• Aucun résultat trouvé

N

ous cultivons notre estime personnelle en pratiquant le courage, la compassion et la connexion au quotidien.

Le mot-clé est pratique. Mary Daly, théologienne, écrit : « Le courage, c’est un habitus, une habitude, une vertu : vous êtes courageux si vous avez des actes courageux. C’est comme apprendre à nager en nageant. Vous apprenez le courage en l’exerçant. » Cela vaut également pour la compassion et la connexion. Nous faisons entrer la compassion dans notre vie en faisant preuve de compassion envers nous-mêmes et envers les autres, et nous nous sentons connectés quand nous allons vers les autres pour entrer en relation avec eux.

Avant de définir ces concepts et d’expliquer leur fonctionnement, j’aimerais vous montrer comment ils vont de pair dans la vie quotidienne lorsqu’on les pratique. Je vais vous raconter une histoire personnelle sur le courage d’aller vers l’autre, la compassion qui naît de dire « j’en suis passé par là » et les connexions qui alimentent notre estime de nous-mêmes.

La tempête De La honte

Il y a quelque temps, la directrice d’une grande école primaire publique et le président de l’association des parents d’élèves m’ont invitée à discuter avec un groupe de parents sur la relation entre la capacité à rebondir et ses limites. À l’époque, je recueillais des données sur le concept de plénitude appliqué à l’éducation des enfants et aux écoles, et j’étais donc ravie de cette opportunité.

Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait.

À l’instant où je suis entrée dans la salle de classe, j’ai ressenti une atmosphère très étrange. Les parents semblaient dans tous leurs états, à la fois inquiets et agités. J’en ai fait part à la directrice, mais elle s’est contentée de hausser les épaules et de s’éloigner.

Le président de l’association des parents d’élèves ne m’a fourni aucune explication non plus. Je l’ai mis sur le compte de ma propre nervosité et j’ai essayé de ne plus y penser.

J’étais assise au premier rang quand la directrice m’a présentée aux parents. C’est toujours une expérience très éprouvante pour moi. Quelqu’un est en train d’énoncer la liste de mon parcours professionnel pendant que je fais tout pour me retenir de vomir et de prendre la fuite. Et la présentation de la directrice n’a fait que renforcer mon état ; je n’avais jamais vécu cela.

Elle disait : « Vous n’allez sans doute pas apprécier ce que vous allez entendre ce soir, mais nous devons écouter le docteur Brown pour le bien de nos enfants. Le docteur Brown est là pour transformer notre école et notre vie ! Elle va nous éclairer et nous mettre dans le droit chemin, que cela nous plaise ou non ! » Elle parlait d’une voix forte et agressive, comme si elle avait les nerfs en pelote. J’avais l’impression qu’elle me présentait pour participer à un spectacle de catch ! Il ne manquait plus que la musique à fond et les stroboscopes.

Le courage, la compassion et la connexion

Avec le recul, je me dis que j’aurais dû monter sur l’estrade et expliquer : « Je me sens très mal à l’aise. Je suis très heureuse d’être parmi vous ce soir, mais je ne suis certainement pas là pour vous mettre dans le droit chemin. Et je ne voudrais surtout pas que vous pensiez que je vais essayer de transformer votre école en une heure. »

Mais je n’ai rien fait. Je me suis mise à parler en mettant en avant le fait que je n’étais pas seulement une chercheuse, mais aussi un parent, avec toutes les difficultés propres à ce rôle. Je ne dissimulais pas ma vulnérabilité. Mais le sort en était jeté. Ces parents n’étaient pas réceptifs. Au contraire, je les voyais même me lancer des regards furieux.

Un homme, assis juste en face de moi, avait les bras croisés sur la poitrine et les mâchoires si serrées que les veines de son cou ressortaient. Toutes les trois ou quatre minutes, il remuait sur sa chaise, roulait des yeux et soupirait – je n’avais jamais entendu quelqu’un soupirer aussi fort. C’était un soupir si sonore qu’il ressemblait plutôt à un « hum ! » traduisant sa profonde réticence. Son comportement était tellement hostile que les autres parents assis à côté de lui en étaient visiblement très gênés.

Certes, personne ne me réservait un accueil positif, sans que je comprenne pourquoi, mais cet homme rendait la soirée vraiment insupportable pour nous tous.

J’ai l’habitude d’enseigner et d’animer des groupes et, en général, je sais gérer sereinement ce genre de situation. Lorsque quelqu’un exerce une influence perturbatrice, vous n’avez que deux solutions : l’ignorer ou faire une pause et aller lui parler en tête à tête de son attitude déplacée. Mais j’étais tellement déroutée par cette expérience étrange que j’ai adopté la pire des attitudes : vouloir l’impressionner.

Je me suis mise à parler plus fort et à prendre un ton beaucoup plus animé. J’ai cité des études et des statistiques à faire froid dans le dos à n’importe quel parent. J’ai été d’une franchise brutale en leur balançant : « Vous avez intérêt à m’écouter si vous ne voulez pas que vos enfants tournent mal, redoublent ou se droguent. » Rien. Aucune réaction. Pas un petit signe de tête ni une grimace.

J’ai juste réussi à ce que les autres parents, déjà de mauvais poil, repartent la peur au ventre. Ce fut un désastre. Tenter de récupérer ou de gagner à sa cause une personne de ce genre est toujours une erreur, car vous sacrifiez votre authenticité. Vous cessez de croire que vous valez quelque chose et vous vous démenez comme un diable pour prouver votre valeur.

À l’instant où mon intervention s’est terminée, j’ai pris mes affaires et me suis dépêchée de rejoindre ma voiture. En sortant du parking, j’avais le visage en feu. Je me sentais honteuse, minable, et mon cœur battait la chamade. J’essayais de repousser les images, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me repasser le film. La tempête de la honte se préparait.

Lorsque les vents de la honte soufflent violemment autour de moi, il m’est quasiment impossible de prendre du recul ou de me rappeler un aspect positif de moi-même. J’entendais ma petite voix intérieure me dire : « Quelle idiote je suis ! Pourquoi ai-je fait cela ? »

Heureusement, grâce à tout le travail que j’ai effectué sur moi-même et à mes recherches, je suis capable de reconnaître la honte lorsqu’elle me submerge. D’abord, je peux identifier les symptômes physiques – la bouche sèche, le temps qui ralentit, les images obsessionnelles, le visage en feu et le cœur qui bat. Je sais que le besoin de me repasser indéfiniment le film douloureux dans ma tête est un signal d’avertissement.

Le courage, la compassion et la connexion

Je sais aussi que la meilleure chose à faire dans ces cas-là semble totalement contraire à ce qu’on pourrait croire : faire preuve de courage et solliciter une oreille attentive ! Nous devons nous approprier notre histoire et la partager avec quelqu’un qui a mérité le droit de l’écouter, quelqu’un sur lequel nous pouvons compter pour réagir avec compassion. Il nous faut du courage, de la compassion et de la connexion. Et le plus tôt possible.

La honte nous empêche d’aller vers l’autre pour lui raconter notre histoire. Elle déteste les mots. Elle ne peut pas survivre au fait d’être partagée. La honte aime le secret. La réaction la plus dangereuse après avoir éprouvé de la honte est de dissimuler ou d’enterrer notre histoire. Lorsque nous enfouissons notre histoire au plus profond de nous, la honte forme des métastases. Je me rappelle avoir crié tout haut : « J’ai besoin de parler à quelqu’un tout de suite. Sois courageuse, Brené ! »

Malheureusement, nous ne pouvons pas faire appel à n’importe qui. Ce n’est pas si simple. J’ai beaucoup de bons amis, mais seulement une poignée de personnes sur lesquelles je peux compter pour faire preuve de compassion quand je suis en proie à un terrible sentiment de honte.

Si nous partageons notre honte avec la mauvaise personne, cela peut nous faire plus de mal que de bien. Dans une situation de ce type, il nous faut une connexion qui tienne la route – l’équivalent d’un arbre robuste solidement planté dans le sol. Évitons à tout prix les cas de figure suivants :

• L’ami qui écoute votre histoire et se sent honteux pour vous.

Il a le souffle coupé en vous écoutant et confirme que ce qui s’est passé a dû être horrible pour vous, en effet. Puis un silence pénible s’installe. Alors c’est à vous de dédramatiser la situation, de détendre l’atmosphère et de dissiper cette gêne que vous sentez chez lui.

La force de l’imperfection Brené Brown

Documents relatifs