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Tolérance aux métaux lourds des végétaux supérieurs

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2. Trésor minéral et biodiversité végétale

2.2. Tolérance aux métaux lourds des végétaux supérieurs

2.2.1. Définition

La « tolérance aux métaux lourds » est la « capacité d’une plante à survivre et se reproduire sur des sols toxiques ou défavorables à la plupart des organismes en raison d’une contamination métallique » (Turner 1969 ; Antonovics et al. 1971 ; Macnair et al. 2000).

D’un point de vue physiologique, la tolérance aux métaux lourds correspond à l’ensemble des mécanismes d’homéostasie des métaux (transport, chélation, séquestration) permettant de « maintenir la concentration des métaux essentiels dans les limites physiologiques et à minimiser les effets délétères des métaux non essentiels » (Clemens 2001). Elle est présente chez tous les organismes qui supportent des expositions successives de métaux (Ernst et al. 2002).

2.2.2. Les grandes stratégies de tolérance aux métaux

Une grande diversité de comportements vis-à-vis des métaux existe dans la flore métallicole. En comparant les concentrations en métal des parties aériennes et des parties racinaires on met en évidence deux grandes stratégies de tolérance aux métaux lourds : l’exclusion des métaux des parties aériennes ou au contraire, d’accumulation des métaux dans les feuilles (Baker 1981 ; Baker & Walker 1990 ; Dahmani-Muller et al. 2000) (Figure 5).

La stratégie d’exclusion, peut reposer sur la capacité d’empêcher l’absorption des métaux. Dans ce cas précis, on parle d’évitement (Baker & Walker 1990). L’évitement est communément observé chez les bactéries, les champignons et les algues ; il semble rare chez les végétaux supérieurs (Baker & Walker, 1990). Les végétaux tolérants aux métaux lourds dits « exclueurs » absorbent les métaux mais limitent le transport vers les parties aériennes en séquestrant les métaux dans les tissus racinaires (Baker & Walker 1990 ; Pauwels 2006). Certaines métallophytes présentent un mécanisme de détoxifîcation en larguant l’excès de métaux dans leurs feuilles mortes (Dahmani-Muller et al. 2000).

A l’opposé de l’exclusion, l’accumulation consiste à concentrer le métal dans les tissus aériens (Figure 5). Plusieurs définitions de l’accumulation ont été proposées : les concentrations en métaux dans les parties aériennes sont supérieures à celles du sol, ou comme celles dont les concentrations en métaux dans les parties aériennes sont, sur un sol donné, supérieures aux valeurs « normales » (Peterson, 1983) ; elles possèdent un rapport [organe aérien] / [racines] de concentration en métal supérieur à 1. L’accumulation s’accompagne alors d’une détoxification des métaux par séquestration dans les vacuoles des feuilles (Clemens et al. 2002). Cependant, de nombreux processus moléculaires sont impliqués dans l’accumulation des métaux chez les plantes : la capacité à mobiliser les métaux du sol pour les faire entrer dans les racines, à les séquestrer en partie dans les vacuoles des cellules racinaires, à les transférer des racines vers les parties aériennes via le xylème, et enfin à les distribuer vers les organes aériens jusqu’aux vacuoles des cellules foliaires (Clemens et al. 2002 ; Verbruggen et al. 2009).

L’hyperaccumulation est définie comme une capacité exceptionnelle d’accumulation basée sur des seuils de concentration concentionnels > 1000 pg Cu/Co g'* MS ; > lOOOOpg Zn/Ni g * MS (Baker & Brooks 1989). 418 espèces sont recormues comme hyperaccumulatrices de métaux lourds, soit 0,2 % des angiospermes, dont la plupart sont des hyperaccumulatrices de Ni (Baker et al. 2000 ; Reeves & Baker 2000 ; Reeves 2006). Dans ce cas, la gestion des métaux dans la plante ne semble plus en lien direct avec le phénomène de tolérance aux métaux lourds, si bien que la signification adaptative de l’hyperaccumulation est considérée comme une énigme (Macnair 2003). Ainsi, la complexité du caractère d’hyperaccumulation provient à la fois du grand nombre d’étapes physiologiques concernées et du mystère qui règne autour de la signification adaptative de leur régulation (Verbruggen et al. 2009).

Tableau 1 Teneurs en cuivre et en cobalt des sols et plantes (médiane, minimal et maximale en mg kg"') (Brooks & Malaisse 1985 ; Misra 2000 ; Epstein & Bloom 2005).

Cu Co

Sols normaux 55(3-110) 0,03-2

Plantes sur sols normaux 6 (2-50) < 1

Sols des collines cupro-

cobaltifères 10000(100-90000) 1000 (10-100000)

Plantes des collines

L’hyperaccumulation a particulièrement été étudiée chez deux espèces de la famille des Brassicaceae : Thlaspi caerulescens, capable d’hyperaccumuler le zinc, le cadmium et le nickel (Assunçào et al. 2003), et Arabidopsis halleri, hyperaccumulatrice de zinc et de cadmium (Bert et al. 2002). L’étude la variation de la capacité à accumuler le zinc chez des populations métallicoles de T. caerulescens a montré qu’une multitude de variants existaient et que l’hyperaccumulation du zinc était un caractère à variation continue, ou quantitatif (Ingrouille & Smimoff 1986). De même, Pollard & Baker (1996) ont suggéré que l’hyperaccumulation du zinc chez T. caerulescens était soumise à un déterminisme polygénique, typique d’un trait quantitatif. L’étude de l’architecture génétique de l’hyperaccumulation du Zn et du Cd a permis de mettre en évidence deux locus responsables de l’accumulation du Cd et du Zn dont un qui est responsable de l’accumulation dans les racines est commun aux deux métaux (Assunçào et al. 2006; Deniau et al. 2006). Chez A. halleri, une étude (Filatove et al. 2007) a également permis d’identifier deux locus responsables de l’accumulation du zinc.

L’accumulation et l’hyperaccumulation des autres métaux lourds restent peu connues ; l’élargissement d’études phytogéochimiques semble nécessaire pour accéder à la compréhension de la complexité de ce phénomène.

2.2.3. Tolérance au cuivre et au cobalt

Le cuivre est un nutriment essentiel pour les plantes en faible concentration dans le sol (5 à 10 mg Cu kg ’) (Marschner 1995). Il rentre dans la composition de nombreuses enzymes et participe au flux d’électrons des réactions d’oxydoréduction dans les cellules végétales (Ouzounidou et al. 1995 ; Burkhead et al. 2009). A l’opposé, le cobalt n’est pas considéré comme un élément essentiel même s’il intervient dans le processus de fixation de l’azote atmosphérique chez les bactéries symbiotiques associées aux légumineuses. L’excès de ces deux métaux est toxique pour le développement des plantes. Seules les espèces qui ont développé une tolérance au Cu et au Co sont capables de se développer et se reproduire dans ces conditions extrêmes (Tableau 1).

Les cupropbytes (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963) correspondent à un groupe de plantes spécifiques qui se développent uniquement ou montrent une fréquence et une abondance particulièrement élevées sur les sols cuprifères (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet

1963; Emst 1974, 1990) (Tableau 1). Les cuprophytes représentent un élément remarquable de la végétation des sites cuprifères du Sud de l’Afrique centrale. Une quarantaine de « cuprophytes absolues » sont connues de ces habitats (Leteinturier 2002 ; Whiting et al. 2004). La tolérance aux concentrations extrêmes en Cu dans les sols (1000-50000 mg kg'') a été démontrée expérimentalement chez quelques cuprophytes uniquement : Haumaniastrum katangense, H. robertii, Aeolanthus biformifolius (Lamiaceae) (Morrison 1980 ; Morrison et al. 1979) ; Mimulus guttatus (Scrophulariaceae) (Allen & Sheppard 1971 ; Macnair 1983) ;

Silene cobalticola (Caryophylaceae) (Baker et al. 1983). Les cuprophytes constituent un modèle intéressant pour l’étude des mécanismes physiologiques et des processus évolutifs de la tolérance au cuivre (Brooks & Malaisse 1990).

Même si la tolérance au cuivre a été très peu étudiée chez les cuprophytes, elle est bien documentée chez les pseudométallophytes et représente avec la tolérance au zinc, le premier modèle d’études de l’adaptation des plantes aux métaux lourds (Antonovics et al. 1971 ; Emst 1974). Elle a été mise en évidence chez de nombreuses pseudométallophytes Agrostis capillaris (McNeilly & Bradshaw 1968), Agrostis stolonifera (Wu et al. \915), Silene vulgaris (Schat & Ter Bookun 1992), Elsholtzia haichowensis (Lou et al. 2004) qui ont contribué largement à l’avancée des connaissances sur la génétique et l’évolution de la tolérance aux métaux lourds.

La tolérance au cuivre est un caractère héritable (McNeilly & Bradshaw 1968), dominant (Allen & Sheppard 1971) et de degré variable entre les populations métallicoles (Antonovics 1966). L’analyse de la ségrégation du caractère de la tolérance au cuivre dans des croisements entre populations métallicoles et non métallicoles chez Mimulus guttatus a permis de déduire la présence d’un ou quelques gènes dominants dont l’expression est sous l’influence de gènes modificateurs (Macnair 1983 ; Macnair 1993 ; Macnair et al. 2000). Chez

Silene vulgaris, deux gènes responsables de la tolérance au cuivre à effets dominants et additifs ont été déterminés (Schat et al. 1993).

Il est appam que l’évolution vers la tolérance métaux lourds était un processus rapide. Des populations métallicoles récentes provenant de populations non métallicoles montraient des capacités de tolérance au cuivre élevées alors que celles des populations non métallicoles étaient faibles (Wu et al. 1975). Chez les populations métallicoles, les populations les plus anciermes montrent des niveaux de tolérance les plus élevés (Wu et al.

1975). La sélection due à la toxicité du cuivre est continue provoquant ainsi une augmentation du dégré de tolérance. De plus, l’expérience de Wu et al. (1975) prouve l’intensité de la sélection par la toxicité du cuivre. A partir d’un semis de graines d'A. stolonifera provenant de 5 populations non métallicoles sur un sol fortement contaminé en cuivre, les auteurs ont comptabilisé 0,1 % de survivants dès la première année. Une telle intensité de la sélection et la dominance des gènes majeurs de tolérance expliquent que, même en présence de flux de gènes depuis les populations non métallicoles adjacentes, l’évolution vers un premier niveau de tolérance se produise rapidement (Lefèbvre & Vemet 1990). Chez les métallophytes, la sélection due à la toxicité aux métaux lourds peut être qualifiée de rapide, intense et continue (Macnair 1993).

La tolérance au cobalt est très peu connue ; elle semble avoir été mise en évidence de manière formelle uniquement chez Silene cobalticola (Baker et al. 1983). Duvigneaud (1959) soulevait une affinité particulière pour le cobalt chez quelques espèces de la flore des affleurements de Cu et Co du Katanga (cobaltophytes), notamment Crotalaria cobalticola et Silene cobalticola (Brooks et al. 1977).

Les mécanismes de tolérance au Cu et au Co semblent être multiples. Il existe des mécanismes d’exclusion du cuivre chez la plupart des graminées tolérantes au cuivre et chez M guttatus (Tilstone & Macnair 1997), Silene vulgaris et S. maritima (Baker 1981),

Elsholtzia splendens (Song et al. 2004).

Les hyperaccumulatrices de Cu et de Co constituent un groupe remarquable de plantes qui sont pour la plupart presque toutes restreintes aux sols cupro-cobaltifères du sud de l’Afrique Centrale (Reeves & Baker 2000 ; Reeves 2006). Environ 32 espèces ont été identifiées avec une concentration foliaire en Cu supérieure à 1000 pg g ' de MS (au moins une fois), 30 espèces se comportent de la même manière en accumulant des teneurs élevées en Co. Parmi ces espèces, douze accumulent à la fois Cu et Co. Les plantes se développant sur les sols riches en Co dérivant des roches ultramafiques excèdent rarement la concentration de 20 mg kg'* (Reeves, 2006). Seules les espèces se développant sur des sols extrêmement riches en cuivre et/ou en cobalt ont été récensées dans la littérature comme hyperaccumulatrices de cuivre et/ou de cobalt. Néanmoins quelques exceptions existent. Notons que sur les sols serpentiniques au Sri Lanka pauvres en cuivre (<50 pg g'*), cinq espèces présentant une teneur en Cu foliaire supérieure à 1500 pg g*’ de MS ont été mises en évidence : Croton

bonplandianus (Euphorbiaceae), Clerodendrum informatum (Verbenaceae), Tephrosia villosa (Fabaceae), Geniosporum tenuiflorum (Lamiaceae) et Waltheria indica (Sterculiaceae) (Rajakaruna & Bohm 2002).

Une grande variation inter- et intra-spécifique des concentrations foliaires en Cu et en Co est observée au sein de la flore des sols cuprifères et cobaltiferes (Malaisse & Grégoire 1978; Brooks et al. 1982, 1987; Malaisse et al. 1979, 1994, 1999; Paton & Brooks 1996; Leteinturier 2002 ; Faucon et al. 2007). Les teneurs en Co varient de 21 à 10200 mg kg ' et en Cu de 45 à 13000 mg kg''. Au Katanga, même les hyperaccumulatrices montrent ime telle variation des teneurs, non expliquée à ce jour. L’hyperaccumulation de Cu et de Co n’est pas un phénomène aussi bien caractérisé que l’hyperaccumulation du Zn et du Ni, où une distribution bimodale des concentrations en Zn et en Ni existe.

Notons qu’un des rares travaux examinant l’accumulation de Cu et Co en conditions expérimentales chez des cuprophytes n’a pas pu reproduire ce phénomène (Morrison et al.

1979). L’hyperaccumulation du Cu et du Co reste un phénomène rare, mal caractérisé et mal compris.

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