• Aucun résultat trouvé

Le Tour de France : un événement mondial

7.1) Une brève histoire du Tour de France

Le Tour de France est le 3ème événement sportif le plus suivi dans le monde après les Jeux

Olympiques et la Coupe du Monde de football. Créé en 1903 à l’initiative de Henri Desgrange, rédacteur du journal L’Auto qui voulait augmenter les ventes de celui-ci face à son principal concurrent, le journal Le Vélo dirigeait par Pierre Giffard, un Normand, qui a créé la course Paris-Brest-Paris en 1891. Cette concurrence a conduit à la création de la plus grande course cycliste au monde. Le développement du Tour de France est dû à de nombreuses innovations à l’image de la caravane publicitaire qui a permis à l’événement de survivre dans les moments de crise. Les logiques dans les choix du parcours du Tour de France ont été mise en avant par

Adrien Barbé20 : il y a à la fois des motivations symboliques liées à l’histoire de l'événement,

l’histoire en général et au patrimoine français, des motivations économiques et des motivations sportives.

7.2) Les retombées du Tour de France

Selon la revue Grand Angle Atout France, le Tour de France représente 80 millions d’euros de retombées économiques pour les collectivités traversées. Comme l’expliquent Jean-Luc Bœuf et Yves Léonard (2003), les textes de 1982 sur la loi de décentralisation ont supprimé le contrôle du préfet sur les actes des collectivités locales. Le résultat fut une concurrence accrue entre celles-ci pour accueillir un événement comme le Tour de France qui contribue à

revaloriser leur image, à attirer des touristes et à soutenir l’économie locale21. Aujourd’hui la

concurrence entre les villes et collectivités territoriales est vive pour accueillir le Tour de France. Chaque année, ASO reçoit de 250 à 300 candidatures pour être ville-étape. Pour Yves Léonard et Jean-Luc Bœuf, les demandes des collectivités locales, principalement des villes, s’inscrivent dans une politique de l’image et sportive avec la perspective de multiples retombées. Cependant, les organisateurs exigent des conditions sine qua non aux villes candidates, notamment en termes de capacité d’accueil hôtelier, qui ne permet pas à toutes les collectivités d’accueillir la Grande Boucle. Le Tour de France participe à la valorisation et à la

20 BARBE, 2016

31

promotion des sites traversés pour les collectivités locales. « Il permet des aménagements et des

infrastructures dans les villes qui ont un effet durable sur le développement économique sans compter les retombées économiques indirectes. » (Bœuf et Leonard, 2003, p. 199). Le Tour de

France permet aussi de mettre en valeur des espaces délaissés avec la présence des médias (audiovisuels surtout) qui contribue à faire connaître des espaces faiblement médiatisés.

Depuis quelques années, la part des collectivités territoriales dans les sources de revenus du Tour de France a baissé passant à 5 % contre 44 % pour les droits de retransmission télévisuels, 39 % pour le marketing et le merchandising et 12 % pour les sponsors. Ce constat est confirmé par l’économiste Andreff (2014), la part des contributions des villes-étapes a régressé passant de 40 % du chiffre d’affaires en 1952 à 5 %. Mais, chaque année, plus de 200 villes sont candidates pour accueillir le départ ou l’arrivée d’une étape du Tour de France avec

un droit d’entrée de 50 000 à 100 000 euros à payer22. Aujourd’hui, une arrivée d’étape du Tour

de France coûte 100 000 euros à une commune alors qu’un départ est à 60 000 euros. Même si la part des collectivités dans le Tour de France est moindre, le coût pour l’accueillir a augmenté de 25 % depuis 2000. Il y a également des frais annexes à prendre en compte qui ne sont pas compris dans le « ticket d’entrée » : le balayage, l’arrosage et la sécurisation qui incombent aux départements et les travaux de voiries (enrobés, terre-pleins, etc.), la promotion de l’événement, les aménagements techniques (barriérage, parking), le nettoyage du site et les frais de logistiques reviennent aux communes. Mais Bœuf et Leonard rappellent que les contributions demandées aux villes-étapes se sont stabilisées et que les petites communes peuvent solliciter l’aide du département ou de la région. Les retombées économiques sont non négligeables grâce aux dépenses de restauration et d’hébergement puisque ce sont 4 000 coureurs, accompagnateurs, chauffeurs, journalistes qu’il faut loger sans oublier les spectateurs qui peuvent réaliser des dépenses auprès des commerçants et des hôteliers.

Certaines communes refusent le passage du Tour de France (à l’image de Grenoble) car même un simple passage sans arrivée ni départ coûte de l’argent. Pour convaincre certaines villes réticentes à accueillir des étapes sur les autres épreuves organisées par ASO (Paris-Nice, Critérium du Dauphiné Libéré, etc.), celle-ci use du levier « Tour de France » en promettant un futur passage de la course dans la commune. D’autres nuisances peuvent être occasionnées par le passage du Tour de France : « le passage dans certains coins reculés, voire délaissés peut

''laisser des traces''. Il en est ainsi du passage du Tour dans les parcs naturels nationaux ou régionaux, comme en 1993 dans le parc du Mercantour où il importe de mesurer les conséquences du passage de centaines de milliers de personnes, mais surtout de celui de la caravane. » (Bœuf et Leonard, 2003, p. 202).

Bernard Pecqueur a expliqué, au cours d’une conférence au Pôle rural de l’Université de

Caen23, que le Tour de France pouvait constituer une ressource territoriale pour certains

territoires à l’image de la station de ski de l’Alpe-d’Huez qui utilise l’image du Tour de France pour développer une économie alternative autour du cyclisme lors de la période estivale. Le passage régulier du Tour de France dans cette station a permis de la faire connaître internationalement et aujourd’hui, la station se spécialise dans l’offre de services autour du cycle (VTT, tourisme, etc.). Il y a un développement touristique par le vélo.

22 ANDREFF, 2014, pp. 111-146 23 PECQUEUR, 2017

32

7.3) Le Tour de France apporte-t-il véritablement des retombées ?

Une étude réalisée par l’économiste Bruno Sorzana à Digne-les-Bains lors du Tour de

France 200524 fait les constats suivants. D’abord, la course a des contraintes pour les

collectivités territoriales : les droits d’entrée versés à l’organisateur pour être ville-étape du Tour de France, les coûts relatifs au cahier des charges techniques à respecter avec les dépenses de fonctionnement (frais de personnel, coûts de location, restauration, achat des messages publicitaires et financement des animations) et les dépenses d’investissement (réfection des routes et des parkings, achat de matériel de décoration, acquisition d'un fond de photo, création d'un film promotionnel). Mais, il y a aussi des contreparties offertes aux collectivités par l'organisateur : droits de communication, visibilité médiatique, supports et opérations de promotion (publications officielles et produits dérivés, opportunités de relations publiques et activation promotionnelle). De plus, le Tour de France constitue un effet d’accélérateur positif dans la réalisation de travaux notamment de voirie. Par exemple, en 2017, la ville de Nuits- Saint-Georges a accueilli l’arrivée d’une étape ce qui a permis l’installation de la fibre optique. Le maire espérait que celle-ci resterait après le passage du Tour de France.

Selon Sorzana, les collectivités et ASO réalisent des mesures des retombées économiques afin de convaincre à priori (bruit médiatique, profil des spectateurs, leurs motivations, leur séjour et leurs dépenses), justifier à posteriori (auprès du contribuable les dépenses consenties) et intégrer d'autres partenaires pour diversifier le financement (entreprises, collectivités). Ainsi les collectivités territoriales effectuent une communication pour faire connaître le territoire et y associer une image positive.

L’économiste a recensé les acteurs d’un événement sportif tel que le Tour de France : spectateurs, participants, encadrement sportif, représentants médias, bénévoles, pouvoirs publics, partenaires économiques/sponsors, prestataires de l'événement, entreprises locales. Il a réalisé une enquête auprès des commerçants le jour de l’étape. Pour lui, il n’est pas possible de comptabiliser les spectateurs car l’événement est gratuit dans un espace public. De plus, le calcul des retombées pour l’économie locale n’est pas possible mais une comparaison peut être faite avec l’activité économique d’une journée de référence. Cela s’appelle l’approche par la recette. Je remobiliserai cette méthode lors de courses locales importantes en Normandie auprès de quelques commerçants.

Le résultat de l’enquête de Sorzana est que le passage du Tour de France représente un impact économique (sources de revenus pour l’économie locale) et un succès populaire importants. En effet, sur les spectateurs présents, 2 personnes sur 3 ne résident pas dans la ville et 24 % sont étrangers. La fréquentation touristique est soutenue et la population locale est, de manière générale, satisfaite. En effet, les termes « promouvoir le territoire », « fête populaire » et « animation pour le centre-ville » sont souvent utilisés pour qualifier l’événement. L’impact est positif pour l’activité commerçante principalement dans l’hôtellerie-café-restauration qui représente 76 % des dépenses alors que les loisirs et souvenirs représentent 12 %, les petits commerces 7 % et les déplacements 5 %. Il y a un effet de convergence des consommations dans le même espace avec cet événement au lieu d’une dispersion géographique sur le territoire. Enfin, les retombées médiatiques sont non négligeables avec une image valorisée à travers la presse écrite, internet qui constitue un support majeur de promotion, la diffusion TV et un fort coup de projecteur à l'étranger. Le Tour de France fait partie de la stratégie de marketing territorial de certaines communes modestes ou des grandes agglomérations.

Des études post-événement ont été réalisés par les communes de Metz en 2012 et de Pau en 2010 sur les retombées économiques du Tour de France. Metz a investi 440 000 € pour

24 GILLET, 2013, 214 p.

33

accueillir une arrivée d’étape du Tour de France. Les retombées ont été estimées à 675 000 € soit un ratio de 1,5 (pour 1 € investi, il y a eu 1,50 € de retombées). Pour autant, Magalie Knight, consultante chez ProTourisme et qui a réalisé l’étude, affirme que l’investissement est rentable sous conditions : la communication est importante pour attirer le public et il faut une offre culturelle et touristique à proposer à côté afin de donner envie aux gens de rester. Le gain de notoriété n’est, lui, pas quantifiable. À Pau, l’investissement était de 590 000 € pour 880 000 € de retombées soit un ratio équivalant à celui de Metz. Il est également important de souligner que la capacité hôtelière de la ville-étape doit être suffisante pour accueillir les « suiveurs » (coureurs, journalistes, encadrants, etc.) du Tour de France même s’ils peuvent se reporter sur les villes voisines (jusqu’à 1 heure de route du lieu de départ). Les retombées touchent donc principalement l’hôtellerie et la restauration mais pas les sites touristiques qui sont un peu délaissés. En 2015, Le Havre a investi 500 000 € pour accueillir une arrivée d’étape du Tour de France dont 150 000 € de redevance pour ASO. Les retombées furent, d’après une étude, de 2,1 M€ soit un ratio de 4,2 alors que Livarot, ville départ le lendemain, calcula un ratio de 7,1 grâce aux retombées médiatiques. D’autres études furent réalisées, à la suite du Grand Départ du Tour de France en 2011, la Vendée, qui avait investi 1,5 million d’euros pour 20 millions d’euros de retombées. La Corse en 2013 avait investi 2 millions d’euros pour des retombées supérieures à l’investissement. La dépense moyenne des touristes à Digne en 2005 fut de 23 € alors qu’elle atteignit 30,50 € à Metz en 2012.

Mais le passage d’une course comme le Tour de France peut également avoir des conséquences négatives sur l’économie locale ou l’environnement.

7.4) Les conséquences négatives de l’événement

Pour autant, certains journalistes soulignent des éléments parfois oubliés : l’économie locale est parfois paralysée avec les restrictions d’accès et la dissuasion de se déplacer à l’image des Championnats de France de cyclisme sur route à Saint-Omer en 2017. Ainsi, les routes sont fermées 3 heures avant le passage de la course et rouvertes 1 heure après et la sécurité, qui incombe au préfet, s’est renforcée. Des dégradations sont causées par la foule et la caravane. Le Tour de France a des conséquences sur l’environnement avec la pollution des véhicules suiveurs même si leur nombre a diminué (2 200 au total) et que la vitesse est plafonnée à 80 km/h. Les bidons et les maillots sont recyclés et biodégradables, les coureurs sont incités à garder leur papier dans leurs poches de maillots et les zones environnementales sensibles sont parfois signalées au public. Pour Jean-Pascal Gayant, journaliste pour Le Monde : « Les

retombées économiques des courses pour les territoires concernés sont réelles mais modestes. Les retombées en matière d’image sont diffuses, sauf pour quelques sites emblématiques. »

De manière générale, le passage du Tour de France est souvent synonyme de retombées pour les collectivités qui l’accueillent. La preuve en est avec le nombre toujours conséquent de candidatures. Même si, cela occasionne des nuisances et un coût élevé. Les stratégies politiques rentrent parfois en ligne de compte puisqu’accueillir le passage du Tour de France permet à un élu de se mettre en avant notamment avant de nouvelles élections auprès de la population locale.

Conclusion

Le cyclisme apporte des retombées économiques indéniables sur les territoires à la fois par les commerces de cycles mais aussi par les compétitions réputées comme le Tour de France qui, même s’il apporte des nuisances, reste attractif pour les collectivités territoriales qui veulent

34

l’accueillir. Les compétitions cyclistes de moindre niveau permettent d’animer le territoire lors des fêtes communales et sont le lieu de socialisation. Les conflits dans ce sport sont nombreux entre les différentes fédérations et les différents acteurs aussi bien les élus locaux, la société organisatrice du Tour de France (ASO), les commerçants ou la population. Pour autant, malgré les nuisances qu’il peut causer, le cyclisme est une formidable ressource pour les territoires qui accueillent des compétitions et reste un moyen de promouvoir le développement durable, terme à la mode, mis en avant par les collectivités. La Normandie l’a bien comprise en accueillant le Grand Départ du Tour de France 2016 dans la Manche.

35