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La totalité du langage

Bien de l’eau a coulé sous les ponts entre la publication de Faux pas (1943) et celle de

La Part du feu  (1949). Beaucoup d’encre aussi. Ce n’est pas seulement la Libération, mais

c’est peut-être surtout la Libération : cela a tout changé pour Blanchot, ainsi que pour la scène littéraire française. Une série d’événements s’enchaînent : le Journal des débats, où Blanchot publie la plupart de ses chroniques pendant l’Occupation, disparaît en août 1944 et Blanchot passe d’abord à L’Arche puis à Critique. Un Comité National des Écrivains est mis en place, Blanchot en fait partie. Céline, Drieu la Rochelle et Montherlant sont interdits, Brasillach est fusillé. Levinas revient d’Allemagne, Bataille et Prévost rentrent à Paris, Blanchot revient de Quain où il a failli être fusillé par les troupes de l’Occupation201. Ainsi, à l’automne 1944

Blanchot vit dans « un état de déception angoissante et irréparable. Il vient d’échapper à la mort. Il a perdu des manuscrits202 ». Il passe une année entière sans rien publier : la dernière

chronique pour Le Journal des débats date du 17 août 1944, la publication suivante ne verra le jour qu’en juillet 1945. Et pourtant il se remet, et surtout il écrit.

Outre ses contributions régulières dans L’Arche, Critique et Paysage dimanche, entre 1945 et 1949 parurent deux textes narratifs — L’Arrêt de mort et Le Très-Haut, dont quelques extraits furent publiés en 1945 et 1946203 — et trois récits, les tous premiers, dans trois revues

différentes (« L’Idylle » dans La Licorne, « Le dernier mot » dans Fontaine et « Un récit [?] » dans Empédocle204). À cela s’ajoutent de longs articles qui quelques années plus tard serviront

201 Blanchot fait allusion à cet épisode dans La Folie du jour, Montpellier, Fata Morgana, 1973, p. 11-12 et plus directement dans L’Instant de ma mort, Paris, Fata Morgana, 1994. Quelques amis proches l’avaient également mentionné, même avant la publication de ce dernier récit. Voir par exemple : Pierre Prévost, Pierre Prévost rencontre Georges Bataille, Paris, J.-M. Laplace, 1987, p. 116 et Maurice Nadeau, Grâces leur soient rendues. Mémoires littéraires, Paris, Albin Michel, 1990, p. 71.

202 Christophe Bident, op. cit., p. 233. Le manuscrit en question est probablement une version de

L’Arrêt de mort.

203 Le premier en juillet 1945 dans une publication dirigée par Thierry Maulnier, les   Cahiers de la

Table ronde, qui accueille les auteurs rejetés par le CNE. Le deuxième en avril 1946 dans les Cahiers de la Pléiade, dirigés par Jean Paulhan, ancien résistant.

204 Les deux premiers seront repris dans Le Ressassement éternel, Paris, Les Éditions de Minuit, 1952, puis dans Après   coup, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983. Le dernier, dont le titre reste indécidable, n’est autre que La Folie du jour. Sur le problème du titre, voir : Jacques Derrida,

de préface aux livres de Jean Paulhan (Aytré qui perd l’habitude), Restif de la Bretonne (Sara) et Lautréamont (Les Chants de Maldoror). Les conditions ne sont plus les mêmes : Blanchot commence à devenir un critique de plus en plus important. Christophe Bident résume la nouvelle situation de la façon suivante : « La recherche commence. Un jugement singulier se fait jour : une autorité205 », et encore, la liberté assurée par ces nouvelles publications —

notamment L’Arche, Critique et Les Temps  Modernes — contribue à « restaurer sa propre image, exposer ce qu’il est désormais — un critique brillant et intègre206 ».

L’angoisse dont parlent Blanchot et Bataille n’est donc pas la même. L’événement — si nous nous autorisons à utiliser ce mot, déjà vide de sens ou presque — qui marque l’angoisse de Bataille est la morte de Laure. Ce point est clair, notamment dans les passages supprimés du Coupable et L’Expérience intérieure mais qui nous sont aujourd’hui accessibles grâce à la publication de ses  Œuvres complètes  chez Gallimard. Quant à Blanchot, il n’a apparemment rien dit, c’est même cela qu’on lui reproche. Or, au début de son compte-rendu de L’Expérience intérieure, rédigé et publié sous l’occupation, quelque chose s’est glissé :

Les paroles de Nietzsche : « Voici l’heure du Grand Midi, de la clarté la plus redoutable », il nous arrive de les entendre en nous-mêmes, lorsque après avoir ruiné la vérité qui nous abritait nous nous voyons exposés à un soleil qui nous brûle, soleil qui n’est pourtant que le reflet de notre dénuement et de notre froid. Peut-être aura-t-on envie de répéter ces paroles (pour en éprouver le sens) lorsqu’on aura lu le livre de Georges Bataille, L’Expérience   intérieure. L’heure du Grand Midi est celle qui nous apporte la plus forte lumière ; l’air entier est échauffé ; le jour est devenu feu ; pour l’homme avide de voir, c’est le moment où, regardant, il risque de devenir plus aveugle qu’un aveugle, une sorte de voyant qui se souvient du soleil comme d’une tache grise, importune. De ce livre il faut dire à quelques-uns que s’ils s’en approchent avec une intelligence frivole, avec une intelligence lourde, il les laissera plus frivoles, plus lourds, plus trompés dans leur intelligence que le sort ne l’avait prévu. Cet avis vaut aussi pour d’autres. Il faut un hasard pour comprendre à fond ce qui importe, un autre hasard — de la chance — pour se donner à ce qu’on a compris207.

Tout a changé, le monde s’est écroulé pour le jeune Blanchot : les vérités — ce qu’il a vécu comme des vérités avant la guerre — ne tiennent plus. La situation est difficile à supporter mais cet état lui permet de se rapprocher de l’œuvre de Bataille et de bien d’autres. Tout a changé aussi au niveau de l’écriture, de son style. Deux changements majeurs sont à constater, le premier est le rythme de publication des articles signés par Maurice Blanchot : entre avril 1941 et août 1944, 137 chroniques littéraires sont parues dans le Journal des débats. Celles

205 Christophe Bident, op. cit., p. 242. 206 Ibid., p. 238.

207 Maurice Blanchot, « L’expérience intérieure », op. cit., p. 47. Il serait intéressant de comparer ces lignes avec le récit publié pour la première fois en 1949 dans revue Empédocle, puis repris en volume en 1973 sous le titre La Folie du jour. Au sujet de la question de la lumière et la cécité dans ce denier, voir : Serge Margel, « La folie du récit », loc. cit.

parues dans L’Arche sont beaucoup moins nombreuses, 16 chroniques dont 13 intégrèrent La

Part   du   feu. Elles sont d’ailleurs plus longues, ce qui lui permet de développer une

conceptualité qui auparavant n’était qu’esquissée. Le deuxième changement concerne les écrivains évoqués et la manière de traiter les sujets. Libéré du rythme hebdomadaire des chroniques, il peut favoriser des figures comme Kafka, Joyce ou Miller en même temps qu’il profite de la publication d’œuvres philosophiques — surtout allemandes — qui n’étaient pas disponibles avant la guerre. C’est notamment le cas de Heidegger et Hegel.

Les questions qui sont restées suspendues à la fin du chapitre précédent peuvent désormais être abordées à partir d’un autre angle, et avec d’autres moyens. Nous verrons, en effet, défiler tout au long de ce chapitre des noms qui n’étaient pas mentionnés auparavant, d’autres outils théoriques aussi. Or, Blanchot ne quitte pas les chroniques littéraires. Ce n’est pas seulement qu’il continue à les envoyer et les faire publier régulièrement, c’est que la quasi-totalité de ses notions et de ses concepts surgissent — nous le verrons — dans la critique littéraire et non pas dans le commentaire de philosophes. La notion de totalité, il l’emprunte à Hölderlin, celle de vraisemblance se façonne dans son débat avec Malraux et Sartre. Toutefois, il n’a rien qui peut se confondre avec le mépris envers la philosophie ou ses représentants : Blanchot cite volontiers et avec un grand respect Heidegger, et il est possible que Hegel lui fournisse un certain nombre d’outils théoriques. La philosophie, il est vrai, est moins un ensemble de références qu’une manière de poser les questions, ce qui ne fait pas de Blanchot un philosophe mais nous permet de poser philosophiquement des questions à partir et avec lui. Dans les pages qui suivent, nous porterons notre attention sur la conception du langage de Blanchot à cette époque, ce qui nous permettra de mieux comprendre en quel sens le mouvement que prend l’angoisse comme point de départ a le langage comme point d’arrivée. Cette conception du langage, nous le verrons, est intimement liée à celle de négativité, qui fera l’objet de notre quatrième chapitre.

a. La solitude, le silence

D’après nos analyses donc, Faux pas décrit le passage de l’angoisse au langage, ou de la solitude à la communication. D’une part, l’angoisse crée les conditions pour l’apparition d’un langage essentiellement différent de celui, utile, de tous les jours. À l’instar de l’exemple du marteau dans le §16 d’Être et temps, on découvre une autre propriété ou — pour reprendre les termes de Mallarmé — un autre état du langage lorsque, par la force destructrice de

l’angoisse, il devient inutilisable. Or à la différence de Heidegger, pour Blanchot la « faille » ne mène pas ni à une ouvertude (Erschlossenheit), ni une décloseté (Aufgeschlossenheit) du monde par l’attention. Chute sans fin, l’angoisse pousse l’écrivain vers cet autre langage qui n’exprime rien mais qui crée un monde. D’autre part, la solitude que nous avons appelée « solitude de l’écrit » ne se brise pas à travers le discours — qui est devenu impossible par l’angoisse —, elle conduit plutôt vers une communication qui n’est pas celle de la transmission d’un contenu d’un sujet à l’autre mais « le mouvement où, lorsque le sujet et l’objet ont été dessaisis, l’abandon pur et simple devient perte nue dans la nuit208 ». On

rencontre ainsi le plan non discursif ou un « mode d’exister de l’homme en tant qu’exister est impossible209 ». Comme dans Thomas   l’Obscur, on passe de la solitude empirique à la

solitude de l’écrit, du silence comme absence de mots au silence comme communication non discursive. Autrement dit, de la nuit — celle de l’angoisse — à l’autre nuit, celle de l’après la rupture du monde210.

Le centre du désaccord avec Bataille, on l’a vu, se situe précisément sur ce point. La littérature, même dans sa forme la plus authentique — la poésie — n’est pas suffisamment radicale : elle finit par s’accepter elle-même, ce qui revient à dire que sa négativité a une limite, l’œuvre d’art. Cette dernière se pose ainsi comme but de l’action, et même si l’artiste ne la cherche pas — en tant que négativité objectivée, c’est-à-dire, détournée de l’action — elle n’est plus en mouvement. Et c’est en effet grâce à cette « fixation » que nous pouvons contempler un tableau, lire un roman, regarder un film. Si Bataille rejette et l’extase religieuse et la littérature, c’est donc parce que « ni dans l’œuvre d’art, ni dans les éléments émotionnels de la religion, la négativité n’est “reconnue” comme telle211 ». Tout cela nous est familier, nous

ne faisons que résumer le chapitre précédent, mais il s’agit maintenant de poser la question du point de vue du langage, qui est l’objet du présent chapitre. Pour ce faire, il faut incorporer la question d’autrui, car — c’est notre hypothèse — le véritable problème est que si la négativité du « faire » ne s’objective pas en œuvre d’art, le contact avec les autres devient impossible. C’est la raison pour laquelle il doit penser le langage comme médiation et non comme totalité.

208 Maurice Blanchot, « L’expérience intérieure », op. cit., p. 51. 209 Ibid., p. 48.

210 « Tout ce qui Anne aimait encore, le silence et la solitude, s’appelait la nuit. Tout ce qu’Anne détestait, le silence et la solitude, s’appelait aussi la nuit. » (Maurice Blanchot, Thomas l’obscur,

nouvelle version, Paris, Gallimard, 1950, p. 82). Pour une analyse de ces deux nuits, voir : Marlène

Zarader, L’Être et le neutre, op. cit.

Autrement, le langage littéraire ne serait que silence et la solitude, en conséquence, serait inévitable. Or, c’est précisément dans cette direction que semble s’orienter Blanchot.

Si nous suivons notre méthodologie et, au lieu de lire les textes qui composent La Part

du   feu dans l’ordre consigné dans la table des matières, nous rétablissons l’ordre

chronologique, nous voyons apparaître dès le départ une question qui se posait déjà dans les tous derniers textes de Faux pas, à savoir, celle de la création d’un monde par et dans la parole. En effet, chronologiquement, l’un des premiers textes de La Part du feu est « Note sur Malraux », paru en décembre 1945 dans Paysage dimanche. Il s’agit d’un très court mais très riche article à propos d’André   Malraux de Gaëtan Picon, qui venait de paraître chez Gallimard212. Quel est pour Blanchot l’enjeu central de ce livre ? Précisément les rapports du

monde fictif avec ce qu’on peut appeler — un peu grossièrement, c’est vrai — la « réalité » :

La seule réserve que M. Picon exprime sur une œuvre qu’il comprend et qu’il aime, et même qu’il préfère, touche l’art du roman. Les romans de Malraux ne sont pas des romans, ils sont à la fois trop proches de leur auteur et trop proches des événements, trop fermés sur un seul être et trop dissipés à travers l’actualité du monde. Comme cette réserve est étrange213.

Même si cette question n’est pas centrale dans le livre de Picon, ce sont justement les termes qu’il utilise lorsqu’il parle d’une tension entre « vérité intérieur », « animation intérieure qui nous fait saisir du dedans l’individu » et « récit objectif d’une expérience », « réalité historique », « événements »214. Opposition donc entre subjectivité de l’auteur et événements

extérieurs. Cette remarque de Blanchot quant à l’étrangeté de la réserve posée par Picon nous ouvrira la voie pour penser le statut de cette vie non-discursive, cet ailleurs que s’annonçait déjà dans Faux pas.

Afin de saisir la subtilité de la réflexion blanchotienne, et être en mesure de l’enchaîner avec celles déployées dans les textes postérieurs, il nous est nécessaire d’expliciter le différend et l’insérer dans un cadre plus large. Formellement, on l’a vu, la question qui se pose est celle de « l’art du roman », expression déjà employée par Blanchot dans Faux pas. Or il s’agit maintenant d’aborder la question du point de vue de l’écrivain. Blanchot, qui sur cet aspect suit de très près la division proposée par Friedrich Gundolf215, présente deux modèles :

selon le premier — dont l’exemple est Dante — l’auteur projette sa subjectivité sur le monde ; selon le deuxième modèle, l’auteur recrée le monde et, ainsi, il écrit pour le représenter dans

212 Picon publiera en 1953 aux Éditions du Seuil un autre livre avec le même titre. Les deux textes ne sont pas à confondre.

213 Maurice Blanchot, « Note sur Malraux », La Part du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 204. 214 Gaëtan Picon, André Malraux, Paris, Gallimard, 1945, p. 114-115.

toute sa richesse. C’est Shakespeare. Autrement dit, ou bien l’auteur ramène le monde à lui ou bien il va vers le monde. Dans les deux cas, Blanchot le rappelle, pour Gundolf la solidité de la narration dépend de l’unité du monde. Ainsi, le point commun — le lecteur l’aura déjà compris — est qu’événement intérieur et événement extérieur sont deux faces du phénomène littéraire, le point de référence étant toujours le monde « réel ». Cela permet en même temps d’utiliser les mots comme signes et de comprendre et juger l’œuvre.

Pour Blanchot, l’affaire sera tout autre. Il se sert des exemples de Kafka et Michaux pour dire que leur originalité réside dans le fait qu’ils « créent bien, en dehors d’eux, un monde pour se reconnaître, mais un monde tout imaginaire qui n’a de commun avec le monde réel que le sens profond qu’ils lui prêtent ». Du côté de Malraux, « [il] semble tout recevoir de l’actualité et des événements et pourtant s’exprime en eux, se poursuit à travers eux aussi profondément que s’il les inventait à sa mesure pour y trouver la matière d’une expérience unique216 ». Kafka et Michaux ne vont pas vers le monde mais le créent, Malraux — malgré

les apparences — ne ramène pas à lui les événements extérieurs, c’est comme s’il les inventait. Blanchot déplace donc les termes de Gundolf pour nous laisser entendre que l’art du roman malrauxien consiste à « recréer, du dedans et dans une référence perpétuelle à soi, le sens et la valeur d’événements du dehors, qu’on observe, qu’on subit et qu’on ne crée pas217 ».

La différence est évidente, mais par où passe-t-elle au juste ? Revenons à la réserve : elle est étrange non pas parce que chez Malraux la relation entre événements intérieurs et événements extérieurs soit l’inverse de celle décrite par Picon. Le différend ne porte pas sur l’appréciation d’une œuvre en particulier, celle de Malraux, Goethe, Dante, ou Shakespeare — ce sont les exemples de Gundolf — mais sur l’art du roman. L’opposition évoquée par Picon est étrange et peut-être inexacte parce qu’elle ne prend pas en compte l’imaginaire, ce qui n’est ni événement intérieur ni événement extérieur mais la formation d’un monde par la récréation d’un sens. Ce qui est au cœur de l’art du roman se voit donc négligé.

Si nous insistons sur ce mot de création, c’est parce qu’il est central. Il permet de différencier un monde où le sens est déjà donné — c’est-à-dire, où « un chat » veut toujours dire « un chat » — et un monde où le sens est créé par l’imaginaire, c’est-à-dire, où le sens de « un chat » est indéterminé ou seulement déterminable par rapport au monde créé. Cela était

216 Maurice Blanchot, « Note sur Malraux », op. cit., p. 205.

217 Ibid. Le mot « recréer » n’est pas à comprendre au sens de la mimesis mais comme transposition, au sens de Mallarmé. Blanchot parle ici, en effet, de l’expérience unique créé par l’auteur, et non d’une intériorité de l’âme par exemple.

déjà explicite dans Faux   pas, mais nous n’avions pas les éléments nécessaires à sa compréhension. Blanchot le répétera à l’occasion d’un commentaire à propos du surréalisme, dans un texte paru en août 1945 :

[la poésie] n’a rien à faire avec le monde où nous vivons, qui est, du moins en apparence, un monde de choses toutes faites. […] La poésie et la vie sont “ailleurs” […], mais “ailleurs” ne désigne pas une région spirituelle ou temporelle : ailleurs n’est nulle part ; il n’est pas l’au-delà ; il signifie que l’existence n’est jamais là où elle est218.

La critique de Blanchot vise à établir la création d’un monde où vivre est impossible comme ce en quoi consiste l’art du roman. Autrement dit, penser ensemble création et dessaisissement. Mais pour quoi cela ? Parce que dessaisissement sans création n’est que transe mystique, et création sans dessaisissement n’est que reproduction, ce qui revient à faire disparaître toute la spécificité de la littérature.

Revenons un instant aux questions posées lors d’analyse du différend entre Blanchot et Bataille. Si la littérature dans sa forme la plus radicale, c’est-à-dire la poésie, n’a « rien à faire avec ce monde où nous vivons », si elle n’est pas — comme le croyait Picon — une tension entre monde intérieur et monde extérieur, il est tout à fait possible de dire que son langage « tend » au silence sans que cela signifie qu’elle se tait. Cela parle sans rien « exprimer ». Étrange situation où le silence peut s’entendre, où l’on y parvient par multiplication et non par soustraction. En un sens, il serait peut-être plus exact de l’appeler bruissement, car ce qu’on

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