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3. Chapitre II – Notions théoriques

3.2. La traduction des noms propres

La traduction des noms propres peut relever de règles précises ou de la volonté du traducteur.

Dans La traduction des noms propres, Michel Ballard donne différentes règles de la traduction en français. Il explique, par exemple, que les appellatifs devraient être conservés et que les noms des souverains, des saints et les surnoms devraient être traduits plus ou moins

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littéralement. Toutefois, dans une traduction littéraire, comme dans Harry Potter, un sens peut se cacher derrière un nom propre. Et Ballard d’ajouter :

le déclencheur de traduction est la perception d’ « un sens », qui génère « un désir de traduire » ; mais […] les options varient selon les traducteurs, c’est véritablement un cas où intervient fortement la subjectivité. (Ballard, 2001 : 122)

En espagnol, Virgilio Moya explique que les anthroponymes et les toponymes ne se traduisent généralement pas, mais peuvent subir une adaptation. Il précise que :

En ce qui concerne le reste des noms propres (les titres, les noms des partis politiques, les noms littéraires qui ont un sens évident, etc.), il faut signaler que les traductologues sont d’accord sur leur traducibilité. (Moya, 2000 : 25-26)

Le choix du traducteur de traduire ou de ne pas traduire un nom propre dépend du sens qu’il perçoit et des moyens dont il dispose pour rendre ce sens. Il peut tenter, par différents procédés que nous examinerons plus tard, de traduire ces noms, mais il peut également décider de les conserver dans leur version originale. Toutefois, Jacqueline Henry précise que :

il semble évident que la non-traduction d’un nom dont la signifiance est jugée langue cible, sous peine de nommer « faussement » un personnage. Le choix dépend donc de la compréhension du sens par le traducteur, mais Eugène Nida souligne que :

Nous ne comprenons pas seulement la référence de mots ; nous réagissons aussi à ceux-ci avec émotion, parfois fortement, parfois faiblement, des fois positivement, des fois négativement. (Nida, 1982 : 91)

Même si un nom propre ne semble pas transmettre de sens, le lecteur peut réagir à ses sonorités ou à son orthographe, qui varient d’une langue à une autre. Une éventuelle absence de sens peut tout de même entrainer une traduction, ou tout du moins une adaptation

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d’arrivée et essentiellement déterminé par sa fonction auprès du public cible, et non pas seulement par les caractéristiques du texte de départ. (Delisle, 1999 : 82) Cette théorie a été proposée dans les années 1970 par Hans Vermeer, un linguiste et traductologue allemand, et se fonde sur l’idée qu’il faut savoir pour quel objectif le texte source doit être traduit avant de commencer à le traduire. Christiane Nord cite les trois règles essentielles définies par Vermeer et Reiss dans l’application de cette théorie :

1. La règle du skopos.

2. La règle de la cohérence intratextuelle

3. La règle de la fidélité ou de la cohérence intertextuelle

La règle du skopos stipule qu’un « acte traductionnel est déterminé par son skopos, c’est-à-dire que la fin justifie les moyens » (Nord, 2008 : 43). Selon ce principe, un traducteur est donc libre de modifier à son gré le texte source, quelle que soit sa nature. Il peut procéder à des ajouts, à un changement de style ou autres modifications tant qu’il reste cohérent avec le public cible et ce que le skopos lui impose. En effet, la fonction d’un texte d’arrivée peut diverger de celle du texte de départ. Reiss et Vermeer expliquent que :

Un skopos ne peut pas être défini si le public cible n’est pas identifié. Si le public cible n’est pas connu, il est impossible de déterminer si une fonction particulière a un sens ou pas pour lui. (Reiss & Vermeer, 2013 : 91)

Conserver la fonction du texte de départ n’est donc pas essentiel pour traduire un texte, puisque le public cible peut être différent dans les langues cibles. Alice in Wonderland, de Lewis Caroll, par exemple, était un texte initialement destiné aux adultes. La première traduction respectait donc le skopos du texte original. Puis il a été adapté pour les enfants, et les traductions suivantes poursuivaient un autre skopos, défini par le public auquel le traducteur s’adressait.

La règle de la cohérence intratextuelle mentionne que le texte doit être « intelligible pour le récepteur et [avoir] un sens dans la situation communicationnelle et culturelle d’accueil » (Nord, 2008 : 46). Un texte d’arrivée, que ce soit en partie ou dans sa totalité, doit pouvoir transmettre une signification aux destinataires de la culture cible. Toutefois, cela ne signifie pas qu’une « "bonne" traduction doive nécessairement se conformer ou s’adapter au comportement de la culture cible ou aux attentes de celle-ci » (Nord, 2008 : 44), mais qu’elle doit être cohérente pour le récepteur. Christiane Nord soutient que le destinataire d’une traduction devrait pouvoir comprendre le texte de la même façon que le destinataire du texte source le comprend dans sa version originale (Revista de traducció, 2003 : 122). Cela implique de pouvoir saisir l’humour, d’éventuelles

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références, des connotations, et bien d’autres aspects, qui nécessitent une adaptation dans la langue cible afin d’être compréhensible pour le destinataire de la traduction. Toutefois, la complexité de la traduction littéraire se situe précisément dans le sens que le lecteur donne au texte. Comme l’explique Nord :

Un texte n’a de sens que celui que lui donne le lecteur. Les différents récepteurs (ou un même récepteur à des moments différents) d’un texte trouveront différents sens dans le même matériau linguistique que leur propose le texte. On pourrait même constater qu’un texte donné a autant d’interprétations potentielles qu’il y a de récepteurs. Ce concept dynamique de sens et de la fonction d’un texte figure assez fréquemment dans les théories contemporaines de la réception du texte littéraire. (Nord, 2008 : 46)

Dès lors, la tâche des traducteurs littéraires devient complexe, puisqu’ils sont les premiers à interpréter un texte pour rendre le sens qu’ils en ont tiré, mais qui n’est peut-être pas celui que le lecteur du texte source comprend. De plus, le traducteur reformule le message qu’il saisit, mais il ne peut pas être certain que le destinataire de sa traduction le comprenne de la même façon que lui.

La règle de la fidélité précise qu’un « texte traduit étant une offre d’information issue d’une offre précédente d’information, il doit bien exister […] un lien entre celui-ci et le texte source correspondant » (Nord, 2008 : 46). Même si le traducteur a la possibilité de modifier le texte comme il le souhaite, la traduction doit conserver un lien avec le texte source, sous peine de ne pas être une traduction de ce texte de départ, mais un nouveau texte en langue cible.

Dans Interpréter pour traduire, Danica Seleskovitch et Marianne Lederer défendent la méthode interprétative, selon laquelle la traduction n’est pas un travail sur les mots, mais un travail sur le message et sur le sens. Elles montrent qu’il est essentiel, mais surtout naturel, de déverbaliser un texte puis de le reformuler. Cette théorie souligne l’importance de comprendre le vouloir-dire de l’auteur, le message qu’il veut transmettre à travers ses écrits, dans le but de le reformuler pour qu’il soit accessible à un destinataire de langue étrangère, de la même façon qu’il l’est pour un lecteur en langue source (Seleskovitch &

Lederer, 2014 : 26-38).

3.2.2. Les skopoi dans Harry Potter

Comme nous l’avons vu précédemment, Rowling a volontairement doté ses personnages, ses lieux et ses créatures de noms évocateurs, possédant des connotations, des références, etc. Selon la théorie du skopos, le traducteur devrait donc veiller à traduire tous les noms qui transmettent un message, que ce soit implicitement ou explicitement, afin que le

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destinataire de langue cible puisse comprendre la même chose que son homologue de langue source. Nous pouvons distinguer plusieurs skopoi dans Harry Potter. Le premier est la reformulation de l’intrigue, avec toutes les actions qu’elle implique ; le deuxième, sujet de notre travail, est la transmission du message que portent les noms propres ; le troisième est la restitution de l’humour. D’autres skopoi existent, comme la transmission de la culture britannique. Ils dépendent des choix du traducteur. Dans le cas de la traduction française, nous pouvons affirmer que Ménard a été sensible au message transmis par les noms propres et aux formes humoristiques. En effet, il a porté une attention particulière à leur traduction, conscient qu’ils transmettaient un sens important que le destinataire de langue cible devait saisir, sans quoi le texte perdrait des informations et ne correspondrait plus à la langue source sur ces points.

En espagnol, les traducteurs n’ont pas défini le même skopos que Ménard. Ils n’ont, en effet, pas traduit la grande majorité des noms propres, ne transmettant ainsi pas le message se cachant derrière chacun d’entre eux dans la version originale. Leur skopos était de retransmettre les péripéties de Harry Potter, dans lesquelles les noms des différents personnages et lieux ne jouent pas de rôle particulier.

Nous relèverons que le skopos n’est pas nécessairement un processus conscient. Bien qu’il ait une idée relativement précise du public auquel il s’adresse, le traducteur ne définit pas toujours son skopos avant de commencer à traduire. Cette démarche peut être inconsciente.

Les notions théoriques importantes étant introduites, nous arrivons à présent au troisième chapitre. Celui-ci est le plus important, le cœur de notre travail. Il contient l’analyse de tous nos exemples.

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