertaires à la question religieuse, dans la mesure où la distinction entre athées et indifférents à la religion n’est au principe d’aucune différence notable d’attitude vis-à-vis des différents cultes. Qu’ils nient l’existence de Dieu ou affirment ne pas se poser la question, tous s’entendent pour refuser que la religion interfère sur la vie publique et notamment la question des libertés

1 Et ceci en dépit parfois des tentatives des enfants de connaître ou comprendre par eux-mêmes le phénomène

religieux. Par conformisme ou curiosité, certains enquêtés ont en effet de leur propre chef suivi une instruction religieuse, de façon plus ou moins sérieuse ou durable :

« Moi je viens de Moselle, donc en Moselle il y a l’éducation religieuse à l’école, donc j’en ai fait, mais c’est pas parce que mes parents insistaient pour, c’est juste parce que je voulais faire comme tout le monde, parce que mes copines le faisaient. Mais j’ai arrêté en CE2 parce que je ne comprenais pas le sens. Enfin ça ne m’intéressait pas finalement et comme je n’étais par obligé par mes parents j’ai décidé d’arrêter. » (Inès, 25

ans, militante au Crep).

« J’ai souvenir de quand j’étais au collège, en 4ème ou en 3ème, donc il y avait le catéchisme à midi, je ne sais plus quel jour c’était et euh, il suffisait de traverser la rue, c’était juste derrière le collège, pendant l’heure de cantine, et donc tous mes copains copines ils y allaient. Et donc moi une fois j’étais allée pour voir comment c’était parce que je me disais merde, je me retrouve toute seule comme une couillonne. Et puis bon, j’avais bien vu que le prêtre, c’était un peu… ça sonnait faux, on voulait nous faire dire des trucs, et puis bon, ça m’a vacciné. C’était juste parce qu’en fait je me retrouvais toute seule et que j’avais l’impression que les autres ils allaient à un truc sympa, mais bon. » (Agnès, 46 ans, militante au groupe de Rouen de la Fédération anarchiste).

2 Cette militante, dont le père est Palestinien et a été un collaborateur de Yasser Arafat, a été politisée dans le

cadre du conflit israélo-palestinien et a fréquenté les jeunesses du Fatah. Elle décrit son engagement comme un prolongement de sa foi musulmane. Son profil est de ce point de vue très atypique. Elle est, par ailleurs, le seul enquêté issu d’un milieu musulman.

individuelles. Les positions exprimées par Joël et Nathalie expriment bien l’état d’esprit des militants libertaires sur la question :

« C’est vraiment pas mon truc. J’ai aucun rapport avec la religion ou avec les religieux. C’est un truc qui au mieux ne m’intéresse pas, au pire me dérange. » (Joël, 22 ans, militant individuel à la Fédération anarchiste).

« Voir que tu as des gens, au nom de la religion qui s’opposent au droit à l’avortement… Et puis je me dis qu’on a suffisamment de contraintes pour ne pas s’en rajouter encore, quoi. […] Non, j’aime pas, toutes les religions, j’aime pas… » (Nathalie, 23 ans, militante au groupe de

Strasbourg de la Fédération anarchiste).

L’athéisme constitue une position d’esprit naturelle pour une majorité de militants issus de familles irréligieuses et pour qui la religion a toujours été une idée étrangère. Il n’en est pas de même pour les individus qui ont été élevés dans la foi religieuse, chrétienne et catholique pour la grande majorité d’entre eux. Pour ces derniers, l’athéisme est le résultat d’une forme de conversion en sens inverse, produit d’expériences et de réflexions qui ont remis peu à peu en cause la croyance. Les récits ne manquent pas sur les cheminements, découvertes, évolutions ou déceptions qui ont amené à la mise à distance du dogme :

« On habitait à côté d’une église, je devais avoir douze ou treize ans. Il y avait la maison, il y avait un champ et il y avait l’église. Et dans le champ il y avait les gitans qui se mettaient. Et on allait au catéchisme. Au catéchisme on t’apprenait la charité et tout. Et quand les gitans arrivaient dans le champ, le curé — il avait un potager, un jardin à côté du presbytère — il coupait l’eau du jardin pour pas que les gitans se servent d’eau. Moi ça m’avait… par rapport à l’éducation religieuse que j’avais, la charité, tout ça, je me disais mais pourquoi ? Comment ça se fait que le curé coupe l’eau ? Alors les gitans venaient chez nous chercher de l’eau. […] Quand j’ai vu ce curé couper l’eau aux gitans, je me suis dit c’est une bande d’hypocrites. Ils te disent il faut partager et en fait ils font tout le contraire. Là ça a été cassé quoi. » (Jean-Luc, 51 ans, militant au groupe Louise Michel de la Fédération anarchiste).

« Bon, ma famille, tout le monde est très catho, et c’est plus par habitude, parce que c’est comme ça, on fait, ça fait des repères dans la vie, on ne peut absolument pas ne pas avoir un dimanche où on ne va pas à la messe, c’est pas possible, sinon, c’est pas dimanche. Eh oui, mais c’est très, très pesant. Parce que dès l’enfance j’ai eu quand même le bon Dieu qui m’a regardée et qui a toujours trouvé que j’étais pas à la hauteur. Enfin c’est l’impression que

j’avais. Et j’ai toujours eu des gros déboires avec la religion. C'est-à-dire… chez nous [en Belgique] le catéchisme est obligatoire, un peu comme en Alsace Moselle. Donc il y a les questions-réponses, donc ma mère elle me faisait répéter. […] Eh ben en classe, systématiquement, le blanc total. Donc j’ai passé des heures agenouillée — parce que c’était à genou, ma punition — parce que je ne savais pas mon catéchisme. Alors que pour tout le reste je n’avais aucun problème. Et je ne sais pas pourquoi, franchement, je… Je croyais vraiment que j’étais la seule qui se posait des questions. […] Pour le secondaire c’était en internat, parce

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