• Aucun résultat trouvé

L'œuvre dramatique étant une partie de la littérature236, nous nous intéressons ici à la traduction de l'œuvre littéraire dans son ensemble avant d'aborder les aspects particuliers de la traduction des pièces de théâtre.

La littérature est à la fois une forme de communication verbale et de création artistique. Dans la littérature - que ce soit poésie, roman, récit de voyage, ou œuvre dramatique, le langage, doté d'une fonction esthétique, tient un rôle prépondérant. Pourtant contrairement à ce que disent certains théoriciens237, le langage à nos yeux, ne constitue pas la fin propre de l'œuvre littéraire, et cette dernière réunit en son sein une identité syntaxique (la forme) et une identité sémantique (le contenu)238. La traduction doit donc restituer ces deux identités de l'œuvre. L'approche littérale de la traduction, représentée par Berman et Meschonnic, avec un point de départ différent, prônant la fidélité à la lettre ou au rythme, insiste sur le maintien de la forme de l'original. De son côté, la Théorie interprétative de la traduction appelle à une recréation de l'œuvre, c'est-à-dire à la création d'une nouvelle forme équivalente pour un même contenu afin que la traduction puisse produire le même effet sur le public que l'œuvre originale239.

1. La problématique de la traduction littéraire

236 Nous tenons à préciser que nous sommes convaincue que la traduction théâtrale fait partie de la traduction

littéraire, car l' œuvre dramatique que nous voulons étudier est un texte écrit avant la représentation scénique, et il ne s'agit pas d'autres formes théâtrales improvisées. Même si la destination de ce texte est particulière, son écriture présente les caractéristiques de toute création littéraire.

237

Nous développerons plus loin l'idée de R. Barthes.

238 Voir l'entrée "poétique" in O. Ducrot & J.-M. Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences

du langage, Paris, Seuil, 1995(nouvelle édition). PP. 193-212.

239

Par "effet", nous entendons l'impression sur le récepteur que cherche à faire tout texte. Il peut s'agir de l'impression émotionnelle, esthétique, etc. Mais nous tenons à ne pas y inclure l' "effet de proximité et l'effet de distance " qui font l'objet de l'étude de Geneviève Roux-Faucard, car pour nous, le texte original n'étant pas écrit pour le lecteur étranger, il est tout à fait normal que celui-ci éprouve le sentiment d'être éloigné du monde décrit dans l'œuvre, ce qui ne l'empêche pourtant pas de s'émouvoir. Voir G. Roux-Faucard, "Transtextualité et traduction : traduire le monde du récit", dans Identité, altérité, équivalence ? La

traduction comme relation (Actes du colloque international tenu à l'ESIT le 24-26 mai 2000, en hommage à

Marianne Lederer, textes réunis et présentés par Fortunato Israël, Paris-Caen, Lettres modernes minard, 2002). Selon elle, sans doute inspirée par les concepts de Brecht, l'effet de proximité, " c'est l'impression,

ressentie par le lecteur pendant sa lecture, qu'il connaît bien ce monde, connaissait déjà et qu'il le retrouve ",

et l'effet de distance, est celui que le lecteur ressent que "c'est un monde peu représentable, un monde qui se

105

Reportons-nous d'abord au point de vue d'un théoricien du langage. Roland Barthes distingue deux groupes parmi ceux qui écrivent des textes : écrivains et écrivants240. D'après lui, s'ils ont le même matériau en commun, le langage, ce qu'ils en font est différent. Si les seconds se servent du langage pour exprimer leurs idées, pour les premiers, le matériau devient la fin propre de leur activité, écrire est "un verbe intransitif", et ils "travaillent sa parole et s'absorbent fonctionnellement dans ce travail" 241. Cette recherche sur le langage influence leur vision du monde et conditionne en même temps ce qu'ils écrivent. Dans un autre texte, il nomme l'écrivain un "Pense-Phrase" : "celui qui pense des phrases", et "non pas celui qui exprime sa pensée, sa passion ou son imagination par des phrases"242. Les écrivains n'expliquent pas le monde, ils l'interrogent.

L'écrivain pose des questions ouvertes et n'y apporte pas de réponse : pourquoi le monde ? Quel est le sens des choses ?243 Il crée ainsi une œuvre dans laquelle il transforme les sentiments et les expériences humains en spectacle de langage où rien n'est plus réel et tout devient ambigu.

Jean-Paul Sartre, de son côté, distingue le poète de l'écrivain-prosateur. Selon lui, "l'empire des signes, c'est la prose ; la poésie est du côté de la peinture, de la sculpture, de la musique"244. S'il admet que le langage n'est pas pour le poète le moyen d'exprimer ses sentiments, mais "le Miroir du monde"245, il définit "volontiers le prosateur comme un homme qui se sert des mots"246 et que la prose est "utilitaire"247. Il affirme que "l'écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l'homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l'objet ainsi mis à nu leur entière responsabilité"248. Il ne renie pas l'importance de la forme : "on n'est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses mais pour avoir

240

Voir Roland Barthes, " Ecrivains et écrivants ", dans Essais critiques, Paris, Seuil, 1964. Nous avons choisi des extraits de l'article pour sa pertinence sur l'écriture littéraire : l'écrivain est bien celui qui conçoit des œuvres littéraires. Cependant cette distinction entre écrivain et écrivant est quelque peu caricaturale : nous pensons que bon nombre d'écrivains qui rayonnent dans l'histoire de l'humanité transmettent, à travers leur recherche sur le langage, une pensée, une vision du monde ou des vérités universelles.

241 Barthes, 1964, p. 148. Les citations en italique sans indication spécifique sont tirées du même article. 242 R. Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 69.

243 Même si l'écrivain n'explique pas le monde, le fait de poser des questions ne remet-il pas en cause

l'intransitivité de son écriture ? Voici une interrogation que nous pouvons formuler à l'égard de la thèse de Barthes.

244 J.-P. Sartre, Qu'est-ce que la littérature ? Paris, Gallimard, 1948, p.18. 245 Sartre, ibid., p. 20. 246 Sartre, ibid., p. 25. 247 Sartre, ibid., p. 25. 248 Sartre, ibid., p.28.

106

choisi de les dire d'une certaine façon"249. Mais pour lui, la forme ne peut précéder le contenu : "En un mot, il s'agit de savoir de quoi l'on veut écrire [...]. Et quand on le sait, il reste à décider comment on en écrira. Souvent les deux choix ne font qu'un, mais jamais, chez les bons auteurs, le second ne précède le premier."250

En fait, si la position de Sartre pour une littérature engagée peut paraître quelque peu radicale, l'idée de Barthes n'est pas pour autant entièrement au juste milieu. Rien ne nous empêche de croire Sartre puisqu'il est facile de constater que la plupart des grandes œuvres littéraires du monde nous touchent parce qu'elles nous révèlent les vérités humaines251. A nos yeux, dans l'œuvre, la forme ne constitue pas toujours une fin en soi, mais participe à un ensemble harmonieux dont la visée principale est d'émouvoir. Il y a donc lieu d'établir une communication, de transmettre quelque chose à l'autrui, et de produire un effet chez lui. La lecture d'une œuvre littéraire, poésie ou fiction, suscite toujours un sentiment. L'intransitivité de l'écriture n'est donc pas totale, et nombreux sont des écrivains engagés dans une cause humaniste ou même idéologique. Peut-être sans intention d'instruire le public, certaines œuvres parviennent souvent à influencer sa vision du monde.

Traduire une œuvre littéraire, c'est montrer pleinement la parole d'un autre, c'est établir une communication entre l'œuvre et un autre public. Comme cette parole de l'autre n'est pas une pensée pure, mais intimement liée à son style, le traducteur est censé travailler son langage afin qu'il conserve toute la valeur esthétique de l'original, et qu'il puisse se substituer à celui de l'auteur.

Cette parole substituante est alors l'œuvre du traducteur. En effet, même si le mythe du bien-écrire ne le concerne pas, la traduction est tout de même le résultat d'une création. Le traducteur littéraire n'est peut-être pas écrivain, mais il est co-auteur de l'œuvre et forcément créateur d'un produit inédit.

Voici la problématique. Quelle est cette parole du traducteur littéraire, ce produit inédit ? Comment travaille-t-il pour l'obtenir ?

Autour de ces questions, les divergences sont considérables. Nous allons voir deux approches théoriques opposées de la traduction littéraire.

249

Sartre, ibid., p.30.

250 Sartre, ibid., p. 31. 251

Comme ce que nous allons développer dans la dernière partie de notre thèse, l'œuvre de Molière ou de Genet dont la valeur esthétique est confirmée, est toujours engagée.

107 2. L'approche littérale de la traduction littéraire

Si nous pouvons considérer que la méthode interprétative – la procédure de "compréhension-déverbalisation-reformulation" est généralement approuvée concernant la traduction des textes pragmatiques, et qu'il n'y a plus de vraie divergence dans ce domaine, les avis sont extrêmement divisés quant à la traduction des œuvres littéraires. Voyons d'abord l'idée de ceux qui représentent une approche littérale de la traduction littéraire.

2.1 La visée éthique de Berman252

A partir de l'expérience de la traduction littéraire et celle de la philosophie, la réflexion d'Antoine Berman est basée sur une affirmation : "la traduction est traduction-de-la-lettre, du texte en tant qu'il est lettre"253. Selon lui, ce n'est pas un simple "mot à mot", mais une traduction qui conserve les mots et la forme approximative de l'original : "ni calque, ni reproduction, mais attention portée au jeu des signifiants".254

En fixant la lettre comme espace de jeu, il nous présente "une essence de la traduction" qui est "simultanément éthique, poétique et pensante" et l'oppose à "la figure régnante de la traduction occidentale"255 qui est d'après lui, ethnocentrique, hypertextuelle et platonicienne. Pour Berman, "ethnocentrique signifie ici : qui ramène tout à sa propre culture, à ses normes et valeurs, et considère ce qui est situé en dehors de celle-ci - l'Étranger - comme négatif ou tout juste bon à être annexé, adapté, pour accroître la richesse de cette culture", "hypertextuel renvoie à tout texte s'engendrant par imitation, parodie, adaptation, plagiat, ou toute autre espèce de transformation formelle, à partir d'un autre texte déjà existant",

252 Voir A. Berman, "La traduction et la lettre, ou l'auberge du lointain" in Les tours de Babel, essais sur la

traduction, (Trans-europ-repress, Mauvezin, 1985) et L'Épreuve de l'étranger, (Gallimard, Paris, 1984)., Son

point de vue est à peu de choses près partagé par H. Meschonnic (voir Pour la poétique II, Epistémologie de

l'Ecriture poétique de la traduction, Ed. NRF Gallimard, Paris, 1973).

253

A. Berman, 1985, p. 45.

254 Berman, 1985, p. 36.

255 Berman, 1985, p. 46. Selon l'auteur, si l'évident exemple de l'ethnocentrisme - "les belles infidèles " du

classicisme français - n'existe plus de nos jours, la plupart des traductions suivent toujours les mêmes principes, sous forme plus discrète. La théorie interprétative de la traduction est incluse implicitement par l'auteur dans cette figure. Il dit d'ailleurs sans ambiguïté: " Toute théorie de la traduction est la théorisation

108

platonicien instaure une "coupure décisive" entre la forme et le fond.

Il s'élève clairement contre ce qu'il appelle la captation du sens, elle-même "ethnocentrique"256 : "poser que le but de la traduction est la captation du sens, c'est détacher celui-ci de sa lettre, de son corps mortel, de sa gangue terrestre. C'est saisir l'universel et laisser le particulier. La fidélité au sens s'oppose - […]- à la fidélité à la lettre. Oui la fidélité au sens est obligatoirement une infidélité à la lettre. […] La captation du sens affirme toujours la primauté d'une langue"257. Cela ne veut pourtant pas dire que les œuvres n'ont pas de sens, mais le sens en œuvres est "condensé de manière si infinie qu'il excède toute possibilité de captation"258.

A ses yeux, la recherche de l'effet équivalent est aussi ethnocentrique puisque dans cette optique, "toute trace de la langue d'origine doit avoir disparu, ou être soigneusement délimitée ; […] la traduction doit offrir un texte que l'auteur étranger n'aurait pas manqué d'écrire s'il avait écrit, par exemple, en français". En effet, pour lui, ce mode de traduction est "une opération où intervient massivement la littérature, et même la 'littérarisation', la sur- littérature" ; cette traduction est hypertextuelle, car le traducteur exécute des actes d'imitation ou de pastiche, c'est-à-dire que son travail "consiste à sélectionner un certain nombre de traits stylistiques d'une œuvre - […]- et à produire un texte qui, à la limite, pourrait être de ces auteurs"259.

Au fond, il juge que la traduction de ce modèle résulte "d'activités viles et dénuées de valeur", et qu'elle "est une opération douteuse, mensongère et peu naturelle"260. Car elle défait le rapport entre la lettre et le sens, dans lequel c'est "la lettre qui absorbe le sens"261.

Dans son analytique de la traduction, il examine "le système de déformation de la lettre"et le résume en "tendances déformantes" qui sont les suivantes : "la rationalisation, la clarification, l'allongement, l'ennoblissement et la vulgarisation, l'appauvrissement quantitatif, l'homogénéisation, la destruction des rythmes, la destruction des réseaux signifiants sous-jacents, la destruction des systématisme textuels, la destruction (ou l'exotisation) des réseaux langagiers vernaculaires, la destruction des locutions et idiotisme,

256 Ici nous choisissons de présenter d'abord les arguments de Berman pour pouvoir rétorquer plus loin. 257 A. Berman, 1985, p.53. 258 A. Berman, 1985, p.57. 259 A. Berman, 1985, p.54. 260 A. Berman, 1985, p.60. 261 A. Berman, 1985, p.81.

109

l'effacement des superpositions de langues."262 La sévérité des mots nous laisse voir un reproche violent à ladite traduction.

En reconnaissant qu'il y a une part de nécessité dans cette déformation voire de destruction de l'œuvre qu'est la traduction, Berman nous propose une "éthique de la traduction" qui n'est pourtant pas une théorie de la traduction, ni même une méthodologie. D'ailleurs, "la traduction ne relèverait d'une méthodologie que si elle n'était qu'un processus de communication, de transmission de messages d'une langue de départ à une langue d'arrivée"263. Pour Berman, une œuvre n'envoie pas de message, ni ne transmet aucune information, par conséquent vouloir une méthodologie, c'est mettre sur le même plan la traduction technique et la traduction littéraire. Ce qu'il propose est donc une visée de la traduction qui doit guider le traducteur dans son opération. Cette visée est avant tout éthique, et non pas littéraire ou esthétique : cela consiste à "reconnaître et à recevoir l'Autre en tant que l'Autre", et à "ouvrir l'Étranger en tant qu'Étranger à son propre espace de langue" ; c'est-à-dire finalement "accueillir l'Étranger dans sa corporéité charnelle"264. Suivant cette logique, la traduction devra immanquablement s'attacher à la lettre de l'œuvre originale.

En effet, selon Berman, le contrat fondamental qui lie une traduction à son original, "interdit tout dépassement de la texture de l'original" et exige "la ré-écriture de l'original dans l'autre langue"265. La traduction doit "amener sur les rives de la langue traduisante l'œuvre étrangère dans sa pure étrangeté"266 ; et "amender une œuvre de ses étrangetés pour faciliter sa lecture n'aboutit qu'à la défigurer et, donc, à tromper le lecteur que l'on prétend servir. Il faut bien plutôt, comme dans le cas de la science, une éducation à l'étrangeté"267. Si l'œuvre est une création inédite, une pure nouveauté, la traduction doit donc "manifester cette pure nouveauté en préservant son visage de nouveauté", et même "lui (à l'œuvre) donner une nouvelle nouveauté"268.

La démonstration est brillante, et nous ne pourrons pas nier une certaine justesse de 262 A. Berman, 1985, p.68. 263 A. Berman, 1985, p.84. 264 A. Berman, 1985, p.88-89. 265 A. Berman, 1985, p.58. 266 A. Berman, 1985, p.58. 267 A. Berman, 1985, p.86. 268 A. Berman, 1985, p.89.

110

cette approche sur le plan philosophique et dans l'absolu. Pourtant notre divergence est totale car nous n'avons pas la même réponse à une question fondamentale :

"Une traduction est-elle faite pour des lecteurs qui ne comprennent pas l'original ?269" Effectivement, si la traduction n'est pas faite pour les lecteurs qui ne comprennent pas l'original, la problématique sera différente. Par exemple, à des fins purement pédagogiques, une traduction littérale pourra être intéressante pour illustrer les différences langagières. Or ce n'est certainement pas l'objectif de la traduction proprement dite.

Si ce n'était pas pour les lecteurs qui ne comprennent pas l'original, pour quelle autre raison traduirait-on ? Pour l'amour de l'œuvre, ou alors par désir d'écrire ? Dans le premier cas, c'est forcément une envie de faire partager cet amour, il y a donc une pensée particulière pour le lecteur. C'est même le motif du premier homme qui traduit une œuvre littéraire selon Larbaud270 :

[...] voilà un poème, un livre entier qu'il aime, qu'il a lu vingt fois avec délice et dont sa pensée s'est nourrie ; et ce poème, ce livre, ne sont pour son ami, pour les personnes qu'il estime et auxquelles il voudrait faire partager tous ses plaisirs, que du noir sur blanc, le pointillé compact et irrégulier de la page imprimée, et ce qu'on appelle "lettre close " ; et grâce au travail du traducteur, [...] votre ami peut lire ce poème, ce livre que vous aimez, [...], c'est vous qui lui faites visiter ce palais, qui l'accompagnez dans tous les détours et les coins les plus charmants de cette ville étrangère que, sans vous, il n'aurait probablement jamais visitée.

Dans le second cas, quand le traducteur ne tient pas compte du lecteur, ou bien qu'il postule un autre lecteur modèle271 que celui de l'original et se laisse guider par le désir d'écrire, l'acte de traduire devient intransitif, et le traducteur ne se place plus derrière l'auteur, mais à côté ou même devant l'auteur. Dans ce cas-là, la traduction ne peut pas être au service de l'œuvre.

A notre avis, si la traduction existe depuis l'antiquité, c'est essentiellement parce que

269 A. Berman, 1985, p.87. En citant W. Benjamin, Berman dit non catégoriquement à cette question. 270

V. Larbaud, 1946, p. 68.

271 Voir U. Eco, Lector in fabula, traduction de Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1985, p. 71 : "Pour organiser

sa stratégie textuelle, un auteur doit se référer à une série de compétences qui confèrent un contenu aux expressions qu'il emploie. Il doit assumer que l'ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C'est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l'actualisation textuelle de la façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agir interprétativement comme lui a agi générativement."

111

l'homme a besoin d'y recourir dans les échanges entre différentes cultures. Le jour où ce besoin n'existera plus annoncerait la disparition de la traduction. Celle-ci est donc faite avant tout pour des lecteurs qui ne comprennent pas l'original.

Si c'est cet objectif que Berman appelle l'ethnocentrisme dans les traductions, nous pourrions dire que toute traduction est "ethnocentrique"272 puisqu'elle est faite dans une langue étrangère ; sinon nous n'avons qu'à tous apprendre la langue étrangère pour qu'il n'y ait pas d'ombre d'"ethnocentrisme".

L'"ethnocentrisme" sans pousser à l'extrême, c'est la fidélité au public. En fin de compte, le public est la condition préalable de l'acte de traduire. Laisser de côté le public, ce n'est sûrement pas éthique vis-à-vis de l'auteur. Pour nous, le vrai ethnocentrisme signifie le rejet de tout ce qui est différent de sa propre culture, ainsi une traduction est ethnocentrique quand elleocculte l'origine étrangère de l'œuvre et en efface toute trace273.

Certes, le public a le droit de savoir que l'Autre est différent, et s'exprime différemment ; or, à travers une expression étrange voire parfois difficile à lire274, parvient-il à apprécier la force humaine et la valeur littéraire de l'œuvre ? Et quand la fidélité à la lettre

Documents relatifs