Le roman terrifiant dans le contexte de la Révolution française
IV. Les traducteurs du roman gothique, quand l’engagement politique aide à comprendre le choix de traduction et vice versa
Du côté des traducteurs du gothique, sur trente-cinq hommes pour la période englobant la
Révolution et la Première République (1789-1804), on compte douze aristocrates, deux abbés
et un prêtre défroqué, un nombre significatif lorsqu’il est comparé à celui de la plus longue
période de la première vague du gothique, 1789-1821, et qui passe à dix-sept membres de la
noblesse et du clergé confondu sur cinquante-trois traducteurs. Ainsi, nous pouvons faire le
même constat que pour les traductrices : la période révolutionnaire et la Première République
témoignent de la reconversion forcée de certains ci-devants et d’anciens membres du clergé
dans la littérature en général et la traduction en particulier afin de subvenir à leurs besoins.
Mettons en lumière quelques-unes de ces figures de traducteurs du roman gothique, qu’ils
soient hommes de lettres, journalistes, professeurs ou fonctionnaires momentanément
reconvertis en traducteurs du roman gothique, et qui tous ou presque sont impliqués dans la
Révolution française ou ses conséquences, que ce soit par leurs actions ou leurs écrits.
1. Royalistes et contre-révolutionnaires
Nous avons vu précédemment que de nombreux aristocrates et certains membres du
clergé se tournent vers la traduction à la suite de la perte de leurs privilèges et bénéfices. La
plupart d’entre eux sont d’orientation royaliste ou bien ennemis de la Révolution. Parmi eux,
125 d’origine nancéenne et avocat de formation. Son poste au ministère des Relations extérieures
en 1792 constitue un cas parmi d’autres de carrière interrompue par les événements
révolutionnaires. Ces derniers « lui inspirèrent tant d’horreur et de dégoût qu’il renonça à son
emploi.1 » Il est l’auteur d’une Histoire du Directoire exécutif de la république française (1801)
que Michaud qualifie de « censure fort amère et fort juste de la politique du gouvernement
directorial, et en général de l’esprit révolutionnaire que Henry a combattu dans tous ses
ouvrages.2 » Il a traduit The Mystic Castle ; or, Orphan Heir (1796), dont le titre fait
immédiatement songer aux événements révolutionnaires et qui connaît le succès3. Publié au
moment de la vogue des romans de Radcliffe, comme eux, il est célébré par la critique pour sa
finalité morale et l’usage de la technique du surnaturel expliqué, une technique qui, comme
nous le verrons, s’intègre pleinement à l’idéologie républicaine.
Faisons également allusion à l’abbé Antoine-Noël-Mathieu Christophe (1768-1824),
qui venait de recevoir la prêtrise lorsqu’il dût quitter la France pour avoir refusé en 1791 le
serment à la constitution civile du clergé. Il émigre en Savoie, puis en Suisse, et rentre en France
en 1797 pour se livrer aux travaux littéraires afin de subvenir à ses besoins. Il est l’auteur des
Deux Emilies, ou les Aventures du duc et de la duchesse d’Aberden (1800) et du Château de Saint-Hilaire, ou le Frère et la sœur devenus époux (1801), deux traductions d’ouvrages par les sœurs Sophia et Harriet Lee4.
1
Alphonse Rabbe, Claude-Agustin Vieilh de Boisjolin et Charles-Augustin Sainte Beuve (dir.), Biographie universelle et portative des contemporains, Paris, chez F. G. Levrault, 1834, vol. 2, p. 2061.
2 Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, tome 19, Paris, Chez Madame C. Desplaces et chez Michaud, 1857, pp. 228-229.
3 Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte Beuve (dir.), Op. cit., vol. 2, p. 2061.
4 Le premier est une traduction de The Two Emilys (1797) de Sophia et le second est une traduction d’un ouvrage non identifié.
126 Mentionnons enfin François-Thomas Delbare
(1770-1855), tantôt publiciste, tantôt romancier
légitimiste et pamphlétaire royaliste1, il a également
traduit Dusseldorf ; or, the Fratricide (1798) d’Anna
Maria Mackenzie2, qui, rappelons-le, fait également
l’objet d’une autre traduction par Marquand.
Terminons notre panorama des figures de
traducteurs antirévolutionnaires avec trois hommes
peut-être davantage engagés que leurs compatriotes
royalistes mentionnés précédemment, Louis-François
Bertin de Vaux, dit Bertin l’Aîné (1766-1841),
Pierre-Vincent, comte Benoist (1758-1834) et
Jean-Baptiste-Denis Desprès (1752-1832).
Le premier (fig. 8)3, qui avait d’abord été destiné à l’état ecclésiastique, a fait ses études
au collège de Sainte-Barbe4, mais la Révolution l’empêcha d’y faire carrière5. Dans la mesure
où le père de Louis-François avait été secrétaire du duc de Choiseul6, l’orientation politique de
la famille Bertin était connue. C’est donc naturellement que Bertin l’aîné se tourne vers le
1 Quérard, Le Quérard, archives d’histoire littéraire, de biographie et de bibliographie françaises, complément périodique de la France littéraire, à Paris, au bureau du journal, première année, 1855, p. 78.
2
Dusseldorf, ou le Fratricide, par Anna-Maria Mackenzie, traduit de l’anglais par L. A. Marquand, Paris, Lemierre, an VII [1799].
3
Jean-Auguste-Dominique Ingres peint son portrait en 1832. Le tableau constitue l’une de ses œuvres les plus célèbres.
4 Alphonse de Beauchamp, Biographie moderne, ou Dictionnaire biographique, de tous les hommes morts et vivans, seconde édition, à Leipzig, chez Paul-Jacques Besson, 1806, p. 225.
5 Ibid., pp. 411-412.
6 William Duckett (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture, seconde édition, Paris, Firmin Didot, 1860, vol. 3, p. 90.
Figure 8. François-Xavier Fabre, « Portrait de Louis-François Bertin, dit Bertin l’Aîné
(1746-1841) », 1803, huile sur toile, Montpellier musée Fabre
127 journalisme de presse royaliste. En 1793, il concourt à la rédaction de plusieurs journaux,
notamment à celle de l’Éclair1. Six ans plus tard, il fonde avec son frère le Journal des Débats,
considéré comme « le plus influent des organes de la critique littéraire et de l’opinion
monarchique »2. Accusé par Napoléon de mener un complot royaliste, Louis-François est
détenu pendant neuf mois dans la prison du Temple. Il est proscrit en même temps qu’Alexandre
Duval, dont nous reparlerons, et Chateaubriand, dont il est l’ami intime3, et avec qui il dirige
pendant un temps le Mercure de France4, une revue d’orientation royaliste. Exilé à l’île d’Elbe,
Bertin l’aîné parvient à s’en échapper et parcourt l’Italie jusqu’en 1805, avant de rentrer en
France où il reprend la direction du journal tout en soutenant la Restauration. On lui doit
plusieurs traductions de romans gothiques qui paraissent au plus fort de la vogue : Eliza, ou
Mémoires de la famille Elderland (1798)5, La Cloche de minuit (1798)6, La Caverne de la mort
(1799)7 et L’Eglise de Saint-Siffrid (1799)8.
Le second, secrétaire de la Commune de Paris en 1789, puis secrétaire du ministère de
l’intérieur jusqu’en 1814, aurait été un agent contre-révolutionnaire chargé de développer la
corruption au sein des institutions républicaines9. Pendant la Terreur, il émigre en Suisse et ne
rentre qu’après Thermidor. A partir de 1799, on le trouve chargé de hautes fonction au sein du
1
Beauchamp, Op. cit., p. 225.
2 Encylopédie des gens du monde, Op. cit., vol. 3, pp. 411-412.
3 Ibid., pp. 411-412.
4 Ibid., pp. 411-412.
5
Traduction de The Castle on the Rock ; or, Memoirs of the Elderland Family (1798).
6
Traduit d’un roman de Francis Lathom intitulé The Midnight Bell, a German Story, Founded on Incidents in Real Life (1798).
7 Traduction de The Cavern of Death, a Moral Tale (1794), un ouvrage anonyme.
8 Traduit de The Church of St. Siffrid (1797), tantôt attribué à Janes West, tantôt à Elizabeth Hervey.
9 Gustave Bord, La Fin de deux légendes. L’affaire Léonard. Le baron de Batz, Paris, Henri Daragon, 1909, pp. 91-92.
128 Conseil d’État, et à partir de la Restauration, au Ministère de l’Intérieur. Il semble que son rôle
de traducteur de romans gothiques passe essentiellement par des collaborations : il aurait
secondé André Morellet dans ses traductions de romans gothiques1 et pris part à celle de The
Monk avec son collègue Desprès.
Jean-Baptiste-Denis Desprès, secrétaire du commandement de l’intérieur du royaume
de 1783 à 1789, a collaboré de 1789 à 1792, avec, entre autres, Arthur Dillon et
Joseph-Alexandre Pierre, vicomte de Ségur, à une revue antijacobine2 et pour laquelle il a été
emprisonné avec le vicomte de Ségur à Saint-Lazare en 17933. Le Moine (1797) est une
traduction intéressante dans la mesure où elle est célébrée par la critique pour sa dimension
anticléricale et prorévolutionnaire qui entre en conflit avec les opinions politiques des deux
derniers traducteurs. En effet, la Décade célèbre le roman pour sa peinture de « la race
monachale4 ». En dépit de l’orientation politique de ses traducteurs, le roman de Lewis constitue
pourtant un choix de traduction logique étant donné le contexte dans lequel il paraît, avec sa
dénonciation d’une société de type Ancien Régime corrompue, qui fait écho à l’idéologie
révolutionnaire et républicaine.
Le fait que la plupart de nos traducteurs du gothique soient d’orientation royaliste ou
bien ennemis déclarés de la Révolution est un constat à la fois attendu et surprenant. D’une part,
il est attendu dans la mesure où, comme nous l’avons vu, de nombreux aristocrates et certains
membres du clergé se voient contraints d’avoir recours à la plume pour subvenir à leurs besoins
à la suite de l’abolition de la monarchie et des privilèges qui leur permettaient de vivre. D’autre
1 Biographie pittoresque des députés de France, session de 1819 à 1820, à Bruxelles, chez J. Maubach, Septembre 1820, p. 22.
2
Il s’agit peut-être des Actes des Apôtres, pamphlet périodique créé le 2 novembre 1789 par Jean-Gabriel Peltier.
3
Michaud, Biographie des hommes vivants, Paris, Michaud, octobre 1816-février 1817, vol. 2, p. 387.
4
129 part, il est surprenant compte tenu du fait que les romans gothiques qu’ils choisissent de traduire
entrent en conflit avec leur propre orientation politique et pour des raisons auxquelles nous
reviendrons ultérieurement.
2. Modérés
Cinq de nos traducteurs se situent du côté plus modéré du spectre des opinions politiques
relatives à la période révolutionnaire. Jean-François André (1744-18..) est un journaliste
vosgien conservateur ayant participé à la rédaction de plusieurs journaux modérés,
contre-révolutionnaires ou bien conservateurs. Citons parmi eux le Modérateur, créé par
Claude-Marie-Louis-Emmanuel Carbon de Flins des Oliviers et Jean-Pierre-Louis de Fontanes,
le Journal monarchique auquel il prend part avec Fontanes et Stanislas de Clermont-Tonerrre,
co-fondateur du club des Amis de la Constitution monarchique, les Annales monarchiques créé
par Lasalle, un journal qui « se soutint de 1792-94, non sans persécutions1 », et enfin le
Mémorial, toujours avec Fontanes, mais aussi Jean-François de La Harpe et Simon-Jérôme Bourlet, abbé de Vauxcelles2. Il est le traducteur de Norman Banditti ; or, the Fortress of
Coutance (1799) de Felix Ellia3, un ouvrage dont l’éditeur fait la publicité pour sa critique de
la superstition, notamment via l’usage de la technique du surnaturel expliqué, son respect des
convenances et sa finalité morale4, en accord avec le classicisme de mise pendant la Première
République, autant de qualités qui l’inscrivent a priori et malgré l’orientation politique du
1 Quérard, La France littéraire, ou Dictionnaire bibliographique, Paris, Firmin-Didot, 1827, vol. 1, p. 57.
2 Quérard, La France littéraire, ou Dictionnaire bibliographique, Paris, Firmin-Didot, 1827, vol. 1, p. 57.
3 Albert et Théodore, ou les Brigands, traduit de l’anglais, à Paris, de l'imprimerie de Vatar-Jouannet, an VIII [1800].
4
130 traducteur, dans le flot des romans chargés de diffuser les valeurs révolutionnaires et
républicaines.
Mentionnons également François Soulès (1748-1809), homme de lettres et traducteur de
deux romans de Radcliffe, The Castles of Athlin and Dunbayne (1789) et The Romance of the
Forest (1791)1. Sa connaissance de l’anglais lui vient d’un séjour de douze ans en Angleterre2.
De retour en France au moment des événements révolutionnaires, il est électeur de 1789 et
chargé de veiller à la garde de la Bastille du 14 au 18 juillet 1789, une mission à la suite de
laquelle il écrit un texte intitulé Événements de Paris, ou Procès-verbal de ce qui s’est passé en
ma présence depuis le 12 juillet 1789 (1789). Auteur d’un discours « à la tribune de la société des amis de la constitution, sur la grande question de savoir de quelle manière l’assemblée
nationale devroit agir envers le roi » (1790) dans lequel il prend la défense du roi, il est
interrompu et accusé par M. Biozat, député de Clermont en Auvergne, de parler contre la
Constitution. Il est aussi le traducteur de Rights of men, being an answer to Mr. Burke's attack
on the French Revolution (1791) de Thomas Paine3, un ami dont il partage certainement les
opinions politiques4, ainsi que l’auteur d’un essai intitulé De l’homme, des sociétés et des
gouvernemens (1792). En 1795, il devient pensionné de la Convention nationale5, une initiative
inscrite dans le processus de réorganisation de l’espace intellectuel, un projet lancé par les
1 Les Châteaux d’Athlin et de Dunbayne, histoire arrivée dans les Montagnes d’Ecosse, par Anne Radcliffe, traduite de l'anglais, à Paris, chez Testu et Delalain jeune, 1797 et La Forêt, ou l’Abbaye de Saint Clair, traduit de l’anglais sur la seconde édition, Paris, Denné jeune, 1794.
2
François Morand, Année historique de Boulogne-sur-mer, recueil de faits et d’événements intéressant l’histoire de cette ville, et rangés selon leurs jours anniversaires, Boulogne-sur-mer, librairie de Mme Vve Déligny, 1859, p. 214.
3 Droits de l’homme, en réponse à l’attaque de M. Burke sur la révolution françoise (1791).
4 Feller, Biographie universelle, ou Dictionnaire historique, nouvelle édition, Paris, Méquignon Junior et J. Leroux, 1844, vol. 11, p. 513.
5
131 Thermidoriens et mené par l’abbé Grégoire1. Cette pension prouve que le traducteur n’était pas
ennemi du gouvernement et que ses opinions étaient certainement modérées.
Évoquons ensuite le comte – ou marquis, selon les sources – Germain Garnier (1754-1821),
qui obtient du Roi son titre de noblesse après avoir été le secrétaire de Madame Adélaïde, un
poste qu’il occupe jusqu’en 1788. Nommé député suppléant aux états généraux, il rejoint par la
suite le parti monarchique constitutionnel2 et s’inscrit en 1790 au Club des Impartiaux, ou Club
monarchique, fondé par Stanislas de Clermont-Tonerre, le rédacteur du Journal monarchique,
auquel participait également le traducteur Jean-François André. Garnier émigre en Suisse après
le 10 août 1792 et ne rentre qu’après Thermidor. En véritable caméléon politique, il incarne
l’exemple de l’aristocrate qui parvient avec succès à se distinguer sous tous les différents
régimes politiques traversés par la France après la Révolution.
D’abord royaliste, Garnier est initialement proscrit aux débuts de la Révolution.
Curieusement, il obtient ensuite la position de vice-président du Directoire en 1795, avant de
devenir préfet de Seine-et-Oise en 1800. Il est élu sénateur en 1804 et reçoit le titre de comte et
la décoration de commandant de la Légion d’Honneur. Nommé président annuel du Sénat en
1809, il vote pour la destitution de Napoléon en 1814 et encourage le retour de Louis XVIII sur
le trône3.
1 Chappey, « La traduction comme pratique politique chez Antoine-Gilbert Griffet de Labaume (1756-1805) », in Op. cit., p. 229.
2
Benoît Malbranque, « Traducteur et économiste. Vie et œuvre du comte Germain Garnier », in Laissons Faire, numéro 6, novembre 2013, en ligne : http://www.institutcoppet.org/2014/01/16/germain-garnier-traducteur-et-economiste-1754-1821 [consulté le 16/02/14].
3 Alphonse Mahul, Annuaire nécrologique, ou Complément annuel et continuation de toutes les biographies ou dictionnaires historiques, IIeme année [1821], Paris, Ponthieu, 1822, p. 186.
132 Garnier a traduit Things As They Are ; or, the Adventures of Caleb Williams (1794) de
William Godwin1, un radical en faveur de la Révolution française. Avec une intrigue explorant
les thèmes de la persécution, des secrets, de la tyrannie au sein d’un cadre domestique, le roman
entre dans la catégorie du roman jacobin anglais2. Il aborde des thématiques politiques
contemporaines telles que le danger de la rétention d’informations ainsi que les différentes
formes de pression exercée sur le sexe faible ou certaines classes sociales et permet de faire le
parallèle entre tyrannie domestique et oppression politico-judiciaire.
L’un des contemporains de Garnier, Pierre-Charles Levesque (1736-1812), est l’auteur
de Rosolia, ou les Mystères de Glaswerca (1799), une traduction d’un roman de Maria
Dallington, que nous n’avons pu identifier et qui se place à la suite d’autres traductions plus
classiques des œuvres de Xénophon, Plutarque et Thucydide3. Issu d’une famille bourgeoise et
graveur de formation, il effectue des études classiques brillantes qui le font remarquer de
Diderot, dont il devient le protégé. Celui-ci le recommande à l’impératrice Catherine II, qui lui
offre une place de professeur de belles-lettres à l’École des Cadets de Saint-Pétersbourg, où il
enseigne de 1778 à 1780 avant de revenir en France au moment de la Révolution. A partir de
1791, il occupe la chaire de morale puis celle d’Histoire au Collège de France et devient
membre de l’Institut national en 17954. Sa participation à la rédaction de l’Encyclopédie,
combinée à sa collaboration à l’Histoire philosophique et politique des établissements et du
commerce des Européens dans les deux Indes (1770) de l’abbé Raynal, montre par ailleurs qu’il
1
Les Avantures de Caleb Williams, ou les Choses comme elles sont, par Williams [sic] Godwin, traduites de l’anglais, Paris, H. Agasse, an IV de la République [1796].
2 Miriam L. Wallace, Revolutionary Subjects in the English « Jacobin » novel, 1790-1805, Lewisburg, Bucknell University Press, 2009, p. 36.
3 Jullian, Op. cit., vol. 6, p. 274.
4 Vladimir A. Somov, « Pierre-Charles Levesque. Protégé de Diderot et historien de la Russie », Cahiers du monde russe 2002/2, vol. 43, pp. 275-294, p. 278.
133 était lié avec les philosophes, dont il partageait certaines idées tout en restant attaché à la famille
royale1. Il est d’ailleurs l’ami d’André Chénier2. L’exécution de ce dernier pendant la Terreur
le mène à vivre dans la réclusion jusque Thermidor.
Un autre traducteur de roman gothique que l’on pourrait qualifier d’« homme des
Lumières » est André Morellet (1721-1819) (fig. 9). Cet Académicien, pensionné de Louis XVI,
et comme Levesque, ami des philosophes et
collaborateur de l’Encyclopédie, prend initialement le
parti des révolutionnaires au début de la Révolution.
Cependant, la tournure prise par les événements le
révolte, comme il l’indique dans ses mémoires en ayant
recours à un vocabulaire typique de celui en usage dans
les romans terrifiants, avant de mentionner ses travaux
relatifs à la Révolution :
La mort de Robespierre et d’une petite partie des scélérats qui avaient adopté son infernale politique […], ayant rendu à la presse une apparence de liberté, au moins pour ceux qui auraient le courage de s’en servir, je pensai que je pourrais faire quelque bien en m’élevant contre plusieurs de ces injustices si criantes et si étendues qui ont couvert la France de débris.
Le premier de ces travaux fut la réclamation des biens des condamnés, victimes des tribunaux révolutionnaires, pour leurs enfans et leurs héritiers. Le Cri des familles, où j’ai plaidé cette cause, fut aussi le premier ouvrage qui parut sur ce sujet.3
1 André Mazon, « Pierre-Charles Levesque, humaniste, historien et moraliste », in Revue des études slaves, vol. 42, fascicule 1-4, 1963, pp. 7-66, p. 34.
2 Ibid., p. 52.
3 Morellet, Mémoires (inédits) de l’abbé Morellet, suivis de sa correspondance, Paris, Baudouin frères, [1821] 1823, vol. 2, p. 32. [C’est nous qui soulignons.]
Figure 9. A. B. Massol (graveur), Portrait d’André Morellet, dessiné
d’après le tableau original, 1822, estampe, Paris, BNF
134 Le Cri des familles a suscité de l’intérêt et a certainement eu de l’influence sur la mise en place du décret du 18 prairial (6 juin 1795) qui stipule la restitution des biens de leur famille aux
héritiers des condamnés à mort par les tribunaux révolutionnaires1.
Morellet collabore au dictionnaire de l’Académie, dont il est l’un des derniers directeurs
avant sa dissolution pendant la Révolution. Il sauve les archives de l’instution ainsi que la
galerie de portraits au moment des événements révolutionnaires et reprend son fauteuil lors de
sa reconstitution en 18032. Forcé de vivre de sa plume à soixante-dix ans à la suite de la perte
de ses bénéfices, Morellet se lance dans la traduction de l’anglais – une langue dont il acquiert
une bonne connaissance lors de deux voyages en Angleterre en 1772 et en 17843.
L’académicien explique dans ses mémoires : « J’entrai, en 1797, dans une carrière bien nouvelle
pour moi et dans laquelle le besoin de vivre me poussa contre mon gré4 ». Pour l’homme de
lettres engagé qu’est André Morellet, il est clair que le statut de traducteur, soumis aux aléas du