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Au total, ce sont donc une quarantaine d’années qui furent ainsi successivement touchées par l’un, l’autre, ou plusieurs de ces aléas et provoquèrent des perturbations

conséquentes sur les activités viticoles et vinicoles. La viticulture est donc une activité à

risque durant la période 1420-1537, puisqu’en dehors des contextes météorologiques

saisonniers humides, un tiers des vendanges furent très fortement perturbées par des

événements frais aussi brefs qu’intenses.

3.3.2. La qualité des vins

Les informations relatives à la qualité des vins indiquent efficacement le degré

de maturité du raisin au moment de la vendange. C’est un nouveau proxy, qui informe

sur le contexte météorologique durant la croissance du raisin et complète donc les

données purement vendémiologiques. Les sources narratives sont seules à donner

quelques indications à ce niveau, ce qui oblige à nouveau à s’assurer de la pertinence

des témoignages.

Pour vingt-huit années (26,4 %) des 106 cas renseignés à ce niveau entre 1420 et

1525

412

(cf. graphique 14), les vins sont signalés comme mauvais (indice -1) ou très

mauvais (indice -2) parce qu’ils sont « fiers », « grevains », « de petitte boisson ». Ces

vins sont aigres ou acides parce que le taux de sucre, qui augmente progressivement

après la véraison, est insuffisant. Cela trahit incontestablement une maturation

incomplète. A l’inverse, 29,9 % des années pour lesquelles il existe des commentaires

sur la qualité du vin qualifièrent les produits locaux de « bons » (indice +1) ou « très

bons » (indice +2), signe que la maturation a profité à plein de la chaleur et d’un temps

plutôt sec. 43,9 % des mentions ne donnent aucune indication particulière sur la qualité

des vins ou signalent laconiquement leur qualité « normale » ou « moyenne » (indice 0).

412

Cf. annexe 1 (CD-Rom). La qualité est très rarement évoquée avant 1420 dans les textes. C’est le cas, sans réels développements sur les contextes météorologiques, pour les années 1297 (avec une incertitude), 1351 et 1386, Pierre ALEXANDRE, op. cit., p. 423, p. 479 et p. 525.

Graphique 14 – Qualité des vins nouveaux selon les sources narratives messines (1420-1525)

Si la comparaison avec la qualité des vins produits à Bade entre 1453 et 1525 a

permis d’isoler une tendance commune (cf. graphique 3), ces informations n’apportent

pas une information brute directement exploitable pour reconstituer le climat. Il est

nécessaire, pour leur donner du sens, de comparer les dates de vendanges aux dates des

différents stades phénologiques de la vigne que contiennent les textes. Or, les auteurs

messins décrivirent assez souvent le rythme du développement de cette plante ainsi que

des travaux viticoles au cours des saisons. 62 années sont ainsi documentées par une ou

plusieurs informations pour la période 1420-1525

413

. Ces données sont de première

main pour reconstituer l’évolution du climat : elles ne dépendent pas d’une quelconque

influence humaine, mais uniquement du contexte météorologique. Si les dates de

vendanges renseignent globalement sur les températures de la période de croissance de

la plante, entre avril et août, la confrontation entre les mentions indiquant la qualité des

vins et les informations sur le cycle de la vigne et des travaux viticoles permettent de

préciser l’évolution intra-annuelle des températures, voire des précipitations, qui

échappaient jusque là à l’analyse. La thèse de Martine Maguin sur la vigne et le vin

dans la Lorraine centrale aux XIV

e

et XV

e

siècles livre une présentation

413

Cf. annexe 4 (CD-Rom). Une seule information de ce type est disponible pour la période antérieure, relative à l’année 1361, indiquant assez laconiquement que les verjus sont déjà très gros vers le 16 juin (24/6), Pierre ALEXANDRE, op. cit., p. 490.

-2 -1 0 1 2 1420 1422 1424 1426 1428 1430 1432 1434 1436 1438 1440 1442 1444 1446 1448 1450 1452 1454 1456 1458 1460 1462 1464 1466 1468 1470 1472 1474 1476 1478 1480 1482 1484 1486 1488 1490 1492 1494 1496 1498 1500 1502 1504 1506 1508 1510 1512 1514 1516 1518 1520 1522 1524

particulièrement détaillée des façons de la vigne

414

, qui permet d’interpréter assez

sûrement les activités viticoles décrites dans les chroniques messines (cf. tableau 5) et

souvent représentées dans les travaux des mois des manuscrits enluminés messins

(cf. figures 6, 7 et 8).

Tableau 5 – Le cycle de la vigne et de la viticulture en Lorraine centrale (XIVe-XVe siècles)415 Cycle de la vigne Travaux viticoles Période / mois Dormance : repos hivernal de la

vigne

« depaixeller » ou « depasseler » : arracher les

échalas, « passelz » ou « paisselz » qui ont soutenu la

plante pendant sa croissance

après la vendange, octobre-novembre « dechaussage » : découvrir et

recouvrir les ceps fin de l’hiver, début du printemps

provignage : renouveler la plante, un sarment ou un cep est couché en terre afin d’obtenir un

pied supplémentaire

entre novembre et avril

taille

à la fin de l’hiver, vers février-mars et, si nécessaire, après les

gelées printanières « sarmentage » : collecte des

sarments tombés au cours de la taille

après la taille « fichier » ou « passeler » : mise

en place des échalas début avril

Bourgeonnement,

débourrement : reprise de la vie végétative de la vigne ; les bourgeons commencent à se former, pousse des rameaux et

des feuilles

« ploier » ou « plier » puis « relever » : courber vers le sol le

marien qui donnera des fruits lors de la prochaine vendange et redresser ceux qui n’en porteront

que l’année suivante

avril

« espetuer » ou « appetuer » : élaguer la vigne au commencement de la pousse afin

d’enlever les bourgeons inutiles

entre mai et juin

Floraison juin

Nouaison : formation des grappes (grappes en « verjus »)

« rebiner » : retourner la terre quand les grappes sont en verjus

et, si nécessaire, à plusieurs reprises

juillet

Véraison : changement de couleur du raisin du vert au

rouge ou au blanc

août

Maturation : baisse de l’acidité du raisin et augmentation du taux

de sucre

septembre

Vendange septembre-octobre

414

Martine MAGUIN, op. cit., p. 43-47.

415

Les mentions de travaux viticoles renseignent donc sur le cycle de la vigne. En

poursuivant l’exercice réalisé pour les dates de vendanges (c’est-à-dire en exprimant les

dates des travaux viticoles en jours d’avance et plus rarement de retard par rapport au 31

août), il devient possible de reconstituer le tableau d’avancement moyen de la plante

(cf. tableau 6).

Tableau 6 – Le cycle moyen de la vigne dans le Pays messin entre 1420 et 1525 Cycle de la vigne [ou des travaux agricoles] Date moyenne (exprimée d’après le calendrier grégorien) [et en nombre de jours

d’avance ou de retard par rapport au 31 août=0] Nombre d’années renseignées Durée moyenne de chaque étape (jusqu’au début de l’étape suivante) Débourrement 6 avril [-146] 1 28 [Ebourgeonnement] 5 mai [-118] 45 37 Floraison 11 juin [-81] 13 24 Nouaison 5 juillet [-57] 17 54 Véraison 28 août [-3] 22 36

Vendange 2 octobre [+32] 110 Total : 179

Alfred Angot évaluait la durée moyenne de la végétation de la vigne à 180 jours