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B. Fonctionnement atypique du regard dans les TSA :

3) Etudes longitudinales et perspectives développementales

Plusieurs études chez l’enfant ont tenté de mettre en évidence des patterns de fixation du regard prédictifs de l’émergence ultérieure d’un TSA. Dans une étude longitudinale, Young et al(217) ont observé le schéma de fixation du regard chez des enfants de 6 mois. Ils rapportent qu’aucun des enfants ayant montré un pattern de fixation du regard diminué n’a présenté de signe de TSA au cours des 18 mois suivant alors que tous les enfants diagnostiqués TSA au cours de cette période montraient, au contraire, une fixation du regard maternel et une réponse émotionnelle typiques. Dans la même étude, la mise en évidence d’un lien entre la fixation de la bouche pendant l’interaction des enfants avec leur mère et le niveau de développement du langage suggèrent que les différences individuelles sur le plan du développement du langage chez les TSA pourraient influer sur le

fonctionnement du regard. Cette hypothèse étant renforcée par les résultats d’autres études(212,216).

En 2012, Bedford et al.(233) ont essayé d’évaluer l’impact des capacités de suivi du regard sur le développement de la capacité d’attention conjointe. Ils ont recueilli grâce à une technique d’eye-tracking le suivi du regard aux âges de 7 et 13 mois, d’enfants avec et sans apparentés familiaux avec TSA. Les résultats ne montraient pas de différence entre les deux groupes aux deux âges. Par contre, les enfants présentant des difficultés sociales et de communication (TSA ou développement atypique sans TSA) lors d’une troisième visite à l’âge de 36 mois, faisaient moins attention à l’objet congruent en comparaison des sujets à développement typique des deux groupes. Ces résultats suggèrent que l’émergence subtile de difficultés d’attention conjointe dans la petite enfance pourrait être liée à l’émergence des TSA.

Enfin, Elsabagh et al(234) ont recherché un lien entre la réponse électrophysiologique au regard pendant l’enfance et l’émergence d’un TSA. Pour cela, ils ont enregistré les potentiels évoqués P1, N290, et P400 (considérés par la communauté scientifiques comme précurseurs des potentiels évoqués N170 impliqués dans les processus d’analyse des visages), chez des enfants âgés de 6 à 10 mois, lors de la présentation de visages avec un regard direct ou dévié. L’analyse longitudinale montrait que les caractéristiques des potentiels évoqués P400 (à 6-10 mois) en réponse au changement dynamique de direction du regard (vers l’enfant) étaient associées au diagnostic de TSA à l’âge de 36 mois. Par ailleurs, ils ne retrouvaient pas de différence concernant le temps de fixation des yeux dans les groupes testés pouvant ainsi exclure une éventuelle interférence de cette donnée dans l’interprétation de la réponse cérébrale.

Tous ces résultats sont en faveur de l’émergence précoce de particularités subtiles chez les enfants à risque de développer un TSA, pouvant difficilement être mises en évidence par les protocoles d’études comportementaux.

4) Synthèse

La littérature scientifique s’accorde sur l’observation d’une atypicité du contact oculaire et sur le lien direct entre cette particularité et les altérations du fonctionnement social observé dans les TSA. Falck-Ytter et al(235) ont montré un lien direct entre le fonctionnement correct du regard et les performances socio-adaptatives mesurées par la VABS-II (Vineland Adaptative Behaviour Scale) dans une population d’enfant présentant un TSA. Mais les résultats relevés dans la littérature ne sont pas tous en faveur d’une réduction du contact oculaire chez les individus avec TSA par rapport aux individus à développement typique. Des études récentes suggèrent que cette fixation oculaire réduite ne serait pas observée au cours du développement précoce. Notamment, l’hypothèses d’un excès de fixation de la bouche par rapport à la région des yeux trouve plus de support chez les adultes que chez les enfants avec TSA. Ces résultats ouvrent la perspective intéressante que la diminution des contacts oculaires observée chez les adultes TSA pourrait ne pas être la cause de leur dysfonctionnement social mais plutôt sa conséquence. Par ailleurs, l’idée populaire selon laquelle les enfants avec TSA regardent moins les yeux pourrait en réalité refléter le fait qu’ils font moins attention aux informations sociales dans leur globalité, donc aux personnes en général et aux visages(218).

Les études montrent que des atypicités structurales, de connexions ou encore dans l’activité de l’amygdale semblent impliquées dans le traitement atypique des visages observé dans les TSA et pourrait contribuer à l’orientation atypique de leur regard. Néanmoins, ces observations n’expliquent pas totalement comment le fonctionnement atypique de l’amygdale interviendrait dans la particularité du contact oculaire observée. Les individus avec TSA montrent une sensibilité à la perception d’un contact oculaire dans plusieurs études physiologiques et électrophysiologiques mais ces réponses ne semblent pas avoir d’impact sur les performances au cours des tâches d’analyse des visages. Ces résultats contradictoires suggèrent que ces réponses physiologiques et électrophysiologiques observées, moins spécifiques et moins

fonctionnelles, ne facilitent ni n’interfèrent avec la réponse comportementale au contact oculaire. Ainsi l’« eye contact effect » décrit chez les sujets à développement typique ne semble pas retrouvé chez les individus avec TSA qui ne montrent pas l’effet facilitateur du regard direct (« effet stare-in a- crowd »)(230,231). Les résultats des études chez l’enfant apportent des preuves en faveur d’une réponse neurale diffuse et moins spécifique au contact oculaire mais peu en faveur d’un évitement actif du regard ou d’une absence de réponse. Ces résultats sont concordant avec l’hypothèse d’un fonctionnement moins spécialisé du cerveau social dans les TSA qui serait dû à un fonctionnement atypique de la voie sous corticale de détection du regard (dont l’amygdale) et/ou de sa communication particulière avec les structures corticales du cerveau social ; et ce dès le développement précoce. Néanmoins, les résultats instables observés dans la littérature scientifique et la pauvreté des données développementales ne permettent pas de conclure définitivement sur l’unicité d’un des modèles discutés.

Il est donc important de clarifier les bases développementales de l’évitement du regard qui n’apparaît pas être universel chez les individus avec TSA, mais pourrait être présent dans une sous-population. Le fait que la réduction du nombre de fixations oculaires soit plus observée chez l’adolescent et l’adulte que chez les enfants avec TSA pourrait signifier qu’un évitement actif du regard serait un symptôme secondaire apparaissant ou se majorant à l’adolescence. Un tel comportement pourrait, par exemple, refléter la présence de symptômes comorbides d’anxiété sociale dans cette sous-population. En effet, Corden et al(208), ont mis en évidence une corrélation entre une diminution du temps de fixation des yeux et des difficultés à catégoriser l’expression de visages apeurés, dans un groupe d’individus avec TSA. Ces résultats étaient indépendamment liés à un plus haut niveau d’anxiété sociale rapporté et sans lien avec l’intensité des symptômes de TSA (mesurés par l’ADOS et l’AQ). Ces résultats suggèrent qu’une partie des différences individuelles observées dans les TSA pourraient être dues à des symptômes anxieux comorbides et non à l’altération des compétences sociales en elle même(236).

V. Troisième Partie : Evaluation de la réactivité anxieuse au regard dans une population d’adultes présentant un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) et dans une population d’adultes non TSA présentant un Trouble Anxieux Sociale.

A. Contexte et problématique

Le taux de comorbidités générales (médicales, développementales ou psychiatriques) chez les enfants avec TSA est évalué autour de 70%(6). La littérature grandissante sur le sujet retrouve des taux de troubles anxieux associés allant de 15,7%(128) à 61%(129) dont la Phobie sociale qui serait particulièrement fréquente (11,7%(130) à 29,2%(73)). Lorsque l’on considère la symptomatologie anxieuse dans une démarche plus dimensionnelle, certains auteurs relèvent des taux d’atteinte clinique significative pouvant aller jusqu’à 57,1% chez les enfants avec TSA(87). Les études chez l’enfant font état d’une majoration de la symptomatologie anxieuse avec l’âge que les auteurs mettent en lien avec la confrontation des individus avec TSA à de nouvelles épreuves sociales plus complexes au cours de la vie et une prise de conscience optimisée de leurs difficultés au fur et à mesure de leurs apprentissages. En effet, les études réalisées chez l’adulte confirment les chiffres de prévalence élevés comme Joshi et al(118) qui estiment un taux de prévalence vie entière du Trouble anxieux sociale à 56% chez des adultes TSA. Par ailleurs, d’autres auteurs observent une symptomatologie anxieuse plus sévère dans la population TSA sans déficience intellectuelle que chez les patients déficients sur ce plan, bien que cette idée soit controversée dans la littérature (cf. Van steensel et al(237) pour revue détaillée.

Les troubles anxieux sont des affections chroniques pouvant engendrer une aggravation du pronostic fonctionnel et de la qualité de vie des patients. En 2015, Kerns et al. ont observé une majoration des symptômes dépressifs, des comportement auto-agressifs et du stress parental dans une population

apparaît alors indispensable de pouvoir diagnostiquer ces troubles et de proposer une prise en charge adaptée afin de limiter cet impact. Dans ce domaine, la pauvreté d’échelles adaptées(111,238) et la présence de nombreux symptômes confondant rendent parfois ardue l’identification d’un diagnostic différentiel ou de comorbidité. En particulier, le contact oculaire atypique est un des symptômes observé au premier plan dans les deux troubles. La littérature scientifique a proposé différents modèles pouvant expliquer en partie l’atypicité du regard présentée dans les TSA (cf. Senju et al pour revue détaillée(206)). Ces auteurs ont proposé un modèle récent s’éloignant des hypothèses historiques. Ce dernier suggère l’existence d’un réseau cortico-sous-cortical dont l’amygdale serait au premier plan et impliqué dans le processus de détection des visages. Ce réseau, dans les TSA serait proche de celui observé chez les sujets à développement typique, sans avoir pu acquérir une connectivité aussi fonctionnelle au cours du développement et de ce fait ni la même spécificité ni la même précision(176,206). Ce modèle semble à ce jour fournir l’explication la plus plausible du dysfonctionnement du regard observé dans les TSA. Néanmoins, un sous-groupe dans cette population présenterait tout de même un évitement actif associé à une réactivité émotionnelle comme l’évoquait Dalton et al en 2005(209). De plus, la diminution du nombre de fixations oculaires observée chez l’adolescent et l’adulte par rapport à ce qui est mis en évidence chez les enfants avec TSA questionne sur le présence d’un évitement actif du regard qui pourrait être secondaire à l’apparition de symptômes comorbides d’anxiété sociale dans cette sous-population. Dans ce sens, Corden et al(208) en 2008 ont observé, dans une population avec TSA, qu’une diminution du temps de fixation oculaire était lié à une plus grande difficulté à identifier des émotions à valence négative (comme la peur) et associée à un plus haut niveau d’anxiété sociale rapportée. Ces résultats suggèrent qu’une partie des différences individuelles observées dans les TSA pourraient être dues à des symptômes anxieux comorbides et non à l’altération des compétences sociales en elle même(236). Ce mécanisme proposé se rapproche du modèle d’évitement du regard largement décrit dans le Trouble Anxieux Social(207).

B. Objectifs de l’étude :

A la lumière des faits mis en évidence dans la littérature scientifique, l’objectif principal de notre étude sera de tenter d’évaluer l’anxiété liée au regard chez des personnes présentant un Trouble du spectre autistique puis de comparer les résultats obtenus aux données recueillies dans une population d’adulte présentant un Trouble Anxieux Social.

Ces résultats nous permettront également de tester la validité de l’utilisation dans la population TSA de deux échelles cliniques initialement développées pour l’évaluation du Trouble Anxieux social :

• la GARS(239), une échelle d’évaluation de la réactivité anxieuse face au regard d’autrui.

• et l’échelle d’Anxiété Sociale de Liebowitz(55).

Enfin, nous tenterons d’évaluer la possibilité de discrimination des deux pathologies par l’exploration du déficit des habiletés sociales observé dans les deux troubles et évalué à l’aide de la Social Responsiveness Scale-2, une échelle communément utilisée dans les TSA.

C. Matériel et méthode :

1) Description de la population :

24 patients ont été inclus entre février et juillet 2015 et répartis en deux groupes en fonction du diagnostic.

Le groupe TSA comportait 13 patients présentant un TSA sans déficience intellectuelle et âgés de plus de 18 ans. Ils avaient tous bénéficié d’un diagnostic posé selon les critères actuels de la CIM-10(54) par des médecins cliniciens experts du Centre Ressource Autisme de Bordeaux, service du Pôle de Pédopsychiatrie Universitaire du Pr. BOUVARD. Les patients avaient reçu un diagnostic de TED-NOS ou Syndrome d’Asperger à la suite de plusieurs entretiens cliniques et de la passation de plusieurs échelles psychométriques dont l’ADI-R(28) et l’ADOS(29) selon les recommandations

obtenues après application de l’échelle de Weschler adaptée à l’âge du patient(240,241) au moment de la passation. Les patients présentaient tous un Indice de Compréhension Verbal ou un Indice de Raisonnement Perceptif supérieur à 75 signifiant l’absence de déficience intellectuelle associée.

Le groupe Phobie Sociale (PS) était constitué de 11 patients présentant un diagnostic de Trouble anxieux social et âgés de plus de 18 ans. Les patients étaient inclus depuis le service du Pr. AOUIZERATE (CERPAD), un centre de consultation expert dans la prise en charge des troubles anxieux et de la dépression, ou issus d’une consultation de psychiatrie libérale. Les patients avaient tous reçus un diagnostic clinique posé par un médecin psychiatre selon les critères actuels de la CIM-10(54) et du DSM-IV-TR(35) à la suite de plusieurs entretiens cliniques. Par ailleurs, le score à l’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz(55) devait être supérieur au seuil diagnostique de 30(242).

Les critères d’exclusion dans les deux groupes comportaient un âge inférieur à 18 ans, une déficience intellectuelle, un épisode thymique caractérisé actuel ou un trouble psychotique selon les critères de la CIM-10(54) et du DSM-IV-TR(35). Par ailleurs, un proche devait être disponible afin de compléter un hétéro-questionnaire, la Social Responsiveness Scale-2.

2) Protocole