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La paix, qui fut criée le 7 septembre (17/9) 1518, arriva à temps pour permettre d’organiser la vendange378

. Le même phénomène se produisit en 1521, lorsque les

troupes de Charles Quint et de François Ier traversèrent la région, perturbant les

activités viticoles et vinicoles

379

. Au total, un peu moins de 5 % des vendanges du Pays

messin furent perturbées par des troubles politiques entre 1420 et 1537. Sans être nulle,

l’influence humaine sur les dates de vendanges reste très modeste à cette époque.

Cela tient à deux caractéristiques essentielles de la guerre à la fin du Moyen

Âge. D’une part, s’ils sont parfois spectaculaires et localement dramatiques, les conflits

restent limités dans l’espace et renvoient davantage au motif de la razzia que d’une

politique de la terre brûlée

380

. D’autre part, le poids économique de la viticulture motive

les acteurs locaux à favoriser, lorsque la vendange approche, la paix ou la trêve à tout

prix, une pratique courante dans l’Oberrhein

381

. Celle-ci est également bien attestée

dans le Pays messin. Les « grands bretons », bande armée d’Enguerrand de Coucy, qui

traversèrent la région vers la fin août et le mois de septembre 1375

382

, rançonnèrent à la

fois la cité et l’évêque en menaçant de ruiner le pays et notamment de « fronder

(arracher) tous les raisins qui estoient au sappe (seps) »

383

. Les « citains » acceptèrent

de payer la somme astronomique de 35 000 francs et l’évêque 16 000 francs pour se

débarasser de ces routiers

384

. Près d’un siècle et demi plus tard, c’est encore ce qui

motiva les échevins messins à se débarasser, en septembre 1518, des

chevaliers-brigands Pierre Schluchterer et Franz von Sickingen au prix de 24 000 florins du Rhin,

afin de permettre à la vendange d’avoir lieu normalement

385

.

378

Vigneulles, t. 4, p. 280-281 ; Vigneulles (Journal), p. 352-353.

379

Vigneulles, t. 4, p. 361 : « ung tas de malvaix guerson estoient alors, que ne faisoient que aller et venir par la duché de Bar et de Loraine, tant à piedz comme à chevaulx, et se disoient françoy : par quoy l’on fist comandemant au bonne gens du païs de amener leur biens, bledz, vins et aultre vivre à Metz à refuge ».

380

Christophe RIVIERE, « Insécurité et gens de guerre à la fin du Moyen Age : une spécificité lorraine? », dans A.E., 2004 (n°54), p. 119-142, ici p. 131.

381

Odile KAMMERER, op. cit., p. 191.

382

Alain GIRARDOT, Le Droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 1992, t. 2, p. 458-459 ; Victor SERVAIS, Annales historiques du Barrois de 1352 à 1411, Bar-le-Duc : Contant-Laguerre et Cie, 1863, t. 1, p. 298-309. 383 Saint-Eucaire, col. xxv. 384 Ibid. 385

3.2.5. Reconstruction et vérification de la série

110 dates de vendanges sont donc renseignées entre 1420 et 1537

(cf. graphique 7). Il n’existe à l’heure actuelle, pour l’espace français, qu’une seule série

de dates de vendanges à laquelle comparer la série messine des XV

e

-XVI

e

siècles. Cette

série bourguignonne, qui couvre les XIV

e

-XXI

e

siècles de façon complète et continue, a

été réalisée par Valérie Daux et Emmanuel Le Roy Ladurie

386

. Afin de rendre

comparable ces deux séries de données, les dates messines ont subit le même traitement

que les dates bourguignonnes

387

. Elles ont été ramenées au calendrier grégorien en

ajoutant 8 jours aux dates du XIV

e

siècle, 9 à celles du XV

e

siècle et 10 à celles du XVI

e

siècle. Ces données sont également exprimées – pour rendre comparable les calculs – en

jours de retard par rapport au 31 août : le 1

er

septembre prend la valeur 1, le 1

er

octobre

la valeur 31, le 25 août la valeur « moins six », le 31 août la valeur zéro, etc.

Sur la période de comparaison (1420-1537, cf. graphique 8), l’écart entre les

dates moyennes de vendanges en Bourgogne et dans le Pays messin est conséquent :

elles avaient habituellement lieu 6 jours plus tôt dans le pays bourguignon (le

25 septembre en moyenne, conversion grégorienne effectuée

388

), que dans la région

messine (pour mémoire, le 2 octobre en moyenne, conversion grégorienne effectuée

389

).

Les comparaisons linéaires et quadratiques

390

entre les courbes messines et

bourguignonnes donnent des résultats significatifs, mais pas univoques, puisque les

corrélations dans l’évolution des pentes atteignent respectivement 72 % et 63 %, pour

un taux de corrélation situé à 0,56.

386

Cette série fut publiée une première fois en 2007 dans : Emmanuel LE ROY LADURIE, Abrégé d’histoire du climat, Paris : Librairie Arthème Fayard, 2007, p. 163-170. Elle fut reprise en 2009 dans :

Emmanuel LE ROY LADURIE, Histoire humaine et comparée du climat…, op. cit., t. 3, p. 433-440.

387

Ibid.

388

Soit, rapporté au calendrier julien : le 16/9 au XVe siècle et le 15/9 au XVIe siècle.

389

Soit, rapporté au calendrier julien, le 23/9 pour le XVe siècle et le 22/9 pour le XVIe siècle.

390

Pour mémoire, l’approximation linéaire par morceau permet de comparer les pentes de deux courbes en mesurant en parallèle l’évolution de morceaux (de deux années) sur chacune d’entre elle. L’approximation quadratique permet de réaliser la même comparaison, mais en mesurant de façon conjointe l’évolution de morceaux plus longs (de quatre années moyennées). La série des dates messines n’étant complète qu’à partir de 1439, la comparaison entre les deux courbes sur la période 1439-1537 donne respectivement une corrélation de 77 % (comparaison linéaire) et 64 % (comparaison quadratique). Quant au coefficient de corrélation, il s’élève à 0,54.

Graphique 7 – Dates des vendanges dans le Pays messin (1420-1537)

Graphique 8 – Comparaison des dates des vendanges messines et bourguignonnes (1420-1537)

-20 -10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1420 1422 1424 1426 1428 1430 1432 1434 1436 1438 1440 1442 1444 1446 1448 1450 1452 1454 1456 1458 1460 1462 1464 1466 1468 1470 1472 1474 1476 1478 1480 1482 1484 1486 1488 1490 1492 1494 1496 1498 1500 1502 1504 1506 1508 1510 1512 1514 1516 1518 1520 1522 1524 1526 1528 1530 1532 1534 1536 -20 -10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1420 1422 1424 1426 1428 1430 1432 1434 1436 1438 1440 1442 1444 1446 1448 1450 1452 1454 1456 1458 1460 1462 1464 1466 1468 1470 1472 1474 1476 1478 1480 1482 1484 1486 1488 1490 1492 1494 1496 1498 1500 1502 1504 1506 1508 1510 1512 1514 1516 1518 1520 1522 1524 1526 1528 1530 1532 1534 1536

Graphique 9 – Comparaison des dates de vendanges excédant 10 jours de différence avec la date moyenne dans le Pays messin ou en Bourgogne (1420-1537)

La corrélation reste aussi significative si l’on s’intéresse uniquement aux 60

années marquées par une avance ou un retard très important (cf. graphique 9) dans l’une

ou l’autre des deux séries messine et bourguignone (supérieur ou égal à 10 jours par

rapport à la date moyenne, correspondant à une variation théorique de 1°C sur la

période avril-août). La concordance se situe alors à 63 % (comparaison linéaire) et à

73 % (comparaison quadratique). Le coefficient de corrélation s’élève à 0,6.

Au final, les courbes relatives à la moyenne mobile (sur 5 ans, cf. graphique 10),

connaissent des évolutions relativement comparables, même si les deux tendances ne

sont pas strictement superposables. Leurs décalages par rapport aux dates moyennes des

vendanges mettent en évidence de façon assez significatives des trends

printano-estivaux identiques : plus chauds dans les années 1440, dans les années 1470 et au

tournant des XV

e

et XVI

e

siècles, plus froids au milieu du XV

e

siècle, dans les années

1480 ainsi que sur la période 1505-1515. Les tendances sont par contre plutôt

dissonantes entre 1420 et 1438, ce qui met en évidence les lacunes de la documentation

messine, puisque huit années ne sont pas renseignées au niveau des dates de vendanges

sur ce segment chronologique.

-20 -10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1420 1422 1424 1426 1428 1430 1442 1443 1445 1446 1447 1448 1451 1453 1457 1459 1461 1462 1464 1465 1470 1471 1473 1474 1475 1477 1479 1480 1481 1482 1483 1485 1488 1491 1492 1495 1496 1497 1500 1503 1504 1505 1506 1511 1514 1516 1519 1520 1521 1522 1523 1524 1527 1528 1529 1530 1533 1535 1536 1537

Graphique 10 – Comparaison des dates des vendanges messines et bourguignones (1420-1537)

Les correspondances entre les séries bourguignonnes et messines sont loin d’être

parfaites. Les dissonances entres les courbes peuvent partiellement s’expliquer par les

facteurs anthropiques, notamment les guerres et peut-être les épidémies, qui affectent

sur le segment chronologique considéré environ 5 % des dates de vendange dans le Pays

messin. Le nombre de dates affectées par des facteurs humains en Bourgogne pour la

même période reste inconnu, mais une évaluation récente l’estime à environ 30 % entre

1525 et 1846

391

. Ce chiffre est probablement à minorer fortement pour la période

1420-1537, pour les mêmes raisons que celles invoquées au sujet du Pays messin un peu plus

tôt. Toujours est-il qu’une petite partie des dates comprises dans les deux séries ne

reflètent pas un signal naturel, ces dates ne se chevauchant d’ailleurs peut-être pas. Cela

remet donc en cause au moins 5 % des dates comparées, mais probablement davantage.

391

E. GARNIER, V. DAUX, P. YIOU, I. GARCÍA DE CORTÁZAR-ATAURI, « Grapevine harvest dates in Besançon (France) between 1525 and 1847: Social outcomes or climatic evidence ? », op. cit., p. 708-709. -20 -10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1420 1422 1424 1426 1428 1430 1432 1434 1436 1438 1440 1442 1444 1446 1448 1450 1452 1454 1456 1458 1460 1462 1464 1466 1468 1470 1472 1474 1476 1478 1480 1482 1484 1486 1488 1490 1492 1494 1496 1498 1500 1502 1504 1506 1508 1510 1512 1514 1516 1518 1520 1522 1524 1526 1528 1530 1532 1534 1536

Cela ne réduit pas la pertinence globale de la comparaison, qui apparaît à travers

un dernier croisement documentaire. Emmanuel Le Roy Ladurie a mis en évidence,

dans son Histoire du climat depuis l’an mil, une caractéristique particulièrement

remarquable de la décennie 1530-1540, désignée sous le terme de Sägesignatur

392

. Cette

signature en dent de scie apparaîssait, dans sa recherche, à la fois sur les diagrammes

dendrochronologiques du chêne dans l’Odenwald

393

et la courbe des vendanges

franco-suisses qu’il avait reconstitué à cette époque

394

, trahissant une alternance biennale

parfaite d’étés frais et d’étés chauds, pendant une période de dix ans.

Le même exercice est reconduit ici, en réactualisant une partie des données. Les