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A. Fonction du regard chez les sujets à développement typique: « the

1. Traitement perceptif des visages

La littérature scientifique rapporte un rôle central des yeux et des autres caractéristiques « internes » (nez, bouche) dans le traitement perceptif et la reconnaissance des visages chez les humains, au contraire des caractéristiques « externes » (cheveux, front, oreilles ou contour du visage)(135). De toute, la région des yeux semble être la plus observée et une source d’information très utile quelque soit la tâche étudiée (cf.(136) pour revue détaillée).

a. Identification

Les yeux, tout comme le visage, sont caractérisés par une grande variabilité interindividuelle: leur couleur, forme, distance inter-orbitaire, inter pupillaire sont autant d’indices variables permettant de définir un individu. Des travaux étudiant le regard ont montré que les yeux constituent un élément clef dans la reconnaissance de l’identité faciale et sont primordiaux à l’identification quand le visage est flouté par un bruit de fond(137). De même, lorsque les yeux sont masqués, les performances de détection de visage et de reconnaissance de l’identité semblent fortement perturbées, ce qui ne serait pas le cas lorsque la bouche, le nez ou encore la ligne front-cheveux sont masqués(138). Certains auteurs rapportent un impact significatif sur la capacité de reconnaissance des visages familiers lorsque des éléments adjacents aux yeux (sourcils dans l’étude) sont occultés(139).

Enfin, deux études réalisées chez des patients prosopagnosiques qui échouent après des traumas cérébraux à reconnaître les visages familiers, identifient la difficulté à extraire les informations véhiculées par la région de yeux comme un élément clé de leur handicap. Ces patients montreraient plutôt une tendance à s’attarder sur la région de la bouche(140,141).

Plusieurs travaux retrouvent quant à eux une influence plutôt de la direction du regard sur la reconnaissance de l’identité proposant que les visages présentant un regard direct seraient reconnus plus rapidement(142). Cet effet étant retrouvé très tôt et de façon stable au cours du développement de l’enfant (cf. Itier et al 2009(136) pour revue détaillée).

La littérature converge et s’accorde sur le rôle central de la région des yeux dans le traitement perceptif et la reconnaissance des visages, déjà proposé par Ellis et al. en 1979(143).

b. Reconnaissance des genres

Des auteurs mettent en avant un rôle des yeux dans la discrimination des genres(144,145). Confirmant l’importance et le pouvoir informatif d’un regard mutuel, une étude a mis en évidence une plus grande rapidité dans la catégorisation (genre) des visages qui présentaient un regard direct vers les participants, avec une différence significative; sans influence de l’orientation du visage (Visage de ¾) (Temps de réaction de 534ms) ou de face (Temps de réaction de 525ms). Ce résultat appuie l’hypothèse d’un effet propre du regard(146) sur les performances de catégorisation par genre.

A l’opposé, Vuillemier et al. retrouvent un délai statistiquement significativement plus long, au cours d’une tâche de catégorisation du genre, de visages dont le regard est dirigé directement vers l’observateur (1055 vs. 1007 ms). De plus, ils notent un effet modulateur à la fois de l’orientation(3/4 ou de face) de la tête et de la correspondance des genres entre le visage observé et l’observateur(147).

Les données scientifiques semblent donc moins consensuelles quant à l’effet induit par le regard lors de la discrimination du genre. Néanmoins, les auteurs s’accordent sur la place centrale du regard au cours de cette tâche cognitive.

c. Reconnaissances des émotions

Des éléments en faveur d’un rôle particulier du regard direct dans la transmission de l’intensité émotionnelle d’une émotion ont été mis en évidence depuis de nombreuses années. Des travaux plus récents suggèrent, plus précisément le rôle différent d’un regard direct ou dévié en fonction de l’émotion affichée. Par exemple, dans deux études, Adams et al. retrouvent une catégorisation plus rapide et précise de visages exprimant la joie et la colère et que ces émotions sont perçues comme plus intenses si ces visages présentent un regard direct que lorsqu’ils présentent un regard dévié ; alors que l’inverse est retrouvé pour des expressions comme la peur et la tristesse(148,149). Ils suggèrent alors qu’un regard direct favoriserait la perception des émotions dites « d’approche » (approach-oriented, colère et joie) alors qu’un regard dévié favoriserait les émotions dites « d’évitement » (avoidance-oriented, peur et tristesse). Les auteurs mettent en lien ces résultats avec un mécanisme probable de détection du danger en situation de menace. D’autres n’ont par contre pas réussi à reproduire ces résultats(150,151). Bindemann et al, ont par ailleurs montré que la catégorisation de l’émotion variait en fonction du nombre d’expressions inclues dans le paradigme utilisé évoquant que les résultats initiaux d’Adams et Kleck soient le reflet d’un probable effet paradigme dépendant plutôt qu’un effet réel du contact oculaire sur la catégorisation des expressions faciales.

De leur côté, Graham et La Bar mettent en évidence un impact de la direction du regard dans l’interprétation des expressions, en particulier dans le cas d’expressions faciales « ambiguës »(152). En effet, lorsque les émotions sont couplées à un déplacement du regard chez un individu, ces indices peuvent diriger les actions d’un observateur vers un stimulus de l’environnement ou au contraire l’en éloigner. Le rôle de ces déplacements du regard est d’autant plus important lorsque l’on est confronté à des expressions, comme la peur, dont la valence émotionnelle peut être ambiguë jusqu’à

l’identification précise de la menace(152,153). Ainsi, la combinaison de signaux sociaux comme le contact oculaire, le déplacement du regard et les changements d’expression d’un individu permettent des inférences sur son état interne et la saillance d’évènements environnementaux. Cette dyade serait un déterminant puissant de l’attention et des actions dans le contexte d’une interaction sociale(154). Cette hypothèse évoque d’ores et déjà l’implication du regard dans des processus cognitifs plus complexes impliqués dans la théorie de l’esprit et que nous développerons plus loin dans ce travail.